Article rédigé par Halima Karimi
En août 2025, l’Afghanistan marque le triste anniversaire des quatre ans de la prise de pouvoir des Talibans. Pour des milliers de journalistes, militants et familles réfugiés au Pakistan, l’exil s’éternise. Entre lenteurs administratives, menaces d’expulsion et abus policiers, leurs espoirs d’un avenir sûr restent suspendus.
Depuis août 2021, de nombreux journalistes afghans ont trouvé refuge au Pakistan, espérant obtenir un visa pour l’Europe ou les États-Unis grâce au soutien d’organisations de défense des médias. Si certains ont pu partir, d’autres attendent encore un rendez-vous avec les ambassades européennes.
C’est le cas d’Ahmad shah Shadab, journaliste dans le sud de l’Afghanistan durant la République, où il a documenté les crimes de guerre talibans. Après deux ans passés au Pakistan, il vit dans la peur d’un retour forcé :
« En raison de la fermeture des ambassades européennes à Kaboul, j’ai dû venir au Pakistan. Mon visa a expiré mais j’ai réussi à le prolonger. Ici, la police arrête ou expulse les Afghans, même avec des papiers en règle. »
Étant donné que le processus de délivrance des visas européens pour les Afghans est particulièrement lent en Iran, de nombreux demandeurs se trouvent au Pakistan. L’augmentation de la demande à Islamabad a encore ralenti ce processus, et l’examen des dossiers par les ambassades prend beaucoup de temps. À plusieurs reprises, cela a conduit à la suspension temporaire de la délivrance de visas pour certains pays, comme l’Allemagne, avant une reprise après un certain délai.
Par ailleurs, avec la mise en œuvre de la politique américaine instaurée sous Donald Trump, interdisant la délivrance de visas à certains pays, dont l’Afghanistan, des milliers de collaborateurs des forces étrangères, y compris américaines, se retrouvent dans une incertitude totale au Pakistan. Depuis plus de trois ans, des familles ayant déposé des demandes d’asile, de visas humanitaires ou d’autres démarches pour des pays européens et les États-Unis attendent, bloquées par un processus administratif long et complexe. Elles ne peuvent ni retourner en Afghanistan, en raison de menaces sécuritaires, ni rejoindre un pays tiers pour se mettre à l’abri avec leurs proches.
Ces expulsions massives ont été vivement critiquées par les organisations internationales. Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et l’Organisation internationale pour les migrations ont appelé à plusieurs reprises à mettre fin à ces expulsions forcées et à respecter les droits humains des rapatriés.
Cette crise constitue non seulement un immense défi humanitaire pour l’Afghanistan, mais elle pèse également lourdement sur les organisations humanitaires et sur la communauté internationale, mobilisées pour venir en aide à des millions de personnes sans abri et sans perspective. Malgré ces appels, le processus d’expulsion des migrants afghans du Pakistan se poursuit, et son issue reste incertaine.
Abus et extorsion de la police pakistanaise envers les migrants afghans
L’extorsion d’argent par la police pakistanaise à l’encontre des migrants afghans est devenue une pratique courante, voire systématique.
Freshta Sadid, une citoyenne afghane, raconte que la police pakistanaise a fait irruption à son domicile et l’a arrêtée :
« La police m’a demandé de payer un lakh de roupies (environ 350 euros) en échange de ma libération. Même si je disposais d’un visa français et que j’étais sur le point de quitter le Pakistan, ils n’ont pas tenu compte de mes explications. Ils m’ont arrêtée et détenue pendant trois jours. »
Elle n’est pas la seule victime d’extorsion. Mansour, un autre citoyen afghan, explique :
« Je suis venu au Pakistan pour le traitement de ma mère. La nuit, sur le chemin du retour de l’hôpital, à un poste de contrôle, lorsque la police a compris que j’étais Afghan, elle m’a demandé de l’argent. Même avec mes documents et les ordonnances médicales, ils ont refusé de me laisser partir avant que je ne paie cinq mille roupies. »
À Rawalpindi, comme ailleurs, les Talibans eux-mêmes ont exprimé leur inquiétude face au harcèlement subi par les migrants afghans au Pakistan, appelant les autorités à les traiter avec respect et dignité. Plusieurs organisations de soutien aux journalistes, de défense des droits humains et des droits des femmes ont, dans certains cas, tenté d’empêcher des arrestations, mais leurs interventions restent souvent ignorées par la police pakistanaise.
Cette situation est d’autant plus préoccupante qu’aucune disposition de la législation pakistanaise sur l’immigration ne prévoit l’octroi de la résidence ou de l’asile aux migrants vivant depuis des décennies dans le pays, y ayant fondé une famille ou investi. Ainsi, même ceux qui ont passé la majeure partie de leur vie au Pakistan, sans connaître l’Afghanistan, se retrouvent aujourd’hui menacés d’expulsion forcée.
De l’autre côté de la frontière, l’Afghanistan accueille aussi des migrants qui, après des années passées au Pakistan, reviennent désormais dans un pays où un avenir sombre et incertain les attend.
Halima Karimi est une journaliste afghane, connue pour ses reportages d’investigation sur les violations de droits humains et la corruption en Afghanistan.
Également présentatrice de radio engagée pour les droits des femmes, elle animait un programme hebdomadaire sur les violences domestiques.
Contrainte à l’exil en raison de menaces du régime taliban, elle arrive en France en 2022, d’où elle poursuit notamment son travail auprès de la rédaction franco-exilée Guiti News et d’autres organes de presse.
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