Pages 102-103-104 du livre "En travail". Conversation sur le communisme BERNARD FRIOT / FRÉDÉRIC LORDON
La réalité c'est le TINA https://fr.wikipedia.org/wiki/There_is_no_alternative, c'est le récit que nous rebâchent les institutions du capital.
Le réel est une action permanente de dépassement de rapports sociaux que le récit de la réalité tend à naturaliser, à poser comme anhistoriques.
Le réel, c'est l'histoire en permanence ouverte parce qu'il est contradictoire, pris entre les rapports sociaux qui se présentent comme "la réalité" et ceux qu'un travail d'espérance institue.
L'espérance que la domination de la classe dirigeante soit subvertie par les dominés.
Cette espérance au travail fonde le présent comme actualisation de la révolution des rapports sociaux, sans nostalgie de ceux d'"avant" ni attente de ceux d'"après".
Au cœur du réel, au cœur du présent, il y a des actes instituant un inouï, des rapports sociaux nouveaux qui subvertissent aujourd'hui les rapports sociaux dominants.
Que ces actes d'émancipation soient posés avec des représentations qui continuent à relever du récit dominant, c'est évident.
Lorsque Croizat institue le droit au salaire des parents, il le fait en disant qu'il fournit aux parents du pouvoir d'achat, que la société est solidaire d'eux, bref dans les termes de la réalité capitaliste, alors même qu'il sort le salaire de l'emploi pour le lier à la personne.
Et quand je pose le prédicat "communiste" sur ces prémices d'un nouveau statut économique de la personne, je ne fais prtinente.as advenir par le verbe quelque chose qui n'existe pas encore, je ne nomme pas un à-venir mais u n déjà là.
Il est observable, advenu de fait alors même qu'il n'est pas pensé dan sa portée révolutionnaire, et il va être combattu avec un e grande détermination par la bourgeoisie capitaliste.
Le "mouvement réel" du communisme, cette formule que tu n'aimes pas, Frédéric Lordon, je la trouve au contraire très pertinente.
Elle sort le communisme du ciel du futur pour l'inscrire dans le présent de l'action émancipatrice de maîtrise populaire de la production, un "en train de se faire" dont l'issue n'est inscrite dans aucune théologie.
Au contraire, les prémices du lien du salaire à la personne ne pourront prospérer qu'à deux conditions.
D'une part, à condition qu'il soit en permanence actualisé dans un présent de poursuite inlassable d'un statut à la personne dotée d'une qualification.
Non par des "combattants" sortis de leur "défaitisme" par la prédication éthico-politique du chercheur, mais par des vivants qui n'ont pas besoin d'illumination pour (avec le chercheur s'il est vivant lui aussi) sortir de la répétition mortifère des rapports sociaux qui les dominent.
D'autre part - et là intervient le rôle spécifique du chercheur -, à condition que soit popularisé un récit communiste de ce nouveau statut de la personne qui devient réalité.
Une réalité qui donc, par parenthèse, sera subvertie dans une autre étape de l'émancipation, après le communisme, qui n'est qu'un moment dans l'histoire et qui sera suivi d'un autre dont nous ne pouvons avoir aujourd'hui aucune idée, ce qui n'a d'ailleurs aucune importance : "demain est un autre jour", comme nous le répétait notre mère, et je l'entendais non pas comme le Morgen ist auch ein tag de la procrastination, mais comme l'affirmation que chaque jour ne se joue qu'aujourd'hui.
Sortir le communisme du futur pour l'ancrer dans le présent de son "mouvement réel", c'est aussi le débarrasser de sa définition enchantée de fin de l'histoire dans un paradis terrestre.
S'agissant du signifiant, il s'agit donc de tenir ensemble deux propositions.
La première est que ce ne sont pas les idées qui mènent le monde, que la conscience de classe s'exprime d'abord dans des actes, et que ce n'est pas parce que "Croizat ne l'a pas dit" qu'il ne l'a pas fait.
Ou que, symétriquement, ça n'est pas parce que Rocard n'a pas dit qu'il entreprenait une contre-révolution capitaliste du travail qu'il ne l'a pas fait.
Et je précise, contre les complotistes de comptoir : si Rocard ne l'a pas dit, ça n'est pas un mensonge tactique d'un homme de gauche au service du capital, c'est parce qu'il n'avait pas les représentations pour désigner ce qu'il était effectivement en train de faire.
La seconde proposition est que la responsabilité du chercheur est de poser sur ce déjà-là un signifiant qui contribuera à la possibilité de son actualisation, car les idées sont les compagnes nécessaires du travail d'espérance.
Le mouvement réel du communisme est soutenu par le signifiant "communisme" que le chercheur pose sur l'observation empirique d'une nouveauté qu'il articule à d'autres comme pièces d'un nouveau mode de production réellement en cours d'édification.
Réellement, c'est à dire observable par une démarche analytique-causale et pensable dans sa positivité.
Je ne sais que trop que "ça ne se fait pas tout seul", et c'est pourquoi je m'estime à ma place de chercheur en m'intéressant aux moments et aux conditions de puissance de la classe révolutionnaire.
TEXTE DE BERNARD FRIOT
😎
A bientôt.
Amitié.