La définition d’un examen radiologique osseux
Rappelons que l’âge chronologique (AC) correspond à l’âge réel selon la date de naissance de l’enfant (âge civil). L’âge statural (AS) correspond à l’âge de l’enfant lorsque la taille mesurée est projetée sur la moyenne sur les courbes de référence. L’âge osseux qui relève d’un examen radiologique (AO) correspond à l’âge de maturation osseuse selon les atlas de référence.
Entre diaphyse et épiphyse se trouve chez l’enfant, la métaphyse qui comprend le cartilage épiphysaire dit de croissance. Le cartilage épiphysaire est temporaire. Il assure la croissance des os longs.
Les examens radiologiques osseux reposent sur l’évaluation de la chronologie d’apparition des noyaux épiphysaires, et des os longs, de leur croissance, de leur modelage et de la disparition des cartilages de conjugaison par rapport à des données de référence.
Ces données de référence, notamment des atlas de radiographies, sont discutées et c'est l'objet de cet article.
Les différentes méthodes de détermination de l’âge par examen osseux
Greulich, Pyle, Nahum, Sauvegrain, Sempé, étudient la main et le poignet gauche. Greulich, Pyle font des comparaisons de clichés radiologiques. Nahum, Sauvegrain, Sempé utilisent des schémas. Pyle et Hoerr étudient aussi le genou gauche, la face, avec des comparaisons de clichés radiologiques. Sauvegrain et Nahum étudient le genou gauche, la face, le profil avec une cotation de chaque point. Lefeuvre et Koifman étudient l’hémisquelette avec une addition du nombre de points (pour les enfants de 0 à 30 mois). Risser étudie la crête iliaque avec une cotation du noyau de la crête iliaque.
L’atlas de Greulich et de Pyle
En France, les examens radiologiques osseux sont effectués en se référant au célèbre atlas de William Walter Greulich et de Sarah Idell Pyle, « Radiographic Atlas of skeletal development of the hand and wrist » dont la première édition date de 1950 et la deuxième de 1959.
Leur méthode est basée sur l’examen radiologique de la main gauche et du poignet gauche.
Comprendre l’objectif initial des professeurs Greulich et Pyle est primordial afin de bien saisir la polémique médicale et juridique si importante concernant l’utilisation de leur atlas
Greulich (1899-1986) et Pyle (1895-1987) enseignaient l’anatomie et l’anthropologie à la Western Reserve University de Cleveland (Ohio) et à l’université de médecine de Stanford.
Le professeur de radiologie pédiatrique, Catherine Adamsbaum, explique que l’atlas Greulich-Pyle se compose d’une série de reproductions de la main et du poignet, chaque reproduction correspondant à l’âge moyen d’un âge chronologique selon le sexe.
Ainsi, l’âge osseux d’un enfant est estimé en faisant concorder sa radiographie avec l’une des images de référence, privilégiant la maturation des épiphyses en cas de dissociation entre la maturation du carpe et la maturation des épiphyses des phalanges. La professeur Adamsbaum est réservée sur la fiabilité des examens osseux en référence à l’atlas de Greulich-Pyle.
Retracer le parcours des professeurs Greulich et Pyle permet de mieux appréhender les enjeux.
En réalité, Greulich et Pyle se sont appuyés sur l’atlas de Thomas Wingate Todd « The Atlas of skeletal maturation », datant de 1937.
Thomas Wingate Todd (1885-1938), à l’origine spécialiste de médecine dentaire, enseignait l’anatomie et l’anthropologie physique à la Western Reserve University de Cleveland.
L’atlas de Todd est principalement construit avec des données provenant d’une cohorte d’enfants, d’âge connu, ce qui est fondamental à préciser, d’origine nord-américaine, originaires d’Europe du nord, de niveau socio-économique élevé.
L’étude a été réalisée avec l’aide de la Brush Foundation study of human growth and development of the Western Reserve University School of medicine de Cleveland (Ohio).
La « Hamann-Todd Human Osteological Collection » du musée d’histoire naturelle de Cleveland réunit plus de trois mille cent squelettes. C’est d’ailleurs une des collections anthropologiques les plus réputées du monde dont la data base est consultable sur internet.
Greulich et Pyle ont complété l’atlas de Todd, ajoutant notamment une méthode graphique (connu sous le nom de Pyle’s red graph).
L’atlas de Greulich et de Pyle est la cible de nombre de critiques du milieu médical. L’atlas critiqué est construit avec des enfants d’âge connu, blancs, de milieux aisés alors qu’il est utilisé actuellement pour des jeunes migrants aux origines ethniques variées, souvent malnutris, en mauvaise santé, dont l’âge justement est inconnu ou discuté.
Qu’en pensent les spécialistes ?
La critique de l’utilisation de l’atlas Greulich-Pyle
La société française pour la santé de l’adolescent, la société française de pédiatrie, le syndicat national des médecins de protection maternelle et infantile (SNMPMI), l’association nationale des maisons des adolescents, l’association française de pédiatrie ambulatoire, l’ONG Pédiatres du monde, ont publié un communiqué commun le 7 mars 2016, expliquant leur opposition à la détermination de l’âge par examen radiologique osseux. Le Royal College of paediatrics and child health du Royaume-Uni a rejeté cette méthode dès le 19 novembre 2007 mais beaucoup d’articles hostiles avaient été écrits avant.
Rappelons l’analyse d’un spécialiste de radiologie pédiatrique et d’une spécialiste d’endocrinologie pédiatrique.
Georg Friedrich Eich, président de la Société suisse de radiologie pédiatrique (SSRP) et Valérie Schwitzgebel, présidente de la Société suisse d’endocrinologie et de diabétologie pédiatriques présentent leur analyse de la manière suivante :
« La méthode de Greulich-Pyle est reconnue pour déterminer l’âge biologique mais elle n’a été ni conçue, ni testée pour déterminer l’âge chronologique.
La variabilité individuelle (l’écart-type) de l’âge osseux, selon Greulich et Pyle, par exemple, pour un jeune homme de 17 ans est de 15,4 mois.
En tenant compte d’un double écart-type qui est couramment utilisé pour mesurer la norme en médecine, il en résulte une différence de plus de deux ans. De ce fait, un garçon de 17 ans en bonne santé, peut avoir un âge osseux de 19 ans et présenter une maturation osseuse terminée. En d’autres termes, même avec la fusion complète du cartilage de croissance, il est possible que l’âge chronologique soit moins de 18 ans.
Les filles atteignent la fin de leur croissance plus tôt que les garçons, ce qui augmente la possibilité que l’examen radiologique de la main d’une fille mineure révèle un squelette mature, suggérant un âge plus avancé.
Les données actuelles concernant l’âge osseux d’ethnies différentes ne sont disponibles que ponctuellement et ne peuvent d’autant moins être appliquées à la population actuelle de migrants.
Certaines maladies comme les troubles du système endocrinien peuvent interférer avec le processus de maturation osseux. »
La conclusion des docteurs Friedrich et Schwitzgebel est sans appel :
« Ainsi, une évaluation de la maturation osseuse sans examen médical supplémentaire et/ou sans évaluer l’état nutritionnel doit être rejeté. Enfin, la radiographie est un examen médical réalisé avec des rayons ionisants, donc potentiellement dangereux . »
Un détournement méthodologique
Le professeur de médecine légale de l’université Paris 13, Patrick Chariot, parle au sujet de la méthode Greulich et de Pyle, de « détournement méthodologique ».
Il explique que l’atlas de Greulich et de Pyle, a été conçu pour détecter notamment chez des enfants « d’âge connu » un trouble de croissance ou de maturation osseuse. L’atlas en question n’a jamais eu pour objectif d’estimer un âge. Quant à l’âge dentaire, conclure qu’un adolescent qui a ses quatre dents de sagesse, est âgé d’au moins ou de plus de dix-huit ans, est impossible. Il ajoute que le poids, la taille, et le périmètre crânien sont insuffisants pour déterminer un âge.
Devant la polémique et l’absence d’autres méthodes, le gouvernement français avait saisi en 2006 l’Académie de médecine afin d’évaluer la validité et la fiabilité des techniques de détermination de l’âge par examen radiologique osseux.
La position de l’Académie de médecine
L’Académie de médecine, saisie par lettre du 8 mars 2006, par le ministre de la Justice et de la Santé, indique que « la méthode de Greulich et de Pyle universellement utilisée permet d’apprécier avec une bonne approximation, l’âge de développement d’un adolescent en-dessous de seize ans mais beaucoup moins entre seize ans et dix-huit ans. »
Mais en droit, devant une juridiction, comment expliquer ce qu’est une « bonne approximation » ?
Alors, l’Académie de médecine recommande « une double lecture de l’âge osseux par un radio-pédiatre et par un endocrino-pédiatre ».
L’analyse de Georg Friedrich, radio-pédiatre, et Valérie Schwitzgebel, pédiatre endocrinologue, est particulièrement éclairante sur la question.
Que faire devant de telles discordances ?
L’Académie de médecine déclare également « que l’examen clinique du développement pubertaire, complété au besoin d’une mesure de la hauteur utérine, à l’échographie pelvienne chez la fille, renforcera la précision de la lecture ».
L’atlas de Greulich et Pyle est « la méthode la plus simple et la plus fiable ».
Toutefois, l'article 388 du code civil prévoit bien autre chose.
"Le mineur est l'individu de l'un ou l'autre sexe qui n'a point encore l'âge de dix-huit ans accomplis.
Les examens radiologiques osseux aux fins de détermination de l'âge, en l'absence de documents d'identité valables et lorsque l'âge allégué n'est pas vraisemblable, ne peuvent être réalisés que sur décision de l'autorité judiciaire et après recueil de l'accord de l'intéressé.
Les conclusions de ces examens, qui doivent préciser la marge d'erreur, ne peuvent à elles seules permettre de déterminer si l'intéressé est mineur. Le doute profite à l'intéressé.
En cas de doute sur la minorité de l'intéressé, il ne peut être procédé à une évaluation de son âge à partir d'un examen du développement pubertaire des caractères sexuels primaires et secondaires."
Le débat au sujet de la détermination médico-légale de l'âge des mineurs non accompagnés reste d'actualité, et compte tenu du contexte politique, il le sera encore un certain temps. Sujet à suivre de très près.
Vincent Ricouleau
Professeur de droit (Vietnam / Laos) / CAPA / DU urgences médico-chirurgicales / DU psychiatrie / DU évaluation des traumatisés crâniens / DU traumatismes crâniens adolescents et enfants-SBS