Il n'est pas tout d'obéir au tyran, il faut lui complaire, il faut qu'ils [les esclaves] se rompent, se tourmentent, se tuent à traiter se affaires et puisqu'ils ne se plaisent que de son plaisir, qu'ils sacrifient leur goût au sien, forcent leur tempérament et le dépouillement de leur naturel. (Etienne de la Boétie, De la servitude volontaire.) cité par Soulef-Ayad Bergounioux, abonnée à Mediapart https://blogs.mediapart.fr/soulef-bergounioux/blog/141223/parution-de-mon-livre-gouverner-sans-contraindre
Aveugle à sa propre vérité, c'est dans la croyance collective que réside l'efficace de toute domination instituée.
C'est parce que depuis plus de deux siècles, le miracle de l'obéissance "du grand nombre au très petit nombre" (Jacques Necker https://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_Necker#:~:text=Jacques%20Necker%20—%20à%20l%27époque,père%20de%20Madame%20de%20Staël.) ne résulte nullement d'une contrainte manifeste, mais d'une docilité, d'une morale intériorisée, qu'il ne laisse pas d'étonner.
Se libérer de cette illusion commune ne va pas sans une critique historique des modes de domination.
En tant que structures sociales, ils sont des systèmes de relations intelligibles, façonnés par les rapports de force entre groupes sociaux pour le monopole sur les instruments du pouvoir.
En d'autres termes, c'est dans les luttes, c'est-à-dire l'histoire, que se situe le principe de toutes les différences pertinentes entre les régimes de domination et, par là, l'origine de leur efficacité.
De manière générale, il est possible de distinguer deux types de domination : la domination hiérarchisée, propre aux Etats patrimoniaux de type dynastique des sociétés organicistes, et la domination symbolique, celle des Etats bureaucratiques, universalistes et égalitaires en droit.
Si tous deux supposent une relation binaire dominant-dominé - soit la rencontre entre une autorité constituée et une docilité qui la légitime -, la nature des relations de domination, explicitement forcée ou d'un point de vue strictement formel, librement consentie, est essentielle pour les différencier.
Les procédés de justification du pouvoir, discursifs et institutionnels, ainsi que les formes de soumission, manifeste ou spontanée, qui en découlent, déterminent autant qu'ils révèlent la nature des relations sociales.
Or ces dernières enferment la marche même du changement historique.
C'est au hasard des conflits notamment dans leur phase ouvert - durant lesquels le recours à la force nue se généralise en raison de l'absence ou de l'effondrement d'institutions administratives d'Etat chargées de la gestion du "monopole de la violence physique légale et légitime" (M.Weber, Economie et société. L'organisation et les puissances de la société dans leur rapport avec l'économie, Paris, Pocket, 1995 [1ère édition, 1967] .) et de leurs effets sur l'interdépendance sociale, qu'évoluent les modes de domination.
Ancrées dans l'histoire longue des structures sociales, ces périodes de crises résultent essentiellement de la rupture de l'équilibre codifié des tensions au sein d'une structure de pouvoir instituée, en l'occurrence l'Etat en tant que lieu de conflictualité réglé.
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A bientôt.
Amitié.