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Billet de blog 17 novembre 2025

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En Guinée, l'aboutissement d'un mégaprojet minier suscite de prudents espoirs

Le 11 novembre 2025 restera une date symbolique dans l’histoire économique de la Guinée. Les premiers wagons chargés de minerai de fer en provenance du gisement de Simandou (sud-est de la Guinée) ont été réceptionnés, marquant l’aboutissement d’un projet pharaonique attendu depuis des décennies. L’événement, salué comme une victoire nationale, suscite autant d’espoir que de questionnements.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Article rédigé par Abdoulaye Oumou Sow, une version de cet article a d'abord été publiée par Koumamédia le 11 novembre 2025. 


Illustration 1
Le président guinéen, Mamadi Doumbouya (droite), inaugure le site du port de Moribaya le 11 novembre 2025. Au milieu, son homologue gabonais, Brice Clotaire Nguema, et à gauche, le président du Rwanda, Paul Kagamé. © Facebook de la présidence guinéenne

Simandou, l’un des plus grands projets miniers au monde, aura traversé une gestation longue et tumultueuse. Entre les hésitations des sociétés minières internationales et une volonté sans relâche de l’État guinéen, tous régimes confondus, de conditionner l’exploitation à la construction d’un chemin de fer et d’un port en eau profonde, ce projet hors normes a souvent semblé compromis.

Aujourd’hui, la mise en service de ce corridor ferroviaire de 650km de long reliant la région minière du sud du pays au port de Moribaya est une consécration. 120 millions de tonnes devraient y transiter chaque année. Au-delà de l’exportation du minerai, destiné principalement à la Chine, cette infrastructure est perçue comme un outil de transformation structurelle de l’économie nationale.

Illustration 2
Le tracé du chemin de fer qui achemine les minerais. © Mapcreator

Trois ans de chantier à un rythme soutenu

La phase de développement, menée tambour battant en un peu plus de trois ans, a mobilisé près de 20 milliards de dollars d’investissements. Pragmatismes, négociations continues et volonté politique ont permis d’atteindre l’objectif fixé : le démarrage de l’exploitation des quatre blocs de Simandou en novembre 2025.

Mais l’ancienne ministre de l’Économie, Maladho Kaba, invite à dépasser l’euphorie. Dans un essai, elle s’interroge : quelle part de ces investissements colossaux est réellement restée en Guinée ? Combien d’entreprises locales ont été impliquées ? Quels transferts de technologies ont été réalisés ? Et surtout, combien d’unités industrielles guinéennes ont vu le jour grâce à ce projet ?

La Guinée s’est dotée d’une politique de “contenu local” ambitieuse, qui vise à garantir à la fois la création d’emplois locaux et le transfert de compétences vers les entreprises guinéennes de la part des acteurs internationaux impliqués dans le projet.

Mais pour Kaba, l’heure est à la mise en œuvre effective. Sans cela, le pays risque de se limiter à des mesures ad hoc, réduisant l’impact de cette législation. Le tissu des PME et les capacités du secteur financier guinéen restent fragiles, et l’exploitation de Simandou pourrait accentuer ces déséquilibres si des ajustements ne sont pas opérés.

Transparence et gouvernance

Les projections sont vertigineuses : près de 2 milliards de dollars de recettes publiques additionnelles et une augmentation du PIB de 26% d’ici à 2030, selon le Fonds Monétaire International. Mais ces chiffres ne suffisent pas. «Ils doivent rimer avec transparence, discipline et gestion macroéconomique contracyclique», insiste l’ancienne ministre.

Elle rappelle que la Guinée avait amorcé des progrès en matière de transparence budgétaire, notamment par la publication régulière de données sur la dette et les marchés publics. L’ouverture de Simandou offre l’occasion de renouer avec ces pratiques et d’engager un dialogue franc avec les citoyens sur l’utilisation des ressources publiques.

Un fonds souverain ambitieux

L’ouverture du site s’accompagne de la création d’un fonds souverain de 1 milliards de dollars, salué comme une avancée importante. Le fonds coïncide avec l’octroi à la Guinée de sa première notation souveraine, B+, par l’agence américaine Standard & Poor’s. Ce mécanisme pourrait permettre de limiter les effets du « syndrome hollandais », d’absorber les chocs externes et de renforcer la capacité de financement du pays sur les marchés internationaux.

Mais Maladho Kaba appelle à la prudence : les notations des grandes agences ne sont pas des vérités absolues. Elles exigent une capacité accrue de collecte et de publication de données, et une transparence sans faille pour éviter les biais souvent dénoncés en Afrique.

Un immense défi

Au-delà des chiffres et des infrastructures, Simandou pose la question de la gouvernance. Pour l’ancienne ministre, la réussite du projet dépendra de la transformation profonde de l’administration publique : modernisation, digitalisation, efficacité et redevabilité envers les citoyens. « C’est sans doute le plus grand défi de notre pays », conclut-elle.

Simandou incarne l’espoir d’une Guinée transformée, capable de tirer parti de ses vastes ressources naturelles pour bâtir une économie diversifiée et inclusive. Mais il rappelle aussi les interrogations persistantes sur la souveraineté, la transparence et la gouvernance.

En ce 11 novembre, date porteuse de symboles, Maladho Kaba invite à célébrer l’accomplissement tout en gardant le cap sur les réformes indispensables. “Pour qui sonne le train de Simandou?”: la réponse dépendra de la capacité de la Guinée à transformer cette richesse en développement durable et partagé.


Journaliste et blogueur guinéen, Abdoulaye Oumou Sow a travaillé pendant dix ans comme reporter, puis reporter en chef pour le quotidien national Guinée Matin. Ancien secrétaire général de l’association des blogueurs de Guinée, il s’engage contre la junte militaire en tant que membre fondateur du Front National pour la Défense de la Constitution, un mouvement citoyen pro-démocratie. Il quitte la Guinée pour le Sénégal en 2022, puis rejoint la France.

Il a depuis fondé le média citoyen Koumamedia, qui porte la voix de l’information libre et engagée en Afrique de l’Ouest. Passionné de lutte contre la désinformation, il contribue également régulièrement au site de fact-checking Guinée Check.


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