
Le 21 juin c’est le jour le plus long de l’année, c’est également le jour de la traditionnelle fête de la musique, pour ce faire toutes les villes de France se transforment en d’immenses scènes musicales où les artistes peuvent s’exprimer ; tiens artiste un mot à retenir ! Pour moi pas de musique acoustique mais les toros, direction Barcelona pour ce qui s’annonce être une journée très agréable. Le cartel n’est pas mal il faut dire : Morante, Juli et Manzanares avec des exemplaires de Juan Pedro Domecq ; dans d’autres arènes on aurait affiché le « No hay billetes para hoy » à la taquilla ; c’est un peu ce qui me chagrine,savoir que dans cette superbe plaza, située à deux pas de la Sagrada Familia, les tendidos ne seront remplis qu’aux deux tiers. Pourtant l’aficion barcelonaise et bonne et surtout très juste ; mais tout le monde sait que le seul à remplir ces sièges c’est José Tomas !
Les toros de Juan Pedro Domecq ont joués le jeu, bien présentés et permettant aux toreros de s’exprimer pleinement. Encastés, nobles et braves ils avaient tout ce que l’on peut attendre d’un toro dit bravo. Il est important de le souligner ces temps-ci !
Cette tarde sera inoubliable pour tous les aficionados et surtout pour les morantistes. Je ne m’en suis jamais caché et aujourd’hui je le clame haut et fort :« ¡Yo soy Morantista ! » ou devrais-je dire après cette corrida : « ¡Yo soy MoraRtista ! ». Je vous dois quelques explications. José Antonio Morante Camacho est Sévillan, là-bas le Flamenco est la musique reine, là-bas les gitans chantent le Flamenco Hondo dans le quartier de Triana sur les bords du Guadalquivir, là-bas l’inspiration guide les artistes. Pour les non hispanisants je me dois de vous dire que « le flamenco hondo » c’est le chant pur, le seul, l’unique et le vrai.
Cet après-midi la faena honda a pris forme. Devant le premier exemplaire rien à retenir si ce n’est un ou deux détails. Après son « Puro » le torero est apparu comme transformé au centre de ce ruedo. Totalement relâché, inspiré, toréant avec une pureté et une profondeur rare. Dès le début tout le monde a compris que ce qui se passait n’était pas anodin. Des véroniques d’une profondeur et d’une pureté extrême ont jailli de ce capote de soie. Durant le tercio de pique, il remet ça, mais cette fois-ci il choisit de recevoir son collaborateur pieds joints et cette fois-ci les tendidos s’embrasent pour de vrai tellement Morante est le seul à exercer avec autant d’art cette phase de toreo. Au fond de moi, je me dis que je ne veux plus voir que lui au capote. Camarón de la Isla, surement le plus grand chanteur de flamenco, aurait été capable de chanter d’un seul coup, sans rien préparer auparavant, mais en exprimant son ressenti du moment. Celui de la Puebla s’exprime avec la muleta.
Son début de faena est marqué du sceau de l’inspiration et de l’improvisation. Il se dirige vers le toro en pensant sûrement à ce qu’il allait faire mais le bicho lui ne l’entends pas ainsi et commence à galoper vers le diestro ; c’est alors que l’illumination arrive, le sévillan s’assoit sur l’estribo et nous offre des passes aidées vers le haut d’une intensité indescriptible, continuant à genou presque jusqu’au centre, il remate enfin sa série par un trincherazo genou plié hors norme. A cet instant votre esprit est ailleurs, le sourire monte, vous pourriez être dans l’atelier de Picasso ou écoutant chanter Camarón ; vous êtes témoin d’une création artistique unique et éphémère. La suite est encore plus prenante ; tous les détails comptent. José Antonio quitte ses zapatillas après cette série et continue son œuvre. Avec cette muleta transformée en guitare sèche, il parsème sur le sable de la monumental une partition sans fausse note. Des séries de derechazos qui s’enchainent avec simplicité, profondeur et temple absolument parfait. La pureté naît de sa main, toute l’arène est en transe. Les naturelles qu’il va tracer ensuite sont d’une classe supérieure, beaucoup de toreros pourraient s’en inspirer. Face au toro, plus que jamais, entre les pitons, la main tellement basse qu’elle était à la limite de caresser le ruedo. La fin de faena est tellement intense qu’il n’existe aucun mot pour décrire ce qu’il se passe, la mise à mort sera un résumé de toute cette inspiration et de cette classe qui se dégage de tout le corps du sévillan. Personne n’attendait cela, il tente un recibir réussi de fort belle manière, le bicho est à terre. Les récompenses ne seront pas à la hauteur de cette composition qui méritait le rabo…
Comme vous le savez il est toujours difficile de passer après une telle prestation et devant son deuxième exemplaire le Juli sera un peu plus poussif et moins bon qu’à son premier. Sa première faena est à son image, professionnel, impressionnant de technique et de sens du sitio. Une leçon de tauromachie encore une fois et je pense en particulier à ses passes aidées vers le haut d’une puretéi ncommensurable. Le diestro madrilène est l’un des plus grands, il l’a encore montré sur ce ruedo avec des passes d’un temple et d’une profondeur extrême.
José María Manzanares est le torero qui m’impressionne le plus par sa cintura et son élégance au centre de la piste. En France on n’a pas beaucoup eu l’occasion de le voir à l’oeuvre, il est maintenant en pleine maturité et exprime son art avec précision. Ses deux faenas sont impressionnantes de poder et de maîtrise. Les derechazos dessinés sur cette piste sont nets, ils commencent sous le museau du toro et finissent loin derrière lui. Aujourd’hui pour certains toreros les passes de pechos servent à envoyer le toro très loin vers l’autoroute qui mène en Andalousie, pour l’Alicantin ils servent à s’enrouler le toro autour de lui et montrer ce que c’est qu’un pecho profond, temple, plein de cintura et de grâce. Il m’a aujourd’hui éclaboussé de son art et j’ai envie de le revoir dans les mêmes dispositions partout ou je vais aller le voir. Pour beaucoup, le torero à ne pas manquer c’est José Tomas, pour moi il y en a plusieurs à ne pas rater cette saison (hormis les valeurs sures comme Ponce, Juli…) :Morante, Manzanares et le petit Luque qui est en train d’exploser aux yeux des aficionados du monde entier.
En définitive à la fin de cette tarde on sort bouleversé, vous voulez en parler et les mots qui sortent de votre bouche sont incohérents. Les absents ont toujours tort, il parait, en ce jour de fête de la musique, ce proverbe tient sa promesse. Les trois toreros sont sortis en triomphe et pourtant tout le monde n’en avait que pour le sévillan, les notes de musiques qui scelleront cette sortie par la grande porte sont les suivantes : « Viva Morante », « Viva el Arte » y « Viva el MoraRte »…
V.M