Une fois par mois, les membres de l'association Prop'Réunion se retrouvent pour une opération « Coup de Prop' ». Stratégiquement positionnés à proximité des embouchures de rivières, ils ramassent les déchets abandonnés qui polluent le littoral réunionnais. Parmi les différents détritus collectés se trouvent des déchets classifiés « dangereux » par le Code de l'environnement : « on trouve régulièrement des piles, des bidons d'huile de vidange, parfois des morceaux d'amiante... mais ce que l'on retrouve le plus, ce sont les batteries de voitures », constate Matthias Commins, président-fondateur de l'association.
Pour de nombreux habitants de l'île, c'est un fait observable : depuis 2021 et la crise du Covid, les dépôts illégaux de batteries usagées sont en augmentation. Ces dépôts représentent un véritable danger, car les batteries de voitures contiennent des substances toxiques, en particulier le plomb, qui provoque le saturnisme. « Parfois, les batteries sont dissimulées sous un buisson, mais souvent les gens les mettent en évidence sur le trottoir » précise Matthias Commins. Quand elles sont abandonnées dans les ravines, le risque de contamination des sols est plus important : « au niveau des embouchures, on retrouve des carcasses de batteries. Elles ont été emportées par la rivière, fracturées par les galets. Le plomb est sûrement passé dans le sol, ou bien dans l'eau. »

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Comment expliquer ces inquiétants dépôts illégaux de batteries usagées ? En théorie, une batterie usagée doit être ramenée au vendeur, qui a obligation de la reprendre et de la remettre aux organismes habilités à collecter et recycler les déchets dangereux. Or sur l'île de La Réunion, il n'existe pas d'usine de valorisation des déchets dangereux (une unité de pré-traitement de certains déchets ouvrira en 2023). Ceux-ci sont donc stockés, avant d'être envoyés pour recyclage en métropole. « Le transport est effectué par la compagnie maritime MSC, qui est la seule compagnie qui accepte les déchets dangereux au départ de La Réunion. Comme on n'a pas d'autre option, on ne peut pas négocier les coûts financiers ni les fréquences des bateaux » explique David Pincepoche, directeur de l'Association de Traitement des Batteries de La Réunion (ATBR). Il faut dire que le transport de déchets dangereux est très encadré : chaque port d'escale doit consentir au préalable au transit, ce qui implique de très lourdes démarches administratives. Au printemps 2021, la crise du Covid a entraîné d'importantes perturbations du fret maritime. Face aux complications, MSC a décidé d'interrompre le transport des déchets dangereux réunionnais. Malgré la gravité de ses conséquences, cette décision a été prise en toute légalité, car contrairement aux fabricants et distributeurs de produits dangereux, les compagnies de transport n'ont à ce jour aucune obligation de participer au recyclage. « Et comme le transport de déchets dangereux ne représente qu'une infime partie de leur chiffre d'affaire, il n'est pas prioritaire », commente D. Pincepoche.
Le problème, c'est que pendant ce temps-là à La Réunion, la production de déchets a continué. L'unique plate-forme de stockage de l'île s'est trouvée saturée, et la collecte interrompue. Les batteries se sont accumulées dans les garages et les concessionnaires automobiles, jusqu'à que ceux-ci refusent à leur tour de les reprendre. C'est alors que les dépôts illégaux ont probablement augmenté, amplifiant un phénomène déjà problématique sur l'île de La Réunion.

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Aujourd'hui, le transit vers la métropole a repris son rythme régulier. Mais le stock de déchets amoncelés pendant la crise continue de saturer les lieux de stockage. Pour l'évacuer, un navire a été spécialement affrété. Il quittera La Réunion à la fin du mois d'octobre, avec à son bord une cargaison exclusive de déchets dangereux. Cette opération inédite, pilotée par le Syndicat de l'Importation et du Commerce de la Réunion (SICR) avec la participation financière du Conseil régional, va permettre de désengorger toute la chaîne de collecte et de stockage.
La crise qui s'achève a révélé les limites de la filière de recyclage des déchets dangereux réunionnais. Les compagnies privées de transport maritime fixent les prix, les volumes de chargement et les fréquences des escales sans considération des enjeux environnementaux et sanitaires liés à ce type de déchets. Et pourtant, comme le rappelle D. Pincepoche, « La gestion des déchets fait partie de notre bien-être à tous. Leur prise en charge est une question de citoyenneté et de responsabilité globale ». Sécuriser la filière impliquerait notamment de développer des solutions locales de recyclage, ce qui est d'autant plus nécessaire que de nouveaux types de déchets dangereux font leur apparition sur l'île, tels que les batteries au lithium-ion que l'on trouve dans les véhicules électriques. Ces batteries, elles aussi recyclées en métropole, sont particulièrement inflammables et explosives. Si bien que, pour le moment, aucune compagnie maritime n'accepte de les prendre à bord...