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Billet de blog 24 juin 2016

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Brexit et suite.

"Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes" (Bossuet), (mais ce n'est pas une raison pour rester couchés).

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I.

D'abord et avant tout, le bon sens historico-géographique : les Anglais n'ont pas quitté l'Europe hier, pas plus qu'ils n'y étaient entrés en 1973, car la CEE puis l'UE ce n'était et ce n'est pas l'Europe.

L'Europe, concert de nations, est plus ancienne et survivra à l'UE. Elle s'oppose, en fait, à l'UE : le concert des nations s'est construit contre les empires et s'est toujours opposé à ce qui les singeait. C'est d'ailleurs pour cela que le Brexit est si important pour nous : c'est bien une affaire de famille, maintenant plus que jamais.


L'UE est frappée au coeur, et ce coup est politique. Sur le plan d'une pure objectivité économique, depuis qu'il était clair que le Royaume-Uni n'entrerait jamais dans une eurozone elle-même en crise, la sortie de l'UE n'avait rien d'absurde et d'ailleurs, Merkel et Hollande ont été d'une grande prudence. Mais de plus le choix démocratique d'un peuple de sortir, dans le cadre du modèle des démocraties parlementaires, s'ajoute aux deux leçons, que retiennent âprement les peuples concernés, de ces dernières années :

- la non-réponse de l'UE aux aspirations de la nation ukrainienne qui s'est desserrée de l'étreinte russe en croyant être accueillie par une communauté fraternelle, ce que l'UE n'a jamais été ;

- et la seule "victoire" de l'UE, consistant dans l'alignement total du gouvernement Syriza-Anel en Grèce, victoire consistant dans le fait d'affamer les gens et de prescrire des cures d'austérité et la primeur des accords d'entreprises (loi El Khomri).

Ces facteurs cumulés signent la mort politique de l'UE maintenant que s'y ajoute le choix de la sortie par l'une des trois plus importantes puissances impérialistes européennes avec l'Allemagne et la France, premier centre financier mondial et tout de même, ne l'oublions pas et excusez du peu, berceau du capitalisme et du mouvement socialiste.

II.

Le vote Brexit, sociologiquement, a des traits que nous connaissons bien en France, car ce sont ceux du référendum de 2005 (la France n'étant pas une démocratie parlementaire ses résultats ont été piétinés par les présidents qui ont suivi).

C'est d'autant plus frappant que dans le cas anglais-gallois, la gauche pro-Brexit était infiniment plus faible que le Non de gauche, politiquement décisif, ne l'avait été en France. Et pourtant c'est clair : le vote ouvrier, chômeur, et rural (pas paysan, ça n'existe pratiquement pas en Angleterre, mais rural, oui), s'est massivement porté sur le Brexit, dans une véritable confrontation avec les centre-villes huppés et avec Londres, plus encore qu'en France en 2005.
C'est donc y compris une bonne partie de la base sociale du Labour party et  bien des salariés syndiqués, et pas seulement les "prolos réacs" UKIP , qui ont voté Brexit. Ce fait souligne la faiblesse politique du mouvement ouvrier britannique organisé, malgré le sursaut qu'a été la victoire de Jeremy Corbyn dans le Labour l'an dernier. Corbyn s'est prononcé, avec des restrictions mentales visibles et une retenue certaine, pour le Remain. C'est en fait l'absence de programme socialiste indépendant pour l'Europe et pour les îles britanniques qui fut cruellement soulignée, de sorte que le débat dominant fut interne à la classe dominante, confrontant les Clinton et les Trump britanniques.

Comment en est-on arrivé là ?

La grande majorité des militants syndicalistes et de gauche britanniques percevait depuis Thatcher les institutions "européennes" comme une protection possible, tout en les critiquant. Ceci s'explique facilement par le fait que dans ce pays, Thatcher n'avait pas eu besoin de se réclamer de "l'Europe" pour casser les conquêtes sociales et baisser le niveau de vie. Mais cet état-d'esprit, majoritaire dans l'encadrement du mouvement ouvrier et dans la gauche intellectuelle, a masqué une réalité, celle de la base qui, comme en France, a rejeté ces institutions comme ne la représentant absolument pas, tant au plan social que national. L'auto-mystification idéologique consistant à se faire croire que "nous sommes une grande démocratie multiculturelle" (à la différence de la vilaine France "jacobine" ! ) et que le Brexit n'exprimerait rien d'autre que de "vieux démons", a contribué à la coupure et à livrer cette base sociale, et même beaucoup plus qu'en France, au discours chauvin effectif.

De ce fait, la victoire du Brexit n'est pas, comme peuvent le penser en France les militants de gauche qui font un parallèle trop direct, une victoire sociale, car les partisans des cuts dans les dépenses publiques et les chauvins racistes sont disposés pour en profiter au maximum, ce que ressent durement la majorité des militants syndicalistes, Labour et socialists britanniques.

Le gouvernement de type Johnson-Farrage (que celui-ci en fasse partie ou fasse pression de l'extérieur), auquel Cameron a ouvert la voie par l'annonce de sa démission, sera un gouvernement d'attaques antisociales qui pourrait jouir, au début, d'une légitimité nationale handicapant le combat contre lui. Mais en même temps, n'est-il pas antidémocratique (et rare dans le parlementarisme britannique) de transfèrer, en cours de législature, le pouvoir d'une coterie parlementaire à une autre ?

De plus, dés le lendemain du vote, la droite du Labour attaque directement le leadership de Corbyn accusé d'avoir fait trop mollement campagne : Margaret Hodge et Ann Coffey, députés, ont initié dans cette journée post-Brexit une motion de défiance contre Corbyn. Comme si le vote d'hier pouvait justifier un retour au blairisme !

La démission de Cameron, d'ailleurs reportée au congrès conservateur de cet automne, mérite-t-elle vraiment d'être saluée comme un acte démocratique ? La vraie démocratie ne consisterait-elle pas dans une élection immédiate, anticipée, aux Communes ? Et l'intérêt du Labour de J. Corbyn ne serait-il pas d'y appeler, dans le but de gagner et de prendre l'initiative dans le processus inévitable de réorganisation de l'ensemble britannique, en ne laissant plus aux factions capitalistes et droitières le monopole des alternatives ?

III.

Car il y a une autre dimension dans ces évènements, sur laquelle d'ailleurs le Labour et la gauche britannique sont tout aussi faibles politiquement et intellectuellement. On savait pourtant très bien qu'elle se combinait à la question européenne en un beau mélange détonnant : la dimension des questions nationales britanniques.

La même "base" sociale qui a voulu réaffirmer une souveraineté que l'on nomme parfois britannique, mais qui apparaît de plus en plus comme étroitement anglaise, a voté Remain en Ecosse, pas parce qu'elle serait composée seulement de jeunes progressistes aux idées larges mais parce que les questions nationales sont une réalité pour elle aussi.
A l'exception, qui demanderait un examen plus approfondi, du cas gallois (il est vrai intégré au royaume depuis le XIV siècle ; la carte du vote montre que la zone côtière, la plus "celtique", et Cardiff, ont voté Remain), le vote a été déterminé par les critères nationaux.

Il faudrait ici reprendre une analyse historique. Il s'est dessiné une nation britannique, par l'union anglo-gallo-écossaise au début du XVIII° siècle, mais sa formation est demeurée inachevée. La perte des éléments de domination extérieure, notamment envers l'Irlande - et le maintien de l'Irlande du Nord dans le Royaume-Uni est un élément géopolitique de cohésion clef pour celui-ci -, puis l'érosion sociale causée par le capitalisme "mondialisé", ont érodé la cohésion britannique, au point de provoquer, par refus des contre-réforme néolibérales, le transfert de la base sociale, jeunesse en tête, du vieux travaillisme vers l'indépendantisme en Ecosse.

Le Remain est majoritaire partout en Ecosse. Et encore une partie du vote minoritaire Brexit a pu y miser sur le fait que ceci poserait la question de l'indépendance !

En Irlande du Nord, la majorité des "protestants" a voté Brexit, c'est-à-dire "anglais" (bien que leur apparentement historique soit largement écossais), mais une majorité toute relative, une grande partie d'entre eux s'abstenant ou votant Remain, de sorte qu'avec les secteurs "catholiques" qui ont largement, eux, voté Remain, c'est-à-dire "pas anglais", celui-ci est majoritaire. Pas plus qu'en Ecosse il ne s'agit d'un vote à la gloire des commissaires européens : le vote nord-irlandais s'avère "pas anglais" et cela en incluant une grande partie des "protestants". Le Sinn Fein, immédiatement et à juste titre, proclame que le gouvernement britannique a perdu tout mandat de représentation de l'Irlande du Nord, et demande un référendum sur l'unification irlandaise, dans laquelle les protestants auraient leur place. 

Même à Gibraltar (qui a voté Remain), le gouvernement espagnol en profite, dés ce matin, pour poser la question d'une double souveraineté - à terme d'une sortie du Royaume-Uni. Ajoutons que les habitants de l'île de Man et de plusieurs "dépendances de la couronne" (Malouines, Sainte-Hélène chère aux bonapartistes français ...), de façon parfaitement anti-démocratique, n'avaient pas à voter.


En somme, la démocratie parlementaire anglaise, en ayant permis ce vote de la nation anglaise, met à nu le caractère anti-démocratique de la construction royale impérialiste, et met donc en cause la monarchie, ce qui n'est en rien une question désuète. Car si les Anglais ont parfaitement le droit souverain de quitter l'UE, les Ecossais et les Irlandais ont autant de droits souverains.


Le bal est ouvert !

IV. En prime (c'est le cas de le dire),

La journée a commencé par le plus grand krach boursier depuis 1987, dépassant celui de 2008, même s'il faut tenir compte du fait que la chute efface les gains spéculatifs de la semaine écoulée, marquée par une hausse malsaine. Mais cela va au delà, au delà même de ce qui relève directement de la question britannique-européenne et de celle de la place de la City, première place financière mondiale parcourue des rumeurs de délocalisation vers Paris, voire vers Dublin, et plus encore vers Francfort, et plus encore vers l'Asie. C'est que le capital fictif était à son maximum. La chute soudaine fut donc ce matin de 10% à Francfort, 9% à Paris, plusieurs quotations suspendues, des banques reculant de 20%, 30%, puis suspendant. A ce niveau il est clair que le Brexit a été le révélateur du pourrissement sous-jacent, et sans doute l'amplificateur de ses conséquences.
Un aspect remarquable du krach, est qu'il était attendu, mais les "marchés" ont vécu la semaine et la dernière soirée dans un déni façon "Titanic" (en apparence : par dessous, les petits malins engrangeaient des plus-values boursières avant la chute). Ce qui a fait croire, hier soir, que le Remain l'avait emporté - même Nigel Farage, informé disait-il par ses copains traders (car le leader populo a des copains traders ...), y a cru un instant. Plus dure fut la chute.
On va voir tout à l'heure ce que sera la propagation de l'onde de choc à Wall Street (additif 14h : la baisse du Dow Jones est plus modérée, entre 2 et 2,5%). Que ce krach soit d'une ampleur égale, supérieure ou inférieure aux précédents, il est probable que nous entrons dans une nouvelle phase de la grande crise globale ouverte en 2007-2008 dont on nous avait, comme de bien entendu, annoncé la sortie.

Le bal est ouvert (bis).

VP, le 24/06/16, 11h., complété dans l'aprés-midi.

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