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Billet de blog 27 nov. 2020

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L’idéologie dont il faut se défaire (conclusion de "Religion laïque" : Quid ?).

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Au terme de ce survol, je risque donc la thèse selon laquelle la croyance en une « religion laïque » malfaisante, dangereuse, voire diabolique et sodomite, est un avatar qui s’est idéologiquement développé dans le prolongement de la détestation du prétendu « culte de la Shoah ». Il s’agit de faire passer des cérémonies d’État, souvent militaristes, dénuées de toute émotion réelle, et n’ayant strictement rien de nouveau ni d’original, pour une « religion laïque » qui serait portée par de dangereux adeptes, en amalgamant parmi eux les militants ouvriers et laïques.

Il y a en effet une analogie structurelle entre l’antisémitisme par rapport au racisme, et la dénonciation de la « religion laïque » par rapport aux autres religions.

L’antisémitisme ne considère pas les Juifs comme une « race » comme les autres : elle n’est pas inférieure, elle est malfaisante, et à la limite – Hitler le disait déjà – ce n’est justement pas une race, c’est un principe malfaisant pur (l’oubli de l’être, en verbiage heideggerien, le complot sioniste mondial). Le racisme est dominateur et peut être criminel, l’antisémitisme est exterminateur.

La « religion laïque » a, pour ses contempteurs, les défauts d’une religion sans ses qualités. En général, ils prônent le « respect » des religions – mais pas de la laïque. S’ils croyaient vraiment que celle-ci est un ensemble de coutumes et de traditions, d’idiosyncrasies françaises, ils auraient un brin de tendresse paternaliste envers elle. Mais c’est tout le contraire : elle est pour eux sans racines, elle est maléfique, elle porte avec elle la persécution des autres religions, il faut donc l’éradiquer.

Cette construction idéologique inquiétante s’enchâsse dans un ensemble de mots-clefs et de représentations. Selon cette idéologie, l’islamophobie est l’axe central de la religion laïque, qui veut forcer les malheureux à voir partout les « caricatures » (il ne fait aucun doute que dans certains départements universitaires nord-américains, les étudiants croient qu’en France lesdites caricatures sont affichées au fronton des mairies, dans les salles de classes, promenées par la police dans les banlieues musulmanes, et pendues au-dessus des ronds-points). Le racisme axé sur les phénotypes et divers préjugés a été remplacé par l’islamophobie, et l’antisémitisme n’existe pas – c’est une légende propagée par les sionistes.

Cette fantasmagorie est tout aussi répandue aujourd’hui qu’ont pu l’être, à d’autres périodes, les croyances sur la « patrie du socialisme » et autres calembredaines. Ses conséquences délétères sont les suivantes :

-l’idéologie de l’ « islamophobie » conduit à la négation du racisme et affaiblit massivement le combat antiraciste. Elle ne combat pas le racisme, mais le blasphème. On conviendra que ce n’est pas la même chose …

-l’idéologie de l’ « islamophobie » postule la disparition de l’antisémitisme et le remplacement des Juifs d’Europe, comme boucs émissaires, par les musulmans et les Palestiniens. Selon elle, l’État est aujourd'hui philosémite, et manipulé par « les sionistes ». Elle tend donc à ré-instaurer une conception du monde structurellement antisémite.

- l’idéologie de l’ « islamophobie » a semé une confusion décisive dans la compréhension de la laïcité, et rendu par là des services signalés à l’Église catholique, principale bénéficiaire des atteintes à la laïcité en France, et introduit des germes de confusion et de division dans plusieurs luttes sociales (par exemple, au moment où une mobilisation démocratique et antiraciste de masse s’imposait contre les mesures anti-migrants de Macron, fin 2019, elle a mis sur le devant de la scène une manifestation de défense religieuse en faveur du port du voile).

-enfin, l’idéologie de l’ « islamophobie » empêche de combattre … l’islamophobie, ou la discrimination et les persécutions antimusulmanes réelles. Son indifférence aux débuts de génocides visant les Rohingyas et les Ouïghours n’est pas un épiphénomène, mais un signe central décisif : cette idéologie ne se définit pas en réalité par son tropisme promusulman (elle n’a rien à faire des musulmans réellement persécutés), raison pour laquelle je ne parle pas d’« islamo-gauchisme », mais par son hostilité montante envers l’égalité des droits et envers les militants ouvriers et démocratiques.

Attention : il n’est pas anodin qu’un homme politique capitaliste comme Mohamed Mahattir, premier ministre de Malaisie de 1981 à 2003 puis de 2018 à 2020, lui-même financier, théoricien de la lutte contre l’universalisme occidental, persécuteur de sodomites, antisémite, figure des Nations unies, parangon de la mondialisation économique, ait déclaré après l’assassinat de Samuel Paty que « les musulmans ont le droit d’être en colère et de tuer des millions de Français pour les massacres du passé. » Cet individu représente un secteur du capital financier mondial, se voulant « islamique », en outre bien intégré dans les circuits asiatiques. Le fait qu’il mette en mots un programme génocidaire visant les « Français » n’a rien d’anecdotique …

Cet article paraît la veille de manifestations démocratiques de masse contre le projet de loi « Sécurité globale ». Son auteur est pleinement de ce combat et interviendra dans plusieurs rassemblements à ce sujet. J’écris ici avant tout pour ces jeunes camarades (désolé pour les vieux comme A. Brossat, mais le cas semble compromis …) qui ont un monde à gagner s’ils se déprennent de leurs fétiches. Vivre et lutter librement dans le risque et le danger de la pensée autonome, sans fétiche, est la seule manière de pouvoir aider les nôtres, le genre humain et prolétarien, à s’émanciper.

VP, le 27/11/20.

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