Vivre est un village (avatar)

Vivre est un village

Consultant en système d'information honoraire

Abonné·e de Mediapart

860 Billets

7 Éditions

Billet de blog 13 juin 2013

Vivre est un village (avatar)

Vivre est un village

Consultant en système d'information honoraire

Abonné·e de Mediapart

L'autre société, le poids des mots

Vivre est un village (avatar)

Vivre est un village

Consultant en système d'information honoraire

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le poids des mots

Tout le monde fait l'expérience quasi quotidienne du poids des mots, du poids des représentations suscitées en nous par les mots. Un seul mot de travers d'un collègue peut nous stresser une journée entière, un mot déplacé d'un être cher nous plonge dans la détresse, et même une simple réplique d'un acteur jouant la comédie nous arrache les larmes.

Le fait est que, même si les grands singes peuvent apprendre la signification de quelque dizaines de mots à force d'entraînement, l'être humain est le seul "être parlant". Il s'ensuit que toutes nos expériences, toutes nos émotions s'inscrivent dans notre mémoire sous la forme de représentations auxquelles sont associés des mots. Dès lors, quand les êtres dialoguent, ce n'est pas seulement l'information première contenue dans les mots qui se trouve échangée. C'est encore ce que Bateson et Ruesch (53) appelaient le "métamessage", ce non-dit que nous percevons tous et qui nous renseigne sur les sentiments , les intentions, l'humeur, les doutes, la joie ou l'agacement de notre interlocuteur. C'est aussi le non-dit qui échappe à la conscience des  interlocuteurs quand leur dialogue réveille à leur insu l'empreinte d'émotions anciennes dont ils ne perçoivent plus le fil qui les relie aux mots.

Ce poids des mots et des représentations est attesté par la neurobiologie. En effet, grâce à la neuro-imagerie, on peut visualiser en couleurs les zones précises du cerveau qui sont "allumés" en réaction à une stimulation quelconque. On a pu ainsi vérifier qu'une caresse verbale allume la même zone qu'une caresse physique, ou encore qu'un simple récit produit des effets physiologiques très tangibles. Ainsi, dans les expériences sur le traitement des névralgies, on peut constater qu'"il suffit d'induire une croyance par un récit (...) pour voir que cette stimulation alerte en priorité l'aire préfrontale qui inhibe les voies de la douleur et se connecte directement à la partie postérieure  de l'aire cingulaire, celle dont la stimulation déclenche une sensation de bien-être et parfois d'euphorie (54)". La neuro-imagerie met aussi en évidence l'empathie d'un couple amoureux. Si l'on soumet à un léger choc électrique un seul des deux amoureux, c'est la même zone de la douleur qui s'allume dans le cerveau des deux. Et le cerveau de la femme s'allume pareillement si l'on se contente de lui montrer un chiffre indiquant l'intensité du choc qu'est censé subir son amoureux : elle réagit comme si elle avait reçu un choc électrique. Ainsi conclut Cyrulnik qui raconte cette expérience : "Que la douleur soit perçue ou représentée, qu'elle passe par les voies neurochimiques ou par la perception d'un mot, c'est la même zone cérébrale qui altérée, provoque une émotion ressentie dans le corps (55)." Force inouïe des mots qui déclenchent des représentations (une idée, une croyance) qui, à leur tour, mettent en marche la chimie de la douleur ou du bien être.

Les mots et la parole des autre allument notre cerveau. Mais quand un état d'âme mélancolique vient nous ôter le désir de parler à autrui, le cerveau s'éteint : "Un isolement affectif éteint les deux lobes préfrontaux aussi fatalement qu'une altération organique de ces deux lobes éteint tout état d'âme (56)." Dans une certaine mesure, la parole peut donc guérir ou rendre malade. Les découvertes de la neurobiologie jettent ainsi un pont entre la psychiatrie, les psychothérapies et la psychanalyse. Si la force des représentations véhiculées par les mots ne suffit pas à réparer ou à compenser les lésions neurologiques ou les douleurs les plus graves, elle n'est pas moins active et pour le moins complémentaire. Le fait de se raconter à un psychothérapeute, d'élaborer des théories sur sa propre histoire, de ramener à la conscience des représentations refoulées, tout cela a des effets réels attestés par la biologie.

(53) Gregory Bateson et Jurgen Ruesch, Communication. The Social Matrix of Psychiatry, WW. Norton & Company, 1951. Traduction française : Communication et société, Seuil, 1988

(54) Boris Cyrulnick "De chair et d'âme", op. cit. , p.181

(55) ibid., p.180

(56) Ibid., p.115

Source : "L'autre société" Jacques Généreux Éditions Points ISBN 978.2.7578.2066.7 pages 73-75

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.