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Billet de blog 29 août 2023

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Nous avons les moyens de les sauver, mais nous ne le faisons pas

Le nombre de morts en mer ne cesse de croître : plus de 1 800 depuis le début de l'année. Nous devons assumer notre rôle de sauvetage en mer et d’accompagnement des migrants sur notre territoire et ne pas confier ces tâches à d’autres acteurs moins regardants. Par Vittorio Alessandro, amiral en congé et ancien porte-parole de la Guardia Costiera italienne.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Nous ne comprenons pas pourquoi les unités de haute mer de la Guardia Costiera italienne, qui sont rarement opérationnelles dans les sauvetages, ne sont pas déployées à Lampedusa et dans les ports du canal de Sicile.

Le dernier naufrage grave survenu dans le détroit de Sicile (entre jeudi 3 et vendredi 4 août) avec quarante et un morts – survenu après les quatre-vingt-dix du week-end précédent – est une nouvelle preuve de l’inefficacité du système de sauvetage. 

Le grand nombre d'interventions en mer et de débarquements à Lampedusa trahissent l'absence d'une vision réaliste des choses : non seulement les arrivées se sont multipliées par rapport à l'année dernière, mais l'Etat fait constamment appel aux navires des ONG pour intervenir. 

Pourtant, il continue de les désigner comme facteur d'attraction et les accuse même de complicité avec les trafiquants, en entravant leurs opérations, voire en les punissant. Malgré les efforts multipliés de la Guardia Costiera et de la Guardia di Finanza, jusqu'à leurs limites opérationnelles, le silence gêné du gouvernement se poursuit. Celui-ci semble surtout déterminé à vider continuellement le “hotspot” (centre d’acceuil de la Croix Rouge Italienne ; note du traducteur) de Lampedusa, où même les institutions locales sont mises à rude épreuve pour assurer la continuité des opérations.

Les accords avec la Libye et la Tunisie n'ont pas changé une situation qui, au contraire, s'est aggravée. Le nombre de morts en mer ne cesse de croître : plus de 1 800 depuis le début de l'année, selon les estimations de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), dont de nombreux enfants, et un nombre indéterminé de personnes disparues. 

Dans les pays de départs, les observateurs dénoncent une brutalité systématique contre les migrants, sur leur territoire et en mer. De surcroit, les milices locales exercent non pas le secours mais une poursuite méprisable.

Si nous voulons vraiment une politique maritime qui place au premier plan le respect des droits et la qualité des relations diplomatiques, il faut abandonner la logique des frontières qui, de toutes façons, demeurent franchissables. En outre, il faut assumer notre rôle de sauvetage en mer et d’accompagnement des migrants sur notre territoire et ne pas confier ces tâches à d’autres acteurs moins regardants.

La stratégie actuelle produit des morts invisibles et répand un poison et une indifférence croissante dans notre société, affectant un engagement d'aide qui, aussi généreux soit-il, est incohérent et conduit à de graves erreurs - comme nous l’avons vu à Cutro (n.d.t.: Cutro, Calabria, le 25.2.2023, naufrage du voilier “Summer love”, plus de cent morts).

Elle conduit également à un harcèlement pur et simple, comme dans le cas du navire Geo Barents. Mardi dernier (8.8.2023, n.d.t.), il a secouru quarante-sept migrants qui étaient à la dérive depuis six jours au cours d'une opération de sauvetage compliquée, durant laquelle trois personnes sont tombées à la mer. L’une d’entre elles est toujours portée disparue.

Le navire a ensuite été affecté au port de La Spezia, dans le Nord de l’Italie. Ces naufragés, après avoir souffert de la mer et de la peur, ont dû faire encore quatre jours de voyage avant de pouvoir toucher terre.

Il est donc urgent et nécessaire d'ouvrir des couloirs humanitaires. Et si ces derniers sont difficiles à mettre en place dans un premier temps, il faut entre-temps mettre en place un dispositif de sauvetage adéquat. Ainsi qu’un dispositif d’accueil.

Nous ne comprenons pas, par exemple, que les unités hauturières de la Guardia Costiera, rarement opérationnelles dans les sauvetages en haute mer, ne soient pas déployées à Lampedusa et dans les ports du canal de Sicile. De même, nous ne comprenons pas pourquoi l'urgence n'est pas traitée avec toutes les ressources disponibles: les grands ports du Sud et le volontariat organisé, selon une stricte coordination de l'État.

Ces mesures doivent être prises immédiatement pour que nous puissions parler d'un rôle fort de l'Italie dans notre mer. Un rôle placée sous le signe de la civilisation et de la compréhension d'un phénomène qui ne remet pas seulement en cause les bons sentiments, mais des siècles de civilisation maritime ainsi qu'une grande sédimentation d'expériences et de règles. 

Texte initialement paru dans Il Manifesto, le 10 aout 2023. Traduit par Marco Francesco Morosini 

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.