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Billet de blog 24 septembre 2016

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Angleterre et France.

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Corbyn victoire.

77% de participation, 61,8% des voix, soit 313 209 voix validées pour Jeremy Corbyn, contre 193 229 à Owen Smith, 61 000 voix de plus pour Corbyn qu'en 2015, sachant que beaucoup de nouveaux adhérents et parfois d'anciens n'ont pu voter à cause des manœuvres d'un appareil affolé par sa nouvelle défaite annoncée.

C'est plus qu'un mini-référendum pro-Corbyn : avec 600 000 adhérents, contre 200 000 avant juin 2015, le plus grand regroupement réel de la classe ouvrière en Europe se produit dans le Labour party en Angleterre et aux Pays de Galles (la situation étant plus complexe en Ecosse). C'est là un fait politique majeur, l'autre face de la crise ouverte appelée Brexit.

Lors du congrès annuel des syndicats, le Trade Union Congress (TUC) mi-septembre à Brighton, la secrétaire du TUC, Mary Bousted, dirigeante du syndicat des enseignants, deuxième femme consécutive à être élue à ce poste, appuyait Corbyn. C'est sa liaison organique avec le mouvement ouvrier par les syndicats qui fait la particularité du Labour party. Bien que chapeauté par une bande de bourgeois analogues à un Macron, depuis maintenant deux décennies et demi, qui avaient largement commencé à le détruire, un mouvement de fond a pu se saisir de ce lien, non encore détruit, et rebattre les cartes en faisant gagner Corbyn, qui lui même ne s'y attendait pas au départ. Ironie de l'histoire : c'est le vote individuel des adhérents, mis en place pour mettre fin à cette liaison organique, qui a permis aux syndiqués puis à des millions de jeunes et de travailleurs d'intervenir directement.

C'est à cette intervention directe que les députés et l'appareil du parti voulaient mettre fin en renversant Corbyn, à la suite du Brexit, ce révélateur de la crise structurelle du capital et de l'Etat britanniques. Avec un discours selon lequel ce « handicap » pour gagner les élections laisse le champ libre au gouvernement tory de Theresa May pour négocier à sa façon la sortie de l'Union Européenne.

Mais leur problème c'est que la réalité s'avère de plus en plus être l'inverse de leur discours : en saisissant la possibilité d'imposer Corbyn à la tête du Labour, des centaines de milliers de travailleurs et de jeunes, agissant dans l'intérêt et en relation avec les sentiments profonds de toute leur classe - et notamment de ces couches prolétariennes pauvres ou au chômage qui ont voté pour le Brexit – veulent imposer une alternative politique au gouvernement antidémocratique de Theresa May, et les élections locales montrent que cette dynamique ne fait pas reculer le Labour, au contraire, comme on vient de le voir récemment, ce jeudi 22 septembre, et cela y compris en Ecosse, ce qui ne s'était pas encore produit depuis la déroute du Labour au profit des indépendantistes l'an dernier.

Le lien structurel entre le Labour et le mouvement ouvrier et syndical s'est en quelque sorte reconstitué sur des bases en partie différentes, et il a pu l'être parce que, quoi que sur le point d'être détruit, il ne l'était pas encore.

Nous avons là une première différence avec, par exemple, la situation du PS français, la seconde étant que le Labour n'est pas au pouvoir et que les attaques destructives fondamentales contre les droits sociaux du thatchérisme ont eu lieu, ont ravagé la société, sont plus graves qu'en France, et que ce qui se produit aujourd'hui est une réaction vitale de la société pour s'en sortir.

France : il n'y aura pas de miracle et Corbyn n'a pas été un miracle.

Ces différences étant bien comprises, il y a matière à bien des réflexions pour les militants ouvriers en France sur ce qui se passe aujourd'hui en Grande-Bretagne, un pays où les perspectives semblaient plus bouchées encore que chez nous voici simplement deux ans.

Ce n'est pas tant par une idéologie et des postures que la jeunesse et le prolétariat britannique ont entrepris cette contre-offensive politique, qu'en se saisissant, à la surprise générale, d'une possibilité concrète de sursaut à un moment donné. Dans bien des sphères militantes, les regards étaient tournés vers Syriza ou Podemos, en n'intégrant d'ailleurs pas les effets ravageurs de l'alignement de Syriza sur le capital envers le cours de Podemos dont beaucoup attendaient naïvement que serait reprise la même geste, la même chronique, en faisant comme si de rien n'était. Pendant ce temps, il se passait quelque chose de plus puissant outre-Manche, là d'où l'on pensait n'avoir rien à attendre.

Or, les forces sociales qui cherchent la voie du débouché en Grande-Bretagne sont les mêmes qui, ici, ont réalisé les mois de grèves et de manifestations contre la loi « travail ».

Certains camarades, parmi ceux qui font l'effort, trop peu fréquent disons-le franchement, d'examiner la situation outre-Channel, se disent qu'un tel « miracle » pourrait se produire, les uns le voyant arriver avec la candidature de Jean-Luc Mélenchon qui, à égalité dans les sondages avec celle éventuelle de François Hollande, pourrait, qui sait, être élu et, souverainement, lancer l'élection d'une assemblée constituante et, en somme, déclencher la révolution.

D'autres, notamment les amis de Gérard Filoche, Sanders ou Corbyn potentiel, disent que si l'on arrive à imposer des « primaires de toute la gauche » sincères et unitaires, là encore le miracle pourrait se produire. Le parcours des réseaux sociaux montre le choc, souvent agressif car la même angoisse les ronge, des uns et des autres.

Cette angoisse nous étreint tous, on se dit : bon sang, Hollande et Valls auront-ils réussi à « tuer la gauche » et à imposer un second tour droite-FN ? Toute angoisse nourrit l'espérance d'un miracle.

Mais pas plus qu'en son temps mai 68 ne fut un coup de tonnerre dans un ciel serein, car en réalité la grève des mineurs 5 ans avant, plusieurs grèves locales, les processus de regroupement en profondeur, et les débats politiques dans la jeunesse, l'avaient préparé, pas plus la victoire renouvelée de Jeremy Corbyn ne relève du miracle, même si elle a surpris et enchanté.

Répétons-le, il y avait cette liaison organique (et pas seulement un souvenir historique) du Labour avec les syndicats, et l'irruption « Corbyn » a fait suite à plusieurs années de reprise des luttes sociales, de mouvements de la jeunesse, de mobilisation contre les coupes dans les services publics, de chocs politiques dont le dernier en date avant le sursaut fut la liquidation électorale du Labour en Ecosse, son électorat passant aux indépendantistes.

De l'aspect électoral des choses ...

Les circonstances politiques réelles au moment présent en France doivent doucher l'idée d'un miracle qui adviendrait par la méthode Coué, que celle-ci s'appelle « JLM2017 » ou « primaires de toute la gauche » ou encore « unité de la gauche en dehors du PS » (sachant que le seul miracle auquel nul ne s'attend est celui qui viendrait du PCF). Les sondages valent ce qu'ils valent mais celui de l'agence ELABE pour les Echos, publié ces derniers jours, correspond à ce que l'on peut ressentir. Résumons-en les principaux traits, non pas ceux mis en avant dans les médias, mais ceux qui ressortent de l'examen des données.

56% des sondés déclarent être sûrs d'aller voter, ce qui est assez faible surtout pour des présidentielles, surtout si l'on tient compte du fait que ce sondage a retranché les personnes non inscrites (prés de 8% de l'échantillon). Le détail sociologique des 44% qui n'en sont pas sûrs et le degré de leur dédain envers cette élection, n'ont pas fait l'objet de publication – c'est d'ailleurs significatif, et coutumier ...- par les auteurs du dit sondage ... Mais nous savons bien que des millions de travailleurs ne voient aucune issue, voire aucun intérêt, dans ces élections qui sont les plus importantes pour la V°République, qui repose sur elles.

Le deuxième fait saillant est la faiblesse du score total des candidats de partis issus du mouvement ouvrier, en gros ce que l'on appelle « la gauche » si l'on y inclut aussi les écologistes, soit le total, selon les hypothèses présentées aux sondés, Mélenchon/Hollande/Duflot/Arthaud/Poutou, à 35% face à Le Pen/Juppé/Dupont-Aignan ou face à Le Pen/Sarkozy/Bayrou/Dupont-Aignan, tombant à 30% ou 31% si Macron s'ajoute respectivement aux deux groupes de candidats « de droite » précités, 26,5% et 27% si, face à ces deux groupes, Valls remplace Hollande, 23% et 24,5% si c'est Montebourg.

Déception, rupture ou perte de confiance sont telles que la plus grande partie de l'électorat ouvrier et populaire historiquement et malgré tout encore en 2012 votant « à gauche », soit ne vote pas, soit vote Le Pen. Une partie des couches se considérant ou étant considérées comme plus « classes moyennes » de ce même ancien électorat, de plus, irait voter Macron, voire Juppé qui est déjà, pour les primaires de LR, en train de leur dire de venir derrière lui, en tant que meilleur rempart contre Sarkozy puis contre Le Pen …

Il y a donc, résultat à la fois de l'histoire des dernières décennies et de son accélération au cours de la présidence Hollande, un rétrécissement électoral fondamental de « la gauche », qui traduit certes les reculs sociaux causés par cette même « gauche », mais aussi la résistance et les contre-offensives sociales, une grande partie des salariés et des jeunes ayant fait grève et lutté ces dernières années ayant électoralement rompu avec « la gauche » dans son ensemble.

Dans ce cadre, la poussée de Mélenchon est incontestable, mais … dans ce cadre !

Bien des militants syndicaux et politiques ayant nourri la poussée sociale de ce printemps voient en lui le vote par défaut ou le seul vote possible. Ceci le met en mesure de devancer Hollande, Valls ou Montebourg au premier tour. Dans ce qui reste d'électorat votant pour des candidats de partis issus du mouvement ouvrier, ou « électorat de gauche », on a une grosse moitié (si l'on ajoute les 0,5% à 1,5% de N. Arthaud et de P. Poutou et les 2% à 3% de Duflot aux 13% à 15% de Mélenchon) qui entend voter contre Hollande ou ses substituts, et une petite moitié (qui, dans le cas d'une candidature Valls, s'effondre à 7% mais en partant en partie chez Macron) qui, malgré tout, avec réserve et sans conviction, voterait encore « PS ». Ainsi, la « gauche de la gauche » finit par devancer « le PS » … dans le cadre d'un effondrement général …

Ces dernières données électorales, à travers un sondage, reflètent de manière déformée l'ancrage dans la lutte des classes de l'improbabilité de l'un ou de l'autre des deux « miracles » évoqués, celui de « JLM2017 » ou celui des « primaires de toute la gauche ».

J.L. Mélenchon a décidé sa candidature en déniant par avance aux luttes sociales, sinon d'avoir lieu, car elles ont eu lieu, mais de déboucher sur leur propre représentation politique, le représentant ultime et unique étant censé être déjà en place : lui. Cette pratique bonapartiste a été l'un des obstacles, pas le seul, à la construction d'un débouché politique partant des luttes réelles.

Et le refus de toute coalition avec l'exécutif Hollande-Valls qui détruit droits sociaux et démocratie fait que les couches militantes et sociales qui ont construit l'affrontement social de mars à juin ne peuvent croire à une primaire ou à toute forme d'association temporaire avec eux. Il n'y a donc ni candidature unique et antigouvernementale de toute la gauche, ni possibilité pour Mélenchon, sauf tournant de la situation qui ne serait pas de son fait, d'être au second tour.

Donc, l'espérance en un miracle faussement analogue à l'irruption de Corbyn qui, pour avoir été providentielle, n'en fut pas, elle, un miracle pour autant, doit être douchée tout de suite : elle ne sert qu'à masquer l'angoisse – légitime – et elle débouchera sur ce qu'elle voudrait conjurer : un second tour droite-Le Pen.

Mais tout est possible ...

Alors ?

Alors, si un miracle ne peut pas venir de l'intervention politique dans la campagne des présidentielles telle qu'elle est actuellement engagée, c'est de la lutte des classes directe que peut être modifiée la situation. Ce qui nous ramène d'ailleurs à l'Angleterre : car le phénomène Corbyn ne s'est pas inscrit dans le cadre d'une campagne électorale, mais après celle-ci et en relation avec des manifestations de masse contre les cuts dans les services publics.

Il ne faut pas non plus, bien entendu, espérer par avance en un sursaut après la défaite électorale -ce serait là la version la pire de l'attente angoissée du faux miracle !

Il faut s'appuyer politiquement sur ce que nous avons. Et nous avons une position syndicale majoritaire, commune, CGT, FO, FSU, Solidaires, UNEF, pour l'abrogation de la loi « travail », résultat de la poussée vers l'affrontement social et politique central du premier semestre de cette année. Les branches enseignantes des mêmes organisations sont aussi pour l'abrogation de la « réforme du collège » également désavouée dans la FCPE. Ce sont là des acquis politiques qui seront remis en cause si on ne les fait pas vivre en prenant appui sur eux.

A quelques mois des présidentielles, cette unité syndicale a une dimension politique fondamentale. Or le gouvernement frappe toujours et ne peut que frapper. Licenciements, attaques anti-syndicales, début d'application de la loi « travail », vont susciter des réactions. Les présidentielles ne doivent pas brider la lutte des classes.

N'attendons aucun sauveur. La lutte des classes directe a la capacité de modifier même les données des présidentielles - en fait, elle a la capacité d'ouvrir la crise de ce régime. Défaire ce président et ce gouvernement que le MEDEF vient de saluer comme plus efficaces que Sarkozy reste, plus encore maintenant, la tache politique la plus salutaire et la plus nécessaire pour ouvrir la voie à l'avenir, et cela dans les mois qui viennent. Certes, au moment présent, le poids des présidentielles, inhibant et inquiétant, semble peser à l'encontre de tels développements. Mais il pourrait bien finir par avoir l'effet inverse, justement en raison de l'absence de perspective et le caractère menaçant de ces élections antidémocratiques.

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