Vincent Présumey

Abonné·e de Mediapart

255 Billets

0 Édition

Billet de blog 24 juillet 2025

Vincent Présumey

Abonné·e de Mediapart

Pour que personne puisse prétendre n’avoir rien remarqué…

Vincent Présumey

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

"Murmures de la Cité" : ce spectacle « historique » donné à Moulins les 11-13 juillet, avec d’abondantes aides publiques et, de plus, le financement du célèbre exilé fiscal d’extrême droite Stérin, a commencé par cinq longues minutes de croix gammées sur la façade du Centre National du Costume de Scène, dont l’octroi est une autre aide publique surprenante, à laquelle Mme Dati ne doit pas être étrangère. Ces croix gammées ont déjà fait couler pas mal d’encre – il y a de quoi. « Murmures de la Cité » n’a, significativement, rien publié à ce sujet, mais a fait dire par les sites fascistes comme « Riposte Laïque » la mal nommée, que, comme de bien entendu, il s’agissait de dénoncer l’occupation de la France pour mieux figurer sa libération, et que la reductio ad hitlerum est l’odieux procédé des hitléro-trotsko-islamo-gaucho-collabo-intellos-etc. pleins de rancœurs devant l’immense succès populaire du merveilleux spectacle.

Le sujet de cet article est précisément l’idéologie de Murmures de la Cité. Ce qui éclairera au passage la fonction des croix gammées…

Auparavant, en préalable, soulignons à nouveau la médiocrité réelle du dit spectacle, qui n’a pas drainé le « peuple » véritable. Je renvoie à ce sujet à mon précédent billet de blog, en ajoutant au dossier une pièce d’autant plus intéressante qu’elle vient d’un spectateur (une série de messages sur les réseaux sociaux qui m’ont été rapportés, je ne le nommerai donc pas) qui, en toute ignorance, n’a « rien vu ou entendu » qui puisse l’inquiéter politiquement. Mais revendique quelques compétences en matière de mise en scène : « D’un point de vue strictement technique et artistique on est vraiment sur un manque cruel d’intention et de compétence … L’histoire est très floue, on commence pendant la Libération puis retour aux Gaulois par un procédé scénaristique … aléatoire. …  Les époques abordées le sont de manière très bancale sans réel contexte historique pour comprendre ce qui se passe … impossible de savoir qui parle et qui sont les personnages phares car tout est noyé dans la foule. Les figurants sont répartis sur la scène immense et semblent perdus … j’ai davantage eu l’impression de voir un groupe qui jouait à la « guéguerre » plutôt qu’une chorégraphie répétée. …. Au niveau des décors, c’est le grand vide … Au niveau de la lumière aussi, l’amateurisme est flagrant … la sécurité, visiblement paniquée à l’idée de voir des journalistes entrer interdisait aux visiteurs de rentrer avec un sac à dos … à 40 euros maxi la place, je trouve que c’est très cher pour un spectacle de fin d’année. »

N'en jetons plus, on a compris : c’était très mauvais. Mais pourquoi ? Parce que l’intention était toute idéologique. Et, pour la même raison, politique, une telle gabegie prétentieuse compte bien, avec des appuis politiques, s’imposer et imposer ses vues, ses visions médiocres, ses récits fantasmés et tronqués, et son siphonnage d’argent public.

Guillaume Senet, le petit chef de ce barnum, pond d’ailleurs, au nom de « Murmures de la Cité », des communiqués boursouflés qui auraient dû inquiéter tout élu responsable. Une semaine avant, il chantait victoire : « A ceux qui nous combattent : vous avez perdu. Et ce n’est qu’un début. » « … ce que nous avons proposé répond à une attente profonde : celle d’un récit collectif, d’une mémoire commune, d’un lien entre générations qui ne passe pas par la repentance mais par la fierté … » « Face à cette morosité idéologique, nous avons fait un autre choix (…) celui de la mise en scène du beau, du vrai, du réel. » Dans un message à ses figurants envoyé encore ce mercredi 23 juillet, il bondit à nouveau sur sa chaise comme un cabris en proclamant posséder « la flamme », à savoir « la flamme du beau, du vrai, du bien. C’est la flamme de l’histoire, transmise plutôt qu’effacée. », etc., etc., beau, vrai, bien, réel, en caractères gras.

Ces petites épectases verbales renvoient en fait, systématiquement, au discours de Sophia-Polis, l’association présidée par le même personnage sous le pseudonyme de Guillaume Poliste. Le Vrai, le Bon, le Beau, le Bien, le Droit, le Réel, le Juste, le Pur … toutes ces consternantes âneries sont ce qu’il croit savoir de pensées anciennes qu’il martyrise avec l’ignorance des sectaires convaincus de les posséder, celles d’Aristote et de Thomas d’Aquin. Le site de Sophia-Polis dévide un petit bréviaire dont la prétendue « histoire de France », celle de Murmures de la Cité, fournit le canevas. C’est une profession de foi de haine de la République et de la Révolution – et d’admiration pour Napoléon qui aurait rattrapé les dégâts causés par elles : ceci se retrouve parfaitement dans le « spectacle » d’où la Révolution est totalement bannie de l’ « histoire de France » -affirmant explicitement que le « bien commun », formule médiévale, est au-dessus de « l’Etat de droit » et de la loi républicaine. Est visé par là un ordre organique (qui n’a jamais existé), celui de la société corporative chrétienne rêvée par les conciles, comme celui de Latran IV en 1215, et que devait souder la Croisade contre les Infidèles, la persécution et la ségrégation des juifs, hérétiques, sodomites, lépreux puis des femmes désignées comme sorcières.

« Souviens toi que la République n’a eu aucune pitié avec ses opposants et apprêtes-toi à lutter et mourir si tu veux que tes enfants restent libres. » : voila qui éclaire les messages répétés de G. Senet aux figurants de Murmures de la Cité, leur expliquant qu’ils doivent devenir des « Résistants »

Mais c’est aussi, et peut-être surtout, un texte de rupture avec la tradition évangélique :

« Souviens-toi de la justice que rendait le Roi Très Chrétien, car son Dieu a demandé que tu pardonne tes ennemis privés (inimicis) mais que tu luttes de toutes tes forces contre les ennemis publics (hostes).

Souviens-toi que ta charité quand tu fus chrétien était ordonnée. Tu prenais soin de ton prochain le plus prochain sans chercher plus loin, parce que tu te connais bien : cela aurait été le meilleur moyen de te dispenser. Ta famille et ton voisin, ton hameau et ta paroisse sont donc toujours passés avant le prochain conceptuel et hypothétique. »

Pardon pour les siens, ceux qui sont du même sang et du même sol, lutte impitoyable contre les « ennemis publics » de la société organique « chrétienne », qui doivent être éliminés ; charité bien ordonnée commençant par soi-même et excluant les ennemis et les étrangers, ce prochain des Evangiles, dénoncé ici comme « conceptuel et hypothétique » : la fraternité humaine est explicitement refusée.

Contre elle, Sophia-Polis entend former une élite supérieure, celle des « enracinés » : spirituellement, par la « Messe traditionnelle », moralement, en refusant la loi commune républicaine, « perversion d’une société apostate », au profit d’une prétendue « loi naturelle », culturellement, par la « piété filiale », et concrètement, en jouant aux artisans-cavaliers dans les champs. On remarquera qu’à chaque fois, est latente, mais rarement explicite, une représentation fantasmatique fondamentalement biologique et racialiste – Sang et Sol, Blut und Böden.

Dans un entretien à Eléments en juillet 2022, G. « Poliste » explique ce qu’est la « Cité de la Sagesse » (Sophia-Polis) en donnant des références : la monarchie française de Louis IX alias saint Louis, Athènes, mais citée très vite et sans aucune mention du mot « démocratie », Sparte, avec plus d’insistance et comme « la Sparte de Bardèche » -Maurice Bardèche, apologue des congrès nazis de Nuremberg, de la Phalange espagnole, fasciste revendiqué, est ici présenté comme une référence fondamentale de Guillaume Senet-Poliste -, et le Sud américain esclavagiste : «  … notre cité, c’est un peu de Sparte, et un peu des Sudistes » (la majuscule à « Sudiste » est dans le texte).

Simone Weil, syndicaliste révolutionnaire puis philosophe chrétienne et résistante authentique, est détournée au passage en raison de son usage du terme d’ « enracinement », dont la dimension universaliste est évidemment ignorée par G. Senet-Poliste, ainsi que les contradictions d’une pensée météorique en développement, dont l’ouvrage intitulé « L’enracinement » n’est présenté, par les récupérateurs de Simone Weil, comme un aboutissement, que parce qu’elle est morte prématurément peu après l’avoir écrit. Senet-Poliste y a donc pioché une citation, hélas fort éclairante sur la dimension esclavagiste de sa propre conception de l’humanité : « Des êtres vraiment déracinés n’ont guère que deux comportements possibles : ou ils tombent dans une inertie de l’âme presque équivalente à la mort, comme la plupart des esclaves au temps de l’empire romain, ou ils se jettent dans une activité tendant toujours à déraciner, souvent par les méthodes les plus violentes, ceux qui ne le sont pas encore ou qui ne le sont qu’en partie. »

Trois sortes d’êtres humains apparaissent dans la pauvre conception de Senet-Poliste, beaucoup plus proche de l’apologue du nazisme Bardèche que de la résistante Simone Weil : les enracinés ou ceux qui se sont ré-enracinés, la masse des déracinés et, parmi eux, les pires, les déracineurs. Les premiers sont la race supérieure, les seconds les esclaves, les troisièmes les ennemis à éliminer. Cet « enracinement » fournit, explique-t-il très clairement, le socle sur lequel néopaïens et intégristes « chrétiens » peuvent se retrouver, ce qui est la fonction explicite de « Sophia-Polis ».

Sophia-Polis, la cité de la sagesse, celle du corporatisme prêté au Moyen Age et revendiqué par la Charte du travail de Pétain, et de l’esclavagisme de la Sparte du nazi Bardèche et du Vieux Sud américain d’avant la guerre de Sécession, distille son message en « murmurant » : telle est la fonction, transparente à quiconque ne s’aveugle pas volontairement, de « Murmures de la Cité ».

Cette représentation hiérarchique de l’humanité, récusant toute idée d’égalité, en trois groupes : les déracinés bons à être des esclaves (les grandes masses contemporaines), les enracinés supérieurs, et les déracineurs qui sont les hostes à exterminer, est structurellement analogue à celle du nazisme distinguant race supérieure, races inférieures esclaves, et ennemis du principe racial à exterminer (les Juifs). Est-il besoin de noter que dans « enracinement » il y a « race » ?

Quand Guillaume Senet fait son numéro de gentil garçon aimant « l’histoire de France », il désigne les « déracineurs » comme des « déconstructeurs », ceux dont, pressé, il avait annoncé la mort dans sa proclamation citée ci-dessus …

Nous retrouvons cette structure idéologique dans la vision du néo-conservatisme national-étatique de Poutine et de son régime : l’élite au pouvoir prétend avoir renoué avec la tradition, elle combat les déracineurs de l’Occident qui, par la théorie du genre et le « wokisme », déracinent les masses et fabriquent, contre l’essence russe éternelle, des Ukrainiens qu’il faut éliminer ou rendre à nouveau russes de gré ou de force.

Les fantasmes de supériorité élitistes des libertariens de la Silicon Valley, dont Elon Musk porte les versions bouffonnes, mais que théorise le « catholique » Peter Thiel, inspirateur de J.D. Vance, comportent eux aussi le schème distinguant une humanité supérieure ayant retrouvé ses racines, une masse vouée à crever dans les Apocalypses prochaines, et des ennemis mortels à détruire car ils veulent empêcher les êtres supérieurs de s’accomplir.

Il est vrai qu’un barbecue au château avec Sophia-Polis n’a pas la même apparence de modernité que les fantasmes d’un Musk se voyant peupler la planète Mars de ses gamètes, mais le folklore rétro est en fait tout ce qui reste d’ « enracinement » à Sophia-Polis, dont les fantasmes idéologiques relèvent non de la tradition, mais de la modernité fasciste contemporaine.

Les conséquences de cette idéologie ainsi structurée sont claires. Concernant la tradition dont elle prétend s’inspirer, c’est la pire des incultures, l’ignorance la plus crasse, qu’il s’agisse d’histoire gréco-romaine ou médiévale. Concernant la manière de procéder avec les « déracineurs », on en a déjà un aperçu dans les méthodes des amis de Murmures que sont les « Riposte Laïque » et autres. Et bien sûr, l’organisation, et donc la médiocrité, du spectacle offert pour un bon prix les 11-13 juillet à Moulins en découlent. Résumons-la.

En ouverture, les croix gammées. En façade, elles sont censées montrer que la France fut occupée par des « étrangers » mais s’est libérée. En sous-main, il est évident, connaissant l’idéologie de Sophia-Polis, qu’elles portent un message d’accoutumance, pour le moins. S’ensuit la succession des scènes où la France éternelle est sauvée par la Providence sous la forme d’un héros : Vercingétorix, Clovis, les moines, Jeanne d’Arc, Louis XIV, Jeanne de Chantal (pour faire « bourbonnais » !), Napoléon, les poilus, les « résistants », ce qui permet de placer une Marseillaise à la fin – et un symbole pétainiste et bonapartiste, le chêne et le laurier, encadrant les lettres RF, seule référence républicaine de tout le spectacle, surajoutées. Un spectacle de fin d’année innocent quoi que médiocre ? Certainement pas …

Jean-Yves Le Gallou, vieux racialiste et suprémaciste blanc, et militant de longue date pour l’union des droites, est en ce moment même en train de plastronner à l’ « université d’été » de Sophia-Polis, à une vingtaine de km d’ici. Il a pondu, car les jappements de victoire de G. Senet-Poliste ne suffisaient pas, un petit bilan politique de l’opération, résumé dans son titre : « Contre-attaque culturelle et victoire politique ». Ce titre est exact par ce qu’il avoue en creux. Contre-attaque culturelle : c’est donc que la sainte Alliance des cathos tradis et des nazis est minoritaire « culturellement » et doit contre-attaquer. C’est bien vrai. Victoire politique : ainsi qu’il l’explique, LR a basculé et la droite locale avec elle. C’est vrai aussi.

La guerre de position va continuer et va se combiner à la crise politique et de régime. Après les syndicats, les sites fascistes qui soutiennent Murmures de la Cité ont désigné leurs ennemis : la presse locale. La Montagne, La Semaine de l’Allier (pourtant classée « à droite », mais les imbéciles de Murmures ont refusé son entrée au spectacle : la bêtise peut jouer un rôle autonome !), Radio Bocage, sont leurs cibles. Les Stérin et les Bolloré, qui distribuent les sous, veulent la mort de la presse locale. Dans la société organique, cette prétendue « cité », pas de syndicats, pas de lutte de classe, pas de presse indépendante, pas de contre-pouvoirs, pas d’Etat de droit. L’unité dans la défense sociale et démocratique s’impose.

Vincent Présumey, les 23-24 juillet 2025.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.