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Billet de blog 2 janvier 2024

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Carole Widmaier : Justifier la philosophie

Réhabilité la philosophie suppose d'adopter la perspective antique, anthropocentriste par respect de la puissance de notre raison Carole Widmaier

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Justifier la philosophie (page 139 - 142)

Il est possible à présent d'offrir une lecture de Droit naturel et histoire dans sa dimension programmatique.

Strauss, nous l'avons vu, constate la perte du rapport des Etats-Unis à leur Déclaration d'indépendance : l'origine de leur existence politique est devenue pour ainsi dire inefficace.

Concrètement, il s'agit donc de rendre cette nation à son propre passé, en conférant de nouveau à l'origine sa puissance ; car retrouver la Déclaration d'Indépendance "comme expression du droit naturel" revient à retrouver comme une évidence le droit naturel lui-même, c'est à dire ce qui donne un sens à la  vie politique, ce qui rend compréhensible la notion d'"humanité".

Cette évidence est essentiellement l'évidence manifestée par notre faculté de juger, lorsque celle-ci est considérée dans a véritable force ; le jugement critique par définition est extérieur à une société donnée, il fait signe par nature vers l'universel ; le droit naturel n'est rien d'autre que l'étalon de l'universel, ce qui permet de faire la part dans le réel entre ce qui ne participe et ce qui ne participe pas à l'ordre de la vérité politique ; il est absolu, il constitue le point de vue de la raison sur la valeur des valeurs, celui qui nous dégage précisément de l'ordre des valeurs ou des idéaux.

C'est en réhabilitant le droit naturel que l'on remet les hommes sur leurs pieds, que l'on rétablit la suprématie de la fin sur les moyens, de façon à rendre possible et opératoire un choix rationnel du régime le meilleur ; contre le règne de l'arbitraire et de la folie dans le domaine politique, la science peut retrouver sa dignité et les grandes questions leur sérieux.

C'est ainsi que l'on peut mettre au jour une raison qui guide et fonde l'action, une raison qui nous garde de tout risque de fanatisme : qui nous permette de poursuivre les buts de Socrates avec l'humeur et le moyens de Socrate - et non plus ceux de Thrasymaque ; car le droit naturel ne doit pas être une valeur parmi d'autres, il  doit être fondé dans sa vérité et non pas simplement dans son possible usage.

Le projet consiste donc également à mettre fin à la croyance dans l'Histoire en tant que telle, c'est à dire à appréhender les faits dans toute leur épaisseur, dans une dimension d'absolu qu'ils renferment ; en ce sens la critique de l'historicisme et du positivisme est déjà le premier moment de cette refondation du droit naturel.

Si, comme nous l'avons vu, la pluralité indéfinie des notions de droit et de justice est la condition essentielle à l'apparition du droit naturel, la philosophie doit s'assumer comme remplacement de l'opinion par al connaissance, et opérer le passage du fait de droit, se mettre en position d'évaluer les faits du point de vue du droit : ressortir de la caverne, repenser la philosophie comme appréhension de l'éternel.

Sous cet angle, l'attitude de la pensée est proprement révolutionnaire, car elle fait naître un sentiment d'insatisfaction devant les régimes existants, inséparable de notre capacité à les juger.

Le modèle à abandonner est celui de la science moderne, en faveur du "modèle" de la philosophie classique, qui de par son identité avec la science, rend absurde l'idée même de fonder la philosophie sur un modèle qui lui sot extérieur : la pensée ne peut légitimement prendre modèle que sur lui-même ; cet acte suppose qu'elle se considère dans ses capacités les plus, hautes.

Si l'"expérience historique" borne la pensée, la philosophie classique doit autoriser au contraire la redécouverte de sa puissance propre d'élévation : Strauss appelle finalement à une conversion proche de la conversion platonicienne : il faut sortir de la vision étroite et fausse offerte par les murs de la caverne pour faire l'effort de prolonger la perspective, pour toucher à ce qui rend possible l'existence de la caverne et donne en même temps les critères pour juger de sa légitimité.

La vérité, comme vérité absolue, est vérité de tout, norme du bien et du juste. 

Pour que la pensée classique nous devienne accessible, il est impératif de bien comprendre en quoi la tradition fait écran : c'est qu'elle nous offre de fausses solutions dans une situation dans laquelle c'est le questionnement qui dot être repris ; Strauss veut que nuis retrouvions la puissance de questionnement de la pensée :  cela ne signifie pas qu'il faille découvrir la pluralité des réponses possibles : car au fond le questionnement à pour rôle de nus faire voir l'existence possible d'une vraie solution, constituée par la connaissance authentique des principes.

La vérité chez Strauss est ce qui doit s'imposer, non pas dans l'"histoire", mais du sein même de la pensée, c'est à dire ce qui peu se révéler que par l'usage de la théoria, qui engage fortement le penseur, le fait sortir de la "réserve politique" tout en en l'asservissant pas à une théorie ou un courant particulier.

Il n'est pas question de choisir entre le camp des libéraux et celui des disciples de saint Thomas, mais de s'élever au-dessus de ce faux choix, qui est proposé par le contexte historique et non imposé par la réflexion.

La pensée ne doit pas mettre à l'écart l'expérience, mais elle doit chercher dans l'expérience la dimension d'absolu qu'elle renferme toujours. 

Cette dimension ne peut en aucun cas être fournie par le fait brut ou simplement analysé" : elle ne peut apparaître qu'aux yeux de celui qui sait les capacités de la pensée. 

C'est pourquoi les  expériences ne peuvent pas toutes avoir le même statut.

Une expérience absolutisée - artificiellement - est toujours fallacieuse ; la seule expérience authentique est celle qui naît de la puissance propre de la raison et contient, anti historiquement, en permanence, la marque de cette puissance.  

Car seule la pensée offre un absolu véritable, qui ne spit pas le résultat d'un processus d'absolutisation. 

La rationalité forte va de pair avec le sens commun : car c'est avec évidence que l'expérience se donne  dans sa dimension d'absolu, comme expérience du bien et du mal. 

Mais dans la situation où nous sommes, cette évidence ne peut provenir que du travail de redécouverte que propose Strauss.

Redécouvrir le droit naturel, c'est accepter que le droit soit lié à une nature humaine, c'est -à-dire à un essence permanente de l'homme ; autrement dit, il faut défaire le droit de la convention, mais rester dans l'opposition forte entre nature et convention.

Comment penser cette nature ?

Non pas en cherchant ce qui de fait est commun à tous les hommes - car les besoins, la conservation, les sentiments, éléments obtenus par l'analyse et la description, ne peuvent fonder qu'un droit naturel faible -, mais en définissant la nature humaine par sa fin, c'est à dire par ce qui est le plus élevé en l'homme.

Le finalisme d'Aristote a certes été "dépassé" en ce qui concerne les phénomènes de la nature ; mais pour Strauss il reste valide pour la compréhension des phénomènes de la nature humaine, dans la mesure où il impose de sortir définitivement de la "neutralité éthique" caractéristique des sciences sociales.

En effet, on peut affirmer que la critique, de type spinoziste, du finalisme comme anthropomorphisme et anthropocentrisme, est légitime pour la nature dans son ensemble.

Mais on sombre dans l'erreur lorsque par effet de retour et de généralisation, ou encore par désir de rabaisser l'homme, on en arrive à enlever au finalisme toute légitimité pour interpréter les phénomènes humains : car alors on fait de l'homme un élément neutre de la nature, dépourvu d'intentions.

A l'opposé de cette attitude, réhabiliter la philosophie suppose d'adopter la perspective antique, anthropocentriste par respect de la puissance de la raison.

C'est le même finalisme qui doit présider à l'étude historique des textes : ceux-ci ne peuvent être compris avec justesse que s'ils sont rapportés à l'intention fondamentale  qui a présidé à leur écriture.

Notre temps appelle à une justification de la philosophie : c'est ce que Strauss fait, depuis notre modernité, sans s'en exiler, quitte à être accusé  de ne pas croire en l'histoire et à risquer le sort de Socrate.  

https://www.agoravox.tv/actualites/politique/article/eloge-des-valeurs-hannah-arendt-37212

https://www.youtube.com/watch?v=T6xxOnYPBZg

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