Réécouté la 7e de Bruckner par Klemperer, Phiharmonia Orchestra 1962, EMI.
Mein Gott!
Déjà que cette 7e a quelque chose de tout à fait spécial dans le paysage.
Cherchons nos mots: imposante? majestueuse? grandiose?
(mais toutes le sont, non?)
écrasante? la mélancolie même?
(adieu à la vie: on le dit de la 9e; mais c’est la 7e)?
rappelant de trop près la formation du nuage de nos douleurs les plus anciennes, les plus profondes (mystérieuses; sacrées), pour être seulement accostée trop souvent, trop longtemps?
la plus belle symphonie de Bruckner, et la plus belle des symphonies de toute l’histoire de la musique occidentale, Beethoven et Mahler inclus?
Bruckner a longtemps été en France le sujet «clivant » par excellence, comme aimait tant à écrire Nietzsche à toutes les pages; il ne l’est plus, officiellement; il est apprécié, ah! - é par les mélomanes, il orne de son auguste présence le programme des concerts les plus prestigieux; mais, sous la surface, il est l’un de ces très rares qui méritent la parole que Jésus a dite du Christ: qui n’est pas pour lui est contre lui.
Bruckner reste (mais tous les musiciens d’orchestre l’adorent ou le mettent au plus haut, c’est un signe qui ne trompe pas) la pierre de touche et le partage des eaux; dirimant, disjonction inclusive fortement exclusive: vous êtes sauvé, ou vous êtes perdu. Prédestination. Fanatisme.
Mea maxima culpa.
Calvinisme musical radical au sujet de ce Catholique catholissime.
C’est pourquoi Sollers, qui détestait les Protestants, sauf, par passagère provision, votre serviteur, s’est bien gardé de dire une chose pareille. (Nous étions d’accord, profondément, au sujet de Haydn, lui aussi l’un des plus grands et j’irais jusqu’à l’hérésie, pour mon compte: plus grand parfois et que Mozart, et que Beethoven, ses deux, à différents titres, personnels élèves, et devant chacun desquels ce génie, Haydn, a eu la grandeur supplémentaire de s’incliner, non seulement en visionnaire, mais en homme profondément bon: trouvez-moi un équivalent de ça dans toute l’Histoire, parcourez, scrutez, trouvez-moi un colosse H qui, étant tombé inopinément, en deux points différents du temps, sur les deux seuls autres colosses de l’horizon, M et B, jeunes, en formation, non seulement n’a pas tout fait pour les détruire, mais les a pris dans son hangar à Montgolfières; et qui, en fin de compte, a eu encore cette autre grandeur supplémentaire d’apprendre d’eux, et de se métamorphoser encore plus loin une fois eux passés par ses mains.
Saint Joseph Haydn, lui aussi Catholique, mais plus souriant, frère de Michaël Haydn comme Pierre Corneille fut frère de Thomas Corneille; papa Haydn, disait Mozart, et répétait André Tubeuf, le Majeur; et répétait André le Mineur).
Or, de Haydn à Bruckner, la conséquence est bonne. (Haydn fut heureux; Bruckner, très malheureux.
Il est à porter au crédit, je vais me faire allumer, tant pis, personne ne lira cela, de la gent féminine, que personne, malgré ses énormes et fréquents bouquets en demandes, ne voulut l’épouser, pas davantage que Beethoven, pas davantage que Nietzsche).
Cessez de dire des conneries; alors, cette 7e, par Otto Klemperer, 1962? qu’avez-vous à nous en dire d’un peu intelligent? -
Beaucoup de choses, mais il faudrait que j’y songe; et j’ai déjà été un peu long, or, en tête, il est marqué alla breve.
Le pupitre des cuivres, bien sûr, bruissant, mordoré, GRENU (- …?) oui! GRENU, comme Witold Gombrowicz a osé dire qu’il voyait l’Enfer; un compact fibré incomparable.
Très difficile de décrire une chose pareille; on n’a pas le vocab, on n’est pas Esquimau du grand orchestre.
Je réessaierai ultérieurement (c’est ce qu’on dit!) L’Adagio: en l’écrivant, se dit Wittgenstein à lui-même, Beethoven ne l’a pas seulement écrit pour lui-même, ni pour son temps, mais pour toute l’humanité; et c’est dans l’un de ses Cahiers des années 1930 que Wittgenstein note cela à propos du deuxième mouvement de l’un des deux premiers Concertos pour piano et orchestre de Beethoven. Et Wittgenstein bien sûr dit juste.
Mais moi, Ludwig dear, je rajouterais l’Adagio de la 7e de Bruckner.
Et c’est cela même que Klemperer rend parfaitement sensible.
Mais qu’est-ce que c’est encore que ces foutaises-là!
Pour toute l’humanité! Européocentrisme! Réacs!
Post-scriptum :
Je voulais signaler ceci encore, et j’ai oublié.
Le père de Wittgenstein était le membre le plus en vue du camp Brahms, qu’il recevait au palais Wittgenstein.
Or Ludwig assurément fut le premier très grand à remarquer la grandeur de Bruckner.
Je crois que la remarque n’en a pas été faite souvent, pas même par Thomas Bernhard.
Texte d'André Bernold https://blogs.mediapart.fr/andre-bernold/blog/070723/adagio