S’il est possible de faire de la publicité lors des contrôles de sécurité aux aéroports comme le soulignait le précédent billet, on peut supposer que le lien entre commerce et sécurité est peut être plus facile à faire qu’on ne le croit. Me voici à bord d’un vol Air France Berlin-Paris revenant d’un colloque sur …les politiques de sécurité en Europe. J’entre dans l’avion dans les derniers juste avant le début du comptage des passagers. L’arrière est plein, l’avant presque vide. J’ai un siège peu commode au milieu d’une rangée. Je me mets donc un peu en avant là où il y a de la place mais le steward m’avertit qu’il s’agit d’une autre classe et d’autres « prestations ». Il va d’ailleurs de ce pas avertir son chef de ce franchissement illicite de frontière entre la « classe éco » et l’autre classe éco. D’autres personnes ont fait la même chose que moi. La chef de cabine fait alors une annonce avant le décollage « pour des raisons de sécurité, les passagers sont priés de regagner le siège qui leur a été attribué ». La sécurité ? Cela me rappelle tout de suite un édito très drôle qui était paru dans The Economist sur tout ce qui est fait dans les avions au nom de la sécurité. Par exemple, l’annonce qui est faite sur l’utilisation des portables interdite au moment du décollage et de l’atterrissage. Imaginez disait en gros l’édito que ce soit vrai et que les avions s’affolent parce qu’un téléphone portable n’a pas été éteint et brouille les liaisons entre le cockpit et la tour de contrôle… le nombre d’accidents quotidiens.
Mais la chef de cabine n’est pas drôle. Elle vérifie avec son manifeste de vol que tous les passagers en « Tempo challenge » sont bona fide. Elle m’explique que je dois regagner mon siège en classe éco. OK mais c’est une question de prestations ou de sécurité ? Elle est déjà énervée car je viens de lui dire que « çà tombe bien, je suis journaliste » . . . bon j’ai un blog sur Mediapart… autant dire une part dans les médias. La chef de cabine ne se démonte pas et m’explique qu’effectivement c’est une question de sécurité, « une question de centrage de l’appareil ». Bon je suis un peu ronde mais de là à déséquilibrer un Airbus de cette taille parce que je suis au siège 11C et non 17E… et le faire piquer du nez sur la ville de Leipzig ou Luxembourg…
Je suis déjà debout et prête à regagner mon siège. L’incident est clos ? Non, elle me menace « je vais en référer immédiatement au commandant de bord ». Air rage… je m’imagine déjà menottée à la descente de l’avion. Je ne me suis pas énervée et j’ai regagné ma place en même temps que les autres passagers qui s’étaient avancés dans l’avion. Bon, le coup de « je suis journaliste », çà marche pas. Les journalistes ont donc si mauvaise presse ? J’aurais dû sortir ma carte « super elite » voyageur hyper fréquent mais bon je n’en ai pas. Si j’ai posté ce mail, c’est que le chef de cabine n’a pas convaincu le pilote de me faire la morale.
Justement, il est temps de tirer la morale de cette histoire. Les voyages en avion ont augmenté de façon géométrique et au fur et à mesure la gestion des vols est devenue une gestion des foules assez moutonnières et dociles par ailleurs. On vous met des plateaux sur les tablettes, on vous rajoute des turbulences et des menaces d’air rage pour que vous restiez bien sagement à votre place.
Là-dessus les compagnies aériennes commencent à participer de plus en plus régulièrement à la politique d’expulsion en acheminant les personnes reconduites et leurs accompagnateurs de la Police de l’air et des frontières (PAF), qui en profitent pour accumuler des points pour emmener leurs femmes gratuitement en vacances…dixit le Canard enchaîné du 23 avril 2008 et). L’article 26 de l’accord de Schengen de 1990 diffuse un instrument de politique de contrôle de l’entrée des étrangers : les sanctions contre les transporteurs. Les compagnies aériennes vont alors engager des directeurs de la sécurité souvent des anciens membres de la PAF ou de la police. C’est leur mentalité et leur vision des choses qui va faire son chemin au sein des compagnies aériennes (cf. un article paru dans Cultures et conflits : Logiques et pratiques de l’Etat délégateur : les compagnies de transport dans le contrôle migratoire à distance). Le 11 septembre apporte son lot de nouveautés dont les fameux air marshalls et le transfert des données passagers (cf. un autre article paru en 2005 dans Critique internationale).
Si, dans les années 1980, les compagnies aériennes se plaignaient des coûts qu’elles devaient prendre à leur charge, des retards sur l’horaire pris à cause des contrôles, des risques de mauvaises relations avec les pays d’origine des migrations d’où leurs vols émanaient, ce n’est plus le cas. Elles jouent à fond la carte de la sécurité. Elles ont investi dans les compagnies qui vendent des systèmes informatiques, ou dans les sociétés de gardiennage. Drôles de compagnons de route ? On a tellement dit que le capitalisme n’avait pas de frontières qu’on oublie que, s’il y a un marché de la frontière, cela changera la donne.
Calmer, gérer les foules, éviter les incidents avec les ressortissants « extra-communautaires » que l’on reconduit. Didier Bigo parlerait de « gouvernementalité de l’inquiétude ». Pour ne pas être un mouton, il faut renoncer à l’avion… et au train sur les lignes SNCF où l’on contrôle l’accès au quai.