
Au moment où le débat bat son plein pour déclarer la tauromachie au titre de patrimoine de l’humanité, c’est la capitale française du toro qui est au dessus du lot, comme à son habitude. A Nîmes, il est une valeur que l’on défend et chaque année l’empresa et les autorités municipales le prouvent. Il se dit que la tauromachie n’est pas un art, je vous rassure ce sont ceux qui ne savent pas qui affirment cette absurdité totale. Notre ville avec un accent se démarque de tout le monde dans le sens où l’adjoint délégué à la culture est également délégué à la tauromachie. Comment ne pas dire que l’art ne rime pas avec la tauromachie ? La réponse se trouve dans l’arène mais également en dehors. L’art à proprement dit est vivant grâce à la sensibilité de chacun, la corrida en est le reflet. Le monde des toros ne se cantonne pas au spectacle taurin. La musique, le cinéma, le théâtre, l’écriture, la peinture et la sculpture s’en inspirent. Cet univers est unique et d’autant plus artistique que cet art se dénature des autres par son irrégularité mais surtout par le caractère éphémère qu’il revêt. L’avantage avec les toros c’est que l’on ne sait pas à quoi chaque spectateur va assister. Dans l’art, que l’on va appeler classique, tout est calculé, répété pour apporter aux gens une performance irréprochable, tout est fait pour satisfaire le public. La corrida possède une optique similaire mais cela s’arrête à la présentation des cartels. Il peut y avoir la plus belle des affiches et pourtant la certitude d’assister à quelque chose hors du commun est à proscrire ; c’est ce qui fait l’attrait le plus enrichissant de cette alchimie, si dure à trouver, entre un toro et un maestro.

Deux styles de toreo pour un même sentiment
C’est avec cette vision que l’empresa des arènes de Nîmes construit sa féria. Il faut le dire car c’est une chose qui demeure primordiale aujourd’hui, surtout quand on voit les affiches proposées dans d’autres arènes, notamment les plus importantes. Il me semble que le cartel imaginé, pour le dimanche matin 11h de la féria de Pentecôte, en est le reflet incontestable. Il est évident qu’il faut aimer la corrida pour l’élever au rang d’art, c’est la passion qui parle lorsqu’on décide de mettre ensemble, de surcroît en mano a mano, Javier Conde et Morante de la Puebla.
La magnificence de ce cartel ne peut prendre corps qu’avec des toros dignes de ce nom. Avec les Juan Pedro Domecq on peut penser que la sauce risque de prendre et cette corrida ne sera alors que le miroir de cet art noble et pur. Les deux toreros andalous ont tout ce qu’il faut pour mettre en ébullition une plaza remplie de connaisseurs. La sensibilité de chaque personne sera mise à l’épreuve, les deux styles de toreo se rencontreront pour nous emmener vers l’extase émotionnelle.
Il est nécessaire de rappeler que le sévillan n’a pas peur et peut toréer n’importe quel toro. Sa dernière faena à Séville l’a prouvé à tous ses réfractaires. Le malagueño a un style différent mais il possède également la faculté de savoir toréer avec une profondeur et un temple inégalable.
Les deux maestros possèdent le talent de pouvoir enflammer n’importe quelle faena. Cette faculté ne se traduit que par l’inspiration d’une passe, d’un pasodoble ou encore un toro. Il est impossible de savoir ce qu’il se passe dans la tête d’un artiste mais il est clair que lorsqu’il faut donner du plaisir au public ils savent le faire.
Conde le fait dans un registre qui se rapproche très fortement du flamenco. Certains disent que c’est une danseuse. Je dirai, oui, si ce mot ne sonnait pas d’une manière péjorative dans leurs bouches. J’affirme que c’est un danseur de flamenco, dans le sens ou la danse flamenca s’inspire des paroles du chanteur. Ce style de musique n’est qu’une question de sentiments et ces funambules s’inspirent de celle-ci pour exprimer cela avec le corps. Javier exprime ce sentiment avec une muleta et une gestuelle particulière qui vous hérisse les poils et qui nous prend au plus profond de nos tripes. Je finirai en disant, à tous les médisants, que Conde est un torero flamenco qui ne fait pas que danser mais au contraire il embarque le toro, avec temple, inspiration et profondeur, dans un ballet esthétique.
Morante n’est pas un torero mais un artiste. Pour ceux qui ne savent pas je vous donne l’une des définitions qui se trouve dans le dictionnaire : « artiste : Personne qui a le sens de la beauté et est capable de créer une œuvre d'art. ». Cette précision juste pour dire que le sévillan est une reproduction physique de l’art dans tout son ensemble. Chacun de ses gestes est une ode à la tauromachie. Sa faena lors de son mano a mano avec Castella me reste incrustée dans la tête. Le toro ne pouvait pas accepter plus d’une vingtaine de passes. Les derechazos, les naturelles et les changements de main ciselés par celui de la Puebla, restent les plus purs de cette corrida. Comme tous les artistes il est parfois incompris, mais tous ses mouvements de capote et de muleta sont une ode à la tauromachie.
Au final, la matinée du 23 mai risque d’être une œuvre lithographiée à jamais dans la tête de chaque aficionado, qu’elle soit mauvaise ou d’une jouissance extrême. Il ne reste plus qu’une chose c’est de venir voir l’art rimer avec tauromachie.
V.M
