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Billet de blog 2 mars 2023

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Vivre avec la grève du Joint français : le conflit en anachronisme

En mars 1972 , les ouvrièr·e·s de l’usine du Joint français, votent la grève et l’occupation. Cinquante ans plus tard le temps est à l’anniversaire… diversement célébré. Vivre avec la grève du Joint français, n’entend pas faire image de l’évènement mais mettre au travail son actualité, c’est-à- dire les façons dont il peut venir percuter notre présent, ainsi que les modalités d’un héritage.

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Une exposition contemporaine : quand l’actualité entre au musée

Illustration 1
Vivre avec la grève du Joint français : le conflit en anachronisme © Atelier McLane

En février 1972, les ouvrières et ouvriers de l’usine du Joint Français, usine décentralisée de la Compagnie générale d’électricité, entrent en conflit avec leur direction autour de revendications salariales. Il s’ensuit une série de débrayages puis la grève générale et l’occupation sont votées le 10 mars. L’usine est évacuée le 17 par les gendarmes mobiles. Le 8 mai, un protocole d’accord est accepté par le vote des ouvrières et ouvriers. Cette grève qui, au final, aura duré un peu plus de huit semaines, peut rapidement se caractériser par une double dimension, nationale – par l’ampleur des mouvements de soutien et des investissements politiques qui la grandissent dans des thématiques qui leur sont propres – et régionale – par la solidarité tant ouvrière que paysanne et la jonction avec les mouvements culturels. Par conséquent ce moment de 72 peut aussi être considéré comme la cristallisation de la définition de ce qu’est ou devrait être la Bretagne.

Cinquante ans plus tard, en 2022, le temps sera à la célébration de l’évènement, à sa commémoration, à sa mise en contexte, ou encore à sa représentation. Faisant un pas de côté, l’exposition proposée n’entend pas faire image de l’évènement mais plutôt mettre au travail son actualité, c’est-à-dire les façons dont il peut venir questionner notre présent, ainsi que les modalités selon lesquelles on peut en hériter et y porter attention.
Ce ne sera donc pas la seule grève du Joint français qui sera convoquée, mais aussi d’autres moments et évènements, parmi lesquels ceux que nous vivons aujourd’hui.

Illustration 2
Vivre avec la grève du Joint français : le conflit en anachronisme © Hervé Beurel

Vivre avec la grève du Joint français est le résultat de trois ans de travail de recherche, durant lesquels il a été question d’exercer une discipline qui cherche à réfléchir non sur, mais avec les êtres rencontrés sur le terrain.
Trois ans de déambulations avec des personnes et leurs réflexivités, dans la conversation de leurs traces (littérature, œuvres, documents d’archives…). Des allées et venues dans lesquelles se sont créés des espaces de correspondances qui, en nous déplaçant ont fait apparaître une série d’interrogations anthropologiques constituant le squelette du parcours muséographique dans lequel il vous est fait proposition de vous engager.

  • Faces aux traces, commémorer ou hériter ?
  • Voir la voix
  • La valeur des vies
  • Les archives comme provisions
  • Écrire l’histoire
  • Corps de femmes/corps d’homme
  • Indisciplines/illégalismes
  • Collectifs
  • De quoi sont faits les territoires ?

Cette exposition se présente donc comme un téléscopage, un montage d’expériences de temps et d’espace divers, qui tout en brouillant les raccourcis facilités par les discours établis, permet de repenser les cheminements.

Une exposition « différente » dans la façon de se créer

Illustration 3
Travail préparatoire de la frise monumentale de la grève du Joint français © Alain Marcon, photo Hervé Beurel

Différente d’abord par la place particulière accordée aux publics. Ils sont compris ici comme l’ensemble des personnes concernées de près ou de loin par l’événement et le projet et ne seront pas pensés comme les seuls récepteurs d’un propos pré-construit. Il s’agira de penser avec eux dans le temps de la construction du propos de l’exposition, un temps où seront mêlées enquête et écriture dans la visée d’une forme de muséologie critique. En ce sens, il est ici question d’aller au-delà de l’enquête ethnographique pour construire des espaces de rencontre et réflexion où pourront être discutées collectivement, mais différemment selon les groupes, des modalités d’actualisation des lectures faites de la grève du Joint français, et de leur mise en forme muséographique.

Différente ensuite par les enjeux scientifiques de l’exposition qui sont de quatre ordres :

  • essayer de comprendre les façons dont un événement du passé est investi depuis le présent
  • rompre avec une pure approche documentaire et narrative de celui-ci
  • pratiquer une anthropologie qui travaille avec plutôt que sur les gens
  • expérimenter d’autres formes d’écriture

Ces enjeux scientifiques sont indissociables des enjeux culturels lorsque l’on comprend la culture comme narration de la vie et non comme un ensemble d’objets séparés de celle-ci.

Saint-Brieuc, territoire de recherche

Cette exposition prend place dans le prolongement et les interrogations soulevées depuis les deux résidences de recherche en anthropologie du patrimoine réalisées entre 2019 et 2021 avec Nayeli Palomo et Noël Barbe, chercheurs, en partenariat avec le LAP (Laboratoire d'Anthropologie Politique), le Conseil départemental (Villa Rohannec’h), le soutien de la DRAC Bretagne et du ministère de la Culture. Pour nourrir la réflexion sur des thématiques communes territoriales patrimoniales, la Villa Rohannec’h (Département des Côtes-d’Armor) et le musée d’art et d’histoire (Ville de Saint-Brieuc) ont initié en 2019 un nouveau format de résidence, celle de chercheurs associés aux deux structures.

Une première résidence qui s’est déroulée de novembre 2019 à juin 2020, autour d’une problématique initiale « ce que peut le patrimoine. Puissance ou impuissances critiques » a permis de vérifier l’adéquation de l’outil « résidence » (temps long, présences fractionnées sur le territoire), processus de recherche très différent d’une étude, plus impliquant et participatif, avec les enjeux propres aux politiques patrimoniales des parties.

Cette recherche-action en anthropologie, commune aux deux structures, s’inscrit dans les principes et objectifs d’une convention cadre de coopération entre le Département et la Ville, relatif au cadre du projet territorial culturel de Rohannec’h, initiée pour la période mai 2019/mai 2021.

Prolongement d’une coopération sur des dispositifs participatifs vécue à travers la co-organisation de l’événement Museomix (hackathon culturel), ces résidences de recherche menées en binôme, est aujourd’hui reconnue par les services déconcentrées de l’État, comme l’une des modalités à développer notamment dans le champ muséal. A ce titre, et comme pour  de précédentes expériences, la recherche en cours sera documentée, évaluée et partagée, pour nourrir une réflexion plus large autour de la place de la recherche, pluridisciplinaire, dans les lieux culturels.

Commissariat scientifique

Nayeli Palomo a exercé dans divers projets de recherche appliquée sur des questions de mise en musée de la mémoire collective et de la construction du patrimoine culturel immatériel. Dans son parcours elle s’est attardée plus particulièrement sur le rôle de l’anthropologue en tant que constructeur de savoir, en réfléchissant sur l’écriture polyphonique de la re-présentation des phénomènes sociaux et l’utilisation de techniques participatives. Aujourd’hui elle exerce en tant qu’anthropologue-muséologue indépendante.

Noël Barbe est anthropologue, chercheur au Laboratoire d’anthropologie politique (UMR 8177 EHESS-CNRS).
Ses travaux portent sur les formes de présence du passé et leur politisation, les formes d’allocation de la valeur patrimoniale, les politiques de l’art, l’épistémologie politique des savoirs ethnographiques, les expériences de l’anticapitalisme, une anthropologie politique de la littérature ou encore de la muséologie. Ils se déploient dans des processus de recherche, comme dans des commissariats d’expositions, des projets de films, des séminaires, des publications…
Attentif à la pratique des pas de côté dans l’approche de ses objets de recherche, il est aussi soucieux des effets de pouvoir que produisent la construction de savoirs anthropologiques et ses modalités.
Dans la continuité de ses travaux sur l’action patrimoniale, il explore les conditions d’existence d’un patrimoine plébéien.

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