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Billet de blog 4 juillet 2010

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¡ No se puede torear tan despacio !

Nous sommes marqués tout au long de notre existence par beaucoup de choses, d’évènements, de rencontres… Nous restons éblouis devant l’immensité du Grand Canyon, intrigués par la Joconde, bouleversés par la majesté des Pyramides égyptiennes… Je pourrais en citer encore, tellement la richesse de ce monde nous offre l’occasion de ressentir ce sentiment de plénitude intérieure. Les rencontres que nous faisons sont tout aussi importantes, elles permettent de nous forger, de nous construire.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Nous sommes marqués tout au long de notre existence par beaucoup de choses, d’évènements, de rencontres… Nous restons éblouis devant l’immensité du Grand Canyon, intrigués par la Joconde, bouleversés par la majesté des Pyramides égyptiennes… Je pourrais en citer encore, tellement la richesse de ce monde nous offre l’occasion de ressentir ce sentiment de plénitude intérieure. Les rencontres que nous faisons sont tout aussi importantes, elles permettent de nous forger, de nous construire.

En tauromachie, il est évident que c’est la réunion entre l’animal et l’homme qui est le plus important. Lorsque l’alchimie est présente entre le toro et le torero on peut atteindre la magnificence de cet art, le nirvana. Beaucoup de paramètres sont à prendre en compte mais il est clair qu’il faut que l’homme soit à la hauteur de la classe de son partenaire.

En ce dimanche de Pentecôte, à Nîmes, il était annoncé un cartel d’artistes. Tout est possible avec eux, c’est pour cela que les aficionados se pressent dans les tendidos pour vivre ces instants qui restent gravés au plus profond d’eux-mêmes. Il fallait oser mettre à l’affiche Javier Conde et Morante de la Puebla en mano a mano. Au final, c’est une secousse sismique d’une magnitude inconnue sur terre qui a frappé cet amphithéâtre mythique. Tout le monde l’attendait, tout le monde le voulait, personne ne s’attendait à un tel degré d’intensité,de sentiment…

Une chaise en guise de guillemets

Le 25 mai 1960 le « divino calvo » s’éteignait à Séville. Rafael « El Gallo » fut un torero complètement atypique pour son époque.Aussi génial dans le triomphe que dans l’échec il était adulé par les aficionados. Il pouvait être inspiré devant un toro et au milieu de la faena se réfugier dans le callejon car la peur l’envahissait. Le public venait aux arènes pour admirer ses passes si profondes, son génie dans l’inspiration mais également pour voir ses fuites légendaires. En 1920, dans les arènes de Valencia, il fut frappé par une muse, il prit une chaise et effectua une passe assit sur cette dernière. C’est ainsi que cette suerte est entrée dans l’histoire de la tauromachie !

Le 23 mai 2010, la corrida matinale, dit de l’art, ne prenait pas son envol. La faute à des toros faibles, arrêtés et insipides. Le public ignorait encore ce qui aller frapper la planète des toros. Dans les coulisses le valet d’épée de Morante s’activait pour trouver une chaise. C’est alors que son aide demanda à un arenero s’il pouvait en chercher une. Nous sommes à cet instant au cinquième toro. Quelques minutes plus tard la chaise arrive vers le torero : « Je ne veux pas une chaise pliante, je veux une chaise flamenca, trouve m’en une ! ». Une course folle s’engage alors dans les rues de Nîmes, de bars en bars, de restaurants en restaurants ! Finalement, elle fut ramenée dans l’enceinte et attendit son heure.

Tout au long de la matinée, le Sévillan a montré un niveau artistique impressionnant dans tous les domaines, notamment au capote, avec une envie démesurée. Les Juan Pedro Domecq n’ont pas donné le jeu espéré mais le dernier représentant de ce fer fera honneur à son rang. L’harmonie aura lieu dès la première passe de cape. Un toreo absolument invraisemblable qui emmène les deux partenaires des barrières au centre. Une dizaine de veronicas d’un niveau artistique irréel. Ensuite tout ce qui se passe met les tentidos sur orbite. La féerie du moment prend forme entre le public, le toreo antique du maestro et le toro. A cet instant précis, Morante prend la muleta et personne ne s’imagine ce qu’il va se dérouler. C’est comme pour ouvrir les guillemets ou comme la signature de cette œuvre, que la chaise fait son entrée dans le ruedo. L’andalou s’installe tranquillement sur cette dernière et se prépare à embarquer le toro dans cette étoffe transformée en linceul destiné à envelopper la charge pure du Juan Pedro Domecq.

La faena débute et c’est un tremblement de terre sidéral qui s’abat sur la cité des antonins. Nous sommes revenus à la pureté de la tauromachie, tout ce que les aficionados veulent trouver en se rendant aux arènes prend forme comme par enchantement. Il est des rencontres entre les hommes qui marque l’humanité ou la vie de chacun. Dans notre monde c’est la réunion entre un toro et un homme qui nous touche, celle-ci est gravée pour l’éternité. Morante n’a jamais pu triompher à Nîmes, en ce jour cela dépasse cette dimension. Eddie Pons avait fait un dessin qui me fait penser que nous étions dans l’espace. Il avait tracé les traits du petit prince et juste à côté, sur la lune, Morante en train de toréer. Voilà une image qui illustre ce qu’il se passe sur le sable nîmois. L’art s’empare de nous, tout nos sens sont à l’écoute du maestro et c’est à ce moment là que toute l’arène voit une profondeur, une lenteur et une classe surgir de la muleta. L’ambiance dans l’enceinte est étrange tout le monde s’exprime, s’embrase au rythme des OLE de verdad. Les gens sont incrédules et il y a une phrase qui résume cette création : « No se puede torear tan despacio, como se puede… » (il est impossible de toréer si lentement). Tout est au ralenti, ce que Morante invente au fur et à mesure est tout simplement la faena d’une vie. Tout est parfait jusqu’à la fin, sauf que la chaise a disparu. Le torero se retourne et exige qu’elle reprenne sa place là ou le toro l’a faite tombée, elle réappartaît, Morante se dirige vers elle et la fait tombée avec son épée. Rien ne devait être modifié avant la conclusion. Une épée extraordinaire vient parachever cette rencontre, le toro résiste, le sévillan va vers la chaise, la prend et s’assoit. Le toro s’achemine vers lui et pose sa tête sur son genou, Morante l’admire et lui parle… Quelques instants plus tard tout s’achève mais rien ne s’efface.

Le séisme a frappé avec force, tout le monde sera marqué pour l’éternité. La planète toro vient de vivre une rencontre extraordinaire, l’histoire de notre passion est aujourd’hui enrichie d’une nouvelle ligne. J’ai vu la faena de ma vie, je suis émerveillé par ce que j’ai vu et personne ne pourra l’enlever. Il y a des faenas qui vous marque mais cette dernière est au-dessus, pas par l’hommage rendu au Divino Calvo, avec la chaise mais par ce qu’il y avait entre les guillemets. « Muchissimas gracias MAESTRO, ¡he visto la faena de mi vida! »

Il parait, lors de sa sortie en triomphe, que la foule a porté le torero a hombros jusqu’à son hôtel, il reviendra en septembre…

V.M

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