La décision avait été retardée par le séisme. Lundi 6 mars, après de nombreuses tergiversations, l’alliance d’opposition « la Table des Six » a enfin désigné son candidat pour la présidentielle. Il s’agit de Kemal Kiliçdaroglu, président du CHP, le parti historique de Mustafa Kemal Atatürk. Lors de l’élection du 14 mai, Kiliçdaroglu sera le principal adversaire du leader de l’AKP Recep Tayyip Erdogan, qui brigue un troisième mandat. Afin de faire face à la dérive autoritaire de ce dernier ainsi qu’au désastre économique en cours, la Table des Six a établi un programme commun, publié le 31 janvier dernier.
Kiliçdaroglu fait partie de la communauté alévie, qui représente la plus importante minorité confessionnelle et culturelle du pays. Historiquement persécutés, les alévis sont aujourd’hui encore l’objet de nombreux préjugés habilement alimentés par le gouvernement Erdogan, qui conduit depuis des années une politique d’assimilation forcée des alévis au sunnisme majoritaire.
Depuis quelques mois, une partie du débat porte sur l’éventuelle influence de l’identité alévie de Kiliçdaroglu sur les intentions de vote des électeurs. Pour certains commentateurs, le choix d’un candidat alévi défavorise le camp de l’opposition, car il fait courir le risque d’une désertion d’une partie de l’électorat sunnite. Pour d’autres au contraire, l’identité alévie de Kiliçdaroglu est un point d’appui pour favoriser le report des voix du parti kurde HDP au second tour. C’est notamment l’avis du renommé avocat des droits de l’homme Erdal Dorgan, pour qui Kiliçdaroglu « a le potentiel d'influencer les électeurs kurdes plus que tout autre candidat »1.
De son côté, le principal intéressé semble décidé à maintenir une séparation stricte entre sa vie privée et ses prétentions politiques. Depuis ses débuts en politique, Kiliçdaroglu s’est toujours abstenu de mentionner publiquement ses origines religieuses et communautaires, sauf quand il y est contraint par les journalistes2. En ces rares occasions, il déplore que son identité alévie fasse l’objet d’un débat médiatique, alors que lui-même a toujours « refusé de faire de la politique sur la base de l’identité ethnique et religieuse. »3
Moins scrupuleux, Erdogan s’est pour sa part engagé dans une tentative de séduction de l'électorat alévi. À la surprise générale, il a annoncé début novembre la création d’une agence d’État "dédiée à la culture alévie-becktachie", rattachée au Ministère de la culture et du tourisme, et censée répondre aux besoins de la communauté. Bien que divisées, la majorité des organisations alévies dénoncent une manœuvre électoraliste, doublée d’une nouvelle tentative de mise sous tutelle du culte alévi.
1https://www.al-monitor.com/originals/2023/01/will-kurds-choice-field-own-candidate-benefit-erdogan-or-turkeys-opposition
2https://www.youtube.com/watch?v=85FBLzIlmlc
3 https://www.cnnturk.com/yazarlar/aleviyim-ne-var-bunda