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Billet de blog 21 août 2025

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Non d’un film ! Lettre ouverte au cinéma

Lettre ouverte d’un cinéaste aux professionnels et au public. J’explique comment mon projet Silure a été écarté puis recyclé dans Sous la Seine (Netflix), pourquoi j’ai engagé une action en justice, et ce que je demande : rendre les faits visibles et obtenir le soutien nécessaire pour poursuivre.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

J’ai dédié ma vie au cinéma. Parallèlement à la production des premiers films de Thomas Bardinet, Dominik Moll, Laurent Cantet, Gilles Marchand, j’ai débuté, il y a trente-cinq ans, un parcours de cinéaste que je poursuis encore aujourd’hui, sans jamais avoir renoncé à mon exigence ni à mon indépendance artistique. 

Je suis d’une génération qui a appris à fabriquer des récits en tâtonnant, en résistant, en dialoguant avec toutes sortes de partenaires. Et ce dialogue, imparfait, conflictuel parfois, était la condition même de la création.

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De g. à d. : Bénédicte Mellac, Laurent Cantet, Dominik Moll, Gilles Marchand, Vincent Dietschy © Philippe Praliaud

En 2012, dans le désir de fonder une famille (biologique) en continuant à vivre de mon métier, je choisis de développer Silure, un projet de long métrage destiné à un public large. Un récit inspiré de mon histoire amoureuse, de Paris et des eaux opaques de la Seine, que je connais depuis l’enfance. Un film à grand spectacle, mais personnel. Un « blockbuster d’auteur », comme j’aime l’appeler.
L’accueil de mes proches m’encourage. Durant deux ans, je travaille le scénario, que je propose ensuite à des producteurs et à des productrices, qui s’y intéressent. L’un d’eux, enthousiaste, souhaite que Roman Polanski, David Cronenberg ou Paul Verhoeven le réalise. J’ai alors tourné deux longs métrages, dans des économies modestes et davantage centrés sur les relations humaines que sur l’action ou les problèmes environnementaux. Pourtant, je tiens à réaliser ce film. Je veux y croire.
Silure continue de circuler. Il trouve des soutiens, mais, après des mois de promesses, tout se fige.
Les années passent.
Je n’oublie pas Silure : mon double de fiction reparcourt mon chemin et rejoue mes tentatives pour le faire financer, dans le long métrage que j’écris et réalise, et qui sort au cinéma en 2022, Notre Histoire (Jean, Stacy et les autres).

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Olivier Martinaud dans Notre Histoire (Jean, Stacy et les autres) © Vincent Dietschy

En 2023, Netflix annonce Sous la Seine. Les images me glacent. Je regarde. Je reconnais. Le contexte, l’action, les personnages, les victimes du prédateur aquatique, les arcs narratifs, toutes les données de Silure s’y retrouvent. La manière dont le changement climatique est évoqué, les relations entre les deux personnages principaux, le rôle de la Maire de Paris, le lien avec les Jeux olympiques, pour ne citer que quelques exemples, relèvent de l’emprunt explicite.
Je reconnais aussi des personnes qui avaient salué Silure, discuté du scénario, puis rompu tout contact sans un mot. Nos échanges passés, eux, sont toujours là. Sur mon téléphone. Sur mon ordinateur.
Je découvre que les autrices et les auteurs de Sous la Seine sont sept. Leur travail, qui s’étale sur plus de huit ans, commence avec celui d’un homme presque sans expérience, associé à une femme qui n’a jamais rien écrit. Toutefois, elle et lui apparaissent tardivement dans le storytelling de la fabrication du film. Ce sont un producteur et un distributeur qui revendiquent être à l’origine de Sous la Seine. Alors que ni l’un ni l’autre n’a jamais initié de long métrage. Alors que l’antériorité de Silure est incontestable et incontestée.

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Je vois deux formes de détournement. L’une, classique, est un plagiat, limpide, évident. L’autre est plus trouble, plus moderne aussi : la reprise d’un geste artistique vidé de sa source. Une façon de réutiliser la matière vive d’un film qui n’a pas encore existé, en gommant tout ce qui faisait sa singularité : son rythme, sa mémoire, le cœur même de la relation entre ses personnages.
Je crois à une logique industrielle, rationnelle : Silure a été jugé positivement, mais un peu trop compliqué à produire avec son auteur.
Pourquoi s’encombrer d’un réalisateur, peu connu des financiers, que le droit d’auteur protège et qu’il faudra convaincre de la nécessité de tel ou tel choix ?
Pourquoi s’encombrer tout court, quand la machine peut réécrire le projet, docilement et sans aspérités ?

Ce n’est pas un complot : c’est une mécanique froide.
La machine a transformé un projet incarné en produit global, en récit conçu pour être vu partout, à l’instant T, sans que ses responsables, de toute évidence, aient à se préoccuper de quoi que ce soit d’autre.

Pour elles et pour eux, c’est un triomphe : leur film, diffusé dans plus de quatre-vingt-dix pays, devient l’un des plus grands succès de l’histoire de Netflix. Un divertissement planétaire, poli, formaté. Ce n’est pas mon film. C’est autre chose. Un produit standardisé, pensé pour une économie de clics et de rebonds. Une logique de flux, pas de regard.
Je ne le regrette pas pour moi seul, car je défends l’idée qu’un film est un geste, une intention adressée au collectif, pas un simple contenu. Qu’il a une mémoire, une part de chair, une singularité, et qu’il porte un point de vue qu’aucun algorithme ne peut dissoudre sans conséquences.

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Certaines personnes me conseillent de tourner la page. D’oublier. Mais c’est bien là le cœur du problème : oublier. Oublier qu’il y avait une pensée. Oublier qu’il y avait des sentiments. Oublier qu’il y avait un auteur. Oublier qu’un projet artistique, c’est autre chose qu’une matière première pour alimenter les tuyaux d’une usine à contenus.

J’ai décidé de porter plainte. La suite du procès dira ce qu’elle doit dire. Ce qui m’importe aujourd’hui, c’est de maintenir vivant le refus d’accepter qu’il arrive ce qui est arrivé à mon travail, comme si cela allait de soi, comme si c’était la règle.
J’espère que nous sommes encore suffisamment à croire qu’un film peut émouvoir, emporter — même si l’industrie pousse sans cesse pour que rien ne déborde.
Suffisamment pour faire entendre et considérer notre refus qu’un geste de création soit laminé, avalé, puis recraché sans lien avec la personne qui l’a fait naître ; qu’un point de vue singulier soit transformé en produit anonyme (par exemple, sur Netflix, seule la marque est mise en avant) ; qu’un auteur ou une autrice soit rayée pour rendre un projet plus facile et plus rapide à vendre.

Depuis deux ans, je mène ce combat sans aucun soutien institutionnel. Aucun syndicat n’a pris position à mes côtés ; ni la SRF, ni l’ARP, que j’ai maintes fois sollicitées. La SACD, dont je suis membre, aurait dû me soutenir financièrement et juridiquement : c’est inscrit dans ses statuts. Mais lors d’un rendez-vous, on m’a dit poliment que mon affaire tombait mal : « La négociation avec Netflix est difficile, ne la fragilisons pas. »

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Depuis 2023, Annabelle Bouzom réalise un documentaire sur l'affaire. © Vincent Dietschy

Je m’efforce de comprendre les personnes qui, dans les syndicats, les coulisses ou le milieu du cinéma, restent à distance. J’essaie de me mettre à leur place.
Face à une investisseuse aussi institutionnalisée que Netflix, qui fait de Paris le centre d’un blockbuster mondial, qui oserait s’interposer ?
Qui prendrait le risque de se signaler — même légitimement — aux yeux de la plus puissante diffuseuse de la planète, alors qu’une suite du film est envisagée et qu’un feu vert peut tomber ?

Reste que le silence, la neutralité, le recul de celles et de ceux qui pourraient me tendre la main mettent en jeu ce que nous avons toujours défendu ensemble : les droits des auteurs et des autrices, l’intégrité et la reconnaissance de leur travail. C’est pourquoi je garde l’espoir qu’elles et eux me rejoignent vite — même discrètement, avec leurs mots, leurs gestes — pour rééquilibrer un peu le rapport de forces, tant qu’il est encore temps.
Une société débarrassée de tout frottement humain, est-ce cela que nous voulons ?

C’est ce que cette affaire, encore plus qu’un cas d’école sur la survie du cinéma de création, interroge : notre propre humanité, ne serait-ce que dans sa capacité à dire non. Non aux abus de pouvoir, quels qu’ils soient, d’où qu’ils viennent.

Mon action a un prix — intime, professionnel, social, financier. Je poursuis la procédure. J’en assume les coûts, avec l’aide de mes avocats, Maîtres Benoît Huret et Guillaume Prigent. Tous deux partagent ma conviction : ce procès peut faire reconnaître le préjudice que j’ai subi.
Le temps, lui, ne revient pas. Et pendant que mes pertes s’accumulent, les gains issus de Silure ne cessent d’augmenter sans aucun frein. Alors que la légitimité de la suite que Netflix envisage nous paraît, au vu de notre dossier, hautement contestable.

Des proches, des connaissances, des gens qui me sont totalement inconnus ont contribué à notre collecte pour le financement de notre action judiciaire. Eux et elles m’ont permis de tenir jusque-là. Mieux encore : grâce à elles, à eux, j’entrevois une issue possible. Une victoire, peut-être, dans les mois qui viennent. Notre travail sur le front juridique est solide et nous le continuons chaque jour. Si nous en avons les moyens, nous irons jusqu’au bout.

Je ne peux me résoudre à l’idée qu’un regard, une histoire n’aient plus le moindre poids face à la machine.

J’écris ce texte pour le dire, et pour rappeler qu’à l’endroit même où l’on voudrait qu’il ne reste rien d’un auteur, il peut naître une résistance.

Vincent Dietschy

Merci de partager ce texte si vous en partagez les enjeux. Chaque lecture, chaque voix comptent.

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Silure dans Notre Histoire (Jean, Stacy et les autres) de Vincent Dietschy (2022) © Inside Betty

Cliquer sur les liens suivants pour :
– voir ou soutenir la collecte pour le financement de l’action judiciaire ;
– suivre l'affaire sur mon site ;
Merci pour votre attention et votre curiosité.
Vincent Dietschy

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.