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Billet de blog 17 septembre 2025

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Manifestations d'extrême droite à Londres : le rôle du Labour

Jusqu’à 150 000 militants d’extrême droite ont défilé à Londres le 13 septembre. Une mobilisation d’ampleur qui interroge : comment en est-on arrivé là ? Le durcissement du discours migratoire du Labour et son alignement partiel sur les thématiques de la droite radicale nourrissent l’idée d’une responsabilité politique partagée.

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Manifestation d’extrême droite à Londres le 13 septembre 2025 © Credit: extrait du YouTube London Protest LIVE de The Financial Express

Le 13 septembre 2025 restera gravé dans l’histoire britannique comme le jour de la plus grande manifestation d’extrême droite jamais vue en Angleterre. Entre 110 000 et 150 000 personnes ont envahi les rues de Londres à l’appel du militant raciste, anti-islam et multi-condamné Tommy Robinson. Parmi les temps forts de cette mobilisation, l’intervention d’Eric Zemmour venu en personne et celle, virtuelle, d’Elon Musk.

Jamais depuis les années 1930 un mouvement d’extrême droite n’avait atteint une telle ampleur en Grande Bretagne. La « Bataille de Cable Street » d’octobre 1936, menée par Oswald Mosley et ses quelques milliers de « chemises noires », avait été stoppée par une mobilisation populaire massive et des affrontements violents avec la police montée. Le slogan « They shall not pass » (Ils ne passeront pas) galvanisait alors la résistance. Cent ans plus tard, la contre-manifestation antifasciste n’a réuni qu’environ 5 000 personnes. Le rapport de forces s’est inversé, et avec lui, le symbole de l’influence grandissante de l’extrême droite dans le paysage britannique.

La police britannique, pourtant réputée pour sa répression efficace des manifestations pro-palestiniennes et l’arrestation de 1 500 activistes pacifistes ces dernières semaines, a été largement dépasséeCharlotte Minvielle, ancienne candidate du Nouveau Front Populaire en Europe du Nord 2024 et co-secrétaire des Écologistes UK, présente lors de la contre-manifestation, confiait :

« Sur la journée d’hier: Rémi, Nourane, Margot et moi avons été encerclés avec les autres. Un manque d’anticipation des forces de l’ordre, qui nous ont protégés certes, mais on n'a pas vu une grosse volonté de mettre fin à cette nasse rapidement. C’était aussi terrifiant de voir les fachos en nombre dans les rues. »

Comment en est-on arrivée là ? Depuis plusieurs semaines, l’actualité était dominée par une série d’attaques et de violentes protestations devant des hôtels accueillant temporairement des demandeurs d’asile. La situation s’est particulièrement envenimée après qu’un résident de l’un de ces hôtels a été accusé — tout en niant les faits — d’avoir agressé sexuellement une adolescente de 14 ans.

Rapidement, une association implicite migrant = violeur  s’est imposée dans une partie de l’opinion publique, alimentée par les discours anti-migrants de certains responsables politiques. Même le gouvernement travailliste, jusqu’ici plus modéré, semble désormais orienter sa rhétorique vers celle de la droite qu’il a remplacée, accentuant la stigmatisation et le climat de peur.

Quelques voix dissonantes se font certes entendre au sein du Labour, mais le parti, traumatisé par la purge de toute dissidence — c’est-à-dire les éléments jugés trop à gauche depuis l’arrivée de Keir Starmer à sa tête — reste largement silencieux. Une rébellion d’une centaine de députés travaillistes avait bien contraint le gouvernement à reculer en juin face à son projet de coupes dans les aides sociales. Pourtant, l’exécutif a réussi à préserver près de la moitié des réductions budgétaires initialement prévues, en ciblant particulièrement les nouveaux demandeurs.

Le week-end dernier, Andy Burnham, maire travailliste de Manchester et critique de longue date — quoique modéré — de la politique de Starmer, appelait à une « réinitialisation » et exhortait le gouvernement à « écouter le cœur du parti », plaidant pour davantage d’inclusion et de pluralité. Selon le Guardian, Burnham se préparerait à lancer un nouveau courant au sein du Labour, baptisé « Mainstream », que le quotidien décrit comme un mouvement de « gauche douce » visant à influencer l’orientation de la formation. Une initiative qui illustre l’ampleur du virage à droite opéré par le parti ces dernières années.

Emily Thornberry, autre figure de poids du parti (pourtant écartée du gouvernement) a reconnu sur la BBC que « les choses ne semblent tout simplement pas fonctionner », ajoutant : « La dernière chose que nous voulons, c’est passer d’une position où nous pensions être là pour deux mandats à celle de remettre notre pays à Farage. » Pour autant, elle y voit surtout un problème de communication : « Il y a des choses que nous faisons qui sont fantastiques, mais personne ne semble le savoir, personne ne semble en entendre parler. » La faute aux médias, sans doute…

Mais de quoi parle-t-elle vraiment ? De la suppression des aides aux retraités pour leurs factures d’énergie ? Du maintien du plafond des allocations familiales et de l’expulsion des députés dissidents ? Du gel des aides au logement ? De l’augmentation des frais universitaires à plus de 12 500 euros par an ? Ou encore des réformes impopulaires sur les droits de succession agricoles, du relâchement des normes environnementales et fiscales, et des réductions massives des prestations sociales comme le crédit universel et l’allocation d’autonomie personnelle ?

Chez Starmer, les mots sont désormais creux. Le nouveau slogan  du Premier ministre, «Delivery, delivery, delivery» (mettre en oeuvre, répété 3 fois), sonne comme un mantra vide, tandis que l’extrême droite avance sur ses plates-bandes.Le probleme est que les mots du leader du Labour sont de plus en plus vides de sens.Il remplace le « Growth, growth, growth » (croissance) martelé jusqu’alors : une ambition qui n’a jamais atteint les 3 % escomptés. ; disons que ce dernier n’est pas un échec, mais ça n’a pas marché jusqu’à présent Mais que penser de l’ambition d’un gouvernement qui annonce que son objectif sera simplement de faire quelque chose ? Dans six mois, le nouveau slogan sera-t-il « Gouverner, gouverner, gouverner » ? Et mettre en oeuvre quoi, au juste ?

Sur ce dernier point, quelques indices se dessinent : Starmer a clairement mis l’accent sur la lutte contre l’immigration, annonçant la fermeture des hébergements pour demandeurs d’asile « aussi vite que possible ». La veille, Yvette Cooper, ministre de l’Intérieur pour quelques jours encore, avait suspendu temporairement le dispositif de regroupement familial pour les réfugiés, invoquant son exploitation par des passeurs et la pression qu’il exerçait sur les autorités locales. Dorénavant, les réfugiés devront passer par la procédure classique réservée aux citoyens britanniques, exigeant un revenu combiné d’au moins 29 000 £ (33 000 €, salaire médian hors Londres) pour pouvoir faire venir leur famille au Royaume-Uni.

Un remaniement du gouvernement toujours plus à droite

La semaine dernière, la vice-Première ministre Angela Rayner a démissionné de son poste. Les circonstances de son départ sont classiques : des révélations médiatiques sur ce qu’elle a présenté comme des « erreurs » fiscales lui ayant permis d’économiser plus de 45 000 € ont déclenché la tempête. Plusieurs journaux de droite — notamment le Daily Mail et le Telegraph — ont mené la charge, titrant sur une supposée « fraude fiscale » ou « mauvaise foi ».

L’opposition s’est engouffrée dans la brèche, enfermant Rayner dans une spirale de perte de confiance publique, tandis que la presse scrutait également sa situation familiale. Lorsqu’elle a elle-même saisi la commission des normes ministérielles, cela n’a fait qu’aggraver la situation : la commission a conclu qu’elle avait enfreint le code de conduite en ne demandant pas de conseil fiscal spécialisé à temps. La pression est devenue intenable, et son départ inévitable.

Avec sa démission, le gouvernement britannique perd ce que de nombreux observateurs considèrent comme son dernier pilier de gauche. Malgré son ralliement aux récentes politiques d’austérité sociale et aux discours anti-régulation et anti-environnementaux de l’exécutif, Angela Rayner conservait une image de représentante progressiste au sein du parti au pouvoir.

Issue d’un milieu ouvrier, Rayner avait quitté l’école à 16 ans sans qualification. Ancienne aide-soignante et syndicaliste, elle a gravi les échelons politiques jusqu’à occuper, encore récemment, le poste de numéro deux du gouvernement. Son parcours atypique faisait d’elle une figure singulière au sein d’un exécutif de plus en plus uniforme idéologiquement.

« Qu’ils remportent ou perdent les élections de mai prochain, la responsabilité leur incombera entièrement, car plus personne au sein du gouvernement ne remet en question son action, affichant un désintérêt total pour les opinions divergentes », affirme une source au Guardian.

Le départ d’Angela Rayner a offert à Starmer l’occasion de remanier en profondeur son gouvernement — à noter qu’il n’a apparemment même pas pris la peine d’appeler les ministres limogés — en promouvant essentiellement des figures issues de l’aile droite du parti.

Dans ce jeu de chaises musicales, certains pointent la main de son très droitier chef de cabinet, Morgan McSweeney, l’homme de l’ombre derrière les coups tordus du Labour, parfois surnommé « le cerveau » du Premier ministre. Crédité de l’ensemble de la stratégie politique de Starmer, il aurait orchestré l’éviction de Corbyn et façonné la conquête du parti par l’actuel leader travailliste. Plusieurs médias et observateurs le décrivent comme celui qui tient les rênes politiques derrière Starmer, exerçant un pouvoir immense sans jamais être élu — une sorte d’Alexis Kohler d’outre-Manche.

On pourrait presque regretter Yvette Cooper, partie aux Affaires étrangères, cédant sa place à Shabana Mahmood au poste de ministre de l’Intérieur. « Attendez-vous à ce qu’on se concentre encore plus sur la réécriture des traités internationaux, l’introduction de cartes d’identité, la fermeture des hôtels d’asile et l’accélération des renvois », écrit l’hebdomadaire The Observer. En mars dernier, alors qu’elle était ministre de la Justice, Shabana Mahmood avait déclaré : « Il y a toujours une place de prison disponible pour chacun. »

À peine arrivée aux manettes après le remaniement, la nouvelle ministre de l’Intérieur a enfoncé le clou. Elle a menacé de suspendre l’attribution de visas aux ressortissants des pays qui refusent ou tardent à reprendre leurs citoyens déboutés du droit d’asile au Royaume-Uni. Cette mesure de rétorsion, votée par le gouvernement conservateur précédent en 2022, n’avait jamais été mise en œuvre pour des considérations diplomatiques évidentes.

Shabana Mahmood a également remis sur le tapis le cheval de bataille des anciens gouvernements de droite et d’extrême droite concernant la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), en suggérant de revoir la manière dont ses décisions sont appliquées au Royaume-Uni. Rappelons qu’au début de 2024, le gouvernement conservateur de Rishi Sunak avait fait ratifier en urgence une législation spéciale, présentant les décisions des juridictions internationales comme facultatives, affirmant que « les ministres conserveront la décision de se conformer ou non aux mesures de la Cour européenne des droits de l’homme ». Le gouvernement travailliste s’inscrit donc pleinement dans cette ligne, validant encore une fois la position du parti xénophobe Reform UK, qui prévoit pour sa part de se retirer totalement de l’organisation internationale.

Le détournement des lois antiterrorisme pour criminaliser les manifestations pacifiques

La nouvelle occupante du Home Office va devoir se démener pour faire mieux que sa prédécesseure. Yvette Cooper s’est particulièrement mise en avant ces dernières semaines avec l’interdiction du groupe Palestine Action et surtout le vote d’une loi au Parlement permettant d’inculper d’association avec une organisation terroriste le simple fait de parler positivement de l’organisation.

Fondé en juillet 2020, le groupe activiste Palestine Action se concentre sur la « désobéissance directe » pour dénoncer la complicité britannique dans la politique d’Israël envers les territoires palestiniens. Ses actions visent principalement des entreprises liées à l’armement israélien, à travers des occupations, blocages, actes de vandalisme, jets de peinture rouge ou intrusions sur des sites militaires. Parmi leurs actions récentes les plus marquantes : l’occupation du toit d’une usine de drones à Leicester en 2021 et l’effraction dans une autre usine similaire en 2022.

Mais tout bascule le 20 juin 2025, lorsque deux activistes pénètrent (en trottinette !) sur une base de la Royal Air Force et aspergent d’aérosols de peinture rouge deux avions utilisés pour des vols de surveillance au-dessus de Gaza. Plutôt que de les poursuivre pour dommages matériels, comme cela se fait habituellement, le gouvernement choisit d’appliquer la législation antiterroriste pour proscrire Palestine Action, le plaçant sur le même plan qu’Al-Qaïda ou l’État islamique.

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Image du réacteur d’un avion aspergé de peinture rouge par les activites de Palestine Action © Credit : extrait d’une video SkyTV.

« Cette loi associe un réseau non violent d’étudiants, d’infirmiers, d’enseignants, de pompiers et de militants pour la paix — des personnes ordinaires, mes électeurs et les vôtres — à des milices néonazies et à des sectes de masse. Pour être clair : assimiler une bombe suicide à une bombe aérosol de peinture n’est pas seulement absurde ; c’est grotesque« , a déclaré Zarah Sultana, nouvelle égérie de la gauche radicale aux côtés de Jeremy Corbyn, à la Chambre des communes, le 2 juillet 2025.

Zarah Sultana a rappelé qu’il y a 21 ans, un avocat spécialisé en droits humains défendait un activiste ayant pénétré dans la base de RAF Fairford pour désactiver un bombardier, afin d’empêcher des crimes de guerre en Irak — basés, comme on le sait aujourd’hui, sur des mensonges concernant les armes de destruction massive. Ce fut un cas emblématique de désobéissance directe légale et non violente contre une guerre illégale. Il ne s’agissait pas de terrorisme, mais d’une question de conscience, selon la plaidoirie de l’homme de loi.

Cet avocat de l’époque est actuellement Premier ministre du Royaume-Uni et s’appelle Keir Starmer. Un virage à 180 degrés, une absence apparente de convictions orientée avant tout par l’opportunisme politique — une posture que certains comparent à celle de l’ancien Premier ministre Boris Johnson.

À partir de ce moment-là, toute mention du nom de Palestine Action au Royaume-Uni, hormis pour le critiquer, peut entraîner l’arrestation et l’inculpation pour association avec une organisation terroriste, passible de 14 ans de prison (en réalité, dans le cadre de port de pancartes, on parle plutôt de 6 mois de prison et d’amendes illimitées).

Fin juillet, la police anti-terroriste arrête Jon Farley. Son crime ? Tenir une feuille reproduisant un dessin du journal satirique Private Eye qui se moquait de l’interdiction du groupe Palestine Action par le gouvernement. 

Le 9 août, environ 500 à 600 personnes se sont rassemblées devant le Parlement avec des affiches proclamant : « Je m’oppose au génocide. Je soutiens Palestine Action. » La grande majorité a été arrêtée pour avoir simplement brandi une pancarte, porté un slogan ou exprimé publiquement leur soutien — 432 au total, dont 422 inculpations relevant du Terrorism Act pour soutien à un groupe interdit.

Un mois plus tard ce sont 1500 personnes qui manifestent et cette fois ci 890 arrestations. La direction de la police londonnienne se plaint d’actions coordoonnées « pour empêcher les forces de l’ordre de faire leur devoir » , ce qui inclut ne pas bouger, ne pas vouloir se lever et rester assis par terre.

Avec un sarcasme exquis, le site Normal Island News commente l’arrestation d’une retraitée de plus de 80 ans par la police du contre-terrorisme, soulignant « qu’un agent de police reste en soins intensifs, en raison des blessures subies à cause d’une canne » et que « ne voulant prendre aucun risque, plusieurs agents ont escorté la femme âgée qui est si dangereuse qu’elle peut à peine marcher. » Mais la réalité n’est en fait pas très éloignée : sur une vidéo de Novara Media, on voit une vingtaine de policiers se déplacer en escadron pour arrêter un potentiel « criminel dangereux » — un retraité. Avec les personnes âgées, évidemment, cela prend un peu de temps…

© Harriet Williamson

La moitié des personnes arrêtées en septembre ont été conduites dans divers postes de police de Londres dans le cadre de la procédure. Avec la nouvelle loi du gouvernement Starmer, ces quelque 1 500 inculpés risquent tous plus d’une décennie de prison pour avoir simplement tenu une pancarte ou porté un t-shirt.

Ces arrestations liées aux rassemblements en soutien à Palestine Action constituent le seul cas de masse de cette ampleur depuis les émeutes contre la poll tax sous Thatcher en 1990, où 339 personnes avaient été arrêtées en une seule journée. Aucun autre mouvement social ou manifestation au Royaume-Uni n’a depuis atteint un tel niveau d’arrestations en l’espace de 24 heures — même lors des grandes mobilisations d’Extinction Rebellion ou d’autres mouvements contemporains, les chiffres sont restés largement inférieurs.

Lors de la grande marche fasciste de samedi dernier à Londres, les violences ont été extrêmement importantes. Plusieurs groupes de manifestants d’extrême droite ont lancé des bouteilles et divers projectiles sur les forces de l’ordre, entraînant des affrontements. La police de Londres a rapporté 26 policiers blessés, dont quatre gravement, avec des traumatismes allant de dents cassées et commotions cérébrales à une possible fracture du nez. Mais elle n’a arrêté que 25 personnes.

La loi promulguée par le gouvernement Starmer suscite l’indignation de nombreuses organisations internationales. Dans un communiqué spécial, le haut commissaire aux Nations Unis pour les droits de l’Homme, Volker Türk, dénoncait le dévoiement des accusations de terrorisme:

« Selon les normes internationales, les actes terroristes devraient être limités aux actes criminels visant à causer la mort ou des blessures graves ou à la prise d’otages, dans le but d’intimider une population ou de contraindre un gouvernement à prendre une certaine action ou non. [La nouvelle législation anti-terroriste]  utilise mal la gravité et l’impact du terrorisme pour l’étendre au-delà de ces limites claires, pour englober d’autres comportements qui sont déjà réprimées par la loi. » Il ajoute que cela « semble constituer une restriction inadmissible à [la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association] qui est en contradiction avec les obligations du Royaume-Uni en vertu du droit international des droits de l’homme. »

Amnesty International a aussi réagi en soulignant:

« En vertu du cadre international des droits de l’homme auquel le Royaume-Uni est partie [CEDH, art 10 & 11], l’ingérence de l’État dans la liberté d’expression et de réunion pacifique doit être légale et constituer un moyen nécessaire et proportionné d’atteindre un objectif légitime. »

Mais au final, le Royaume Uni ne fait que suivre la voie de la France.

Après les attentats du 13 novembre 2015, l’état d’urgence et les lois antiterroristes ont été proclamés, et le gouvernement français s’en est immédiatement servi pour cibler et parquer des activistes écologistes, sous couvert de réduire l’agitation politique et la mobilisation sociale autour de la COP21 organisée à Paris en décembre 2015. Plusieurs dizaines de militants écologistes ont été assignés à résidence sur tout le territoire. Dans le livre « Un président ne devrait pas dire ça… » des journalistes du Monde Gérard Davet et Fabrice Lhomme et publié en 2016, le président Hollande reconnaît d’ailleurs que l’état d’urgence a été un prétexte pour interdire les manifestations des écologistes. 

Palestine Action a fait appel devant la Haute Cour de justice britannique pour contester son interdiction prononcée par le gouvernement sous la législation antiterroriste. Une audience est prévue en novembre pour un examen approfondi de la validité de cette mesure.

Si la Haute Cour déclare que la loi adoptée par le Parlement (l’interdiction de Palestine Action) est illégale – c’est-à-dire non conforme aux droits fondamentaux garantis, notamment par la Convention européenne des droits de l’homme – l’ordre d’interdiction serait annulé.

Dans ce scénario, la grande majorité des arrestations liées au soutien à Palestine Action deviendraient arbitraires ou abusives, et la police pourrait potentiellement être poursuivie pour avoir agi en violation des droits légaux des manifestants.

La dérive xénophobe et sécuritaire du gouvernement Starmer

En l’état, si une forme de tolérance se manifeste quelque part, elle semble bien se situer du côté des discours de plus en plus xénophobes et racistes, non seulement de l’extrême droite anglaise et du Parti conservateur, mais désormais largement intégrés dans la rhétorique du gouvernement Labour de Keir Starmer.

Il ne s’est pas écoulé deux semaines depuis les élections locales partielles qui ont consacré la victoire éclatante de l’extrême droite en Angleterre que je reçois une alerte sur une boucle de discussion de Français à Londres : « Je ne veux pas jeter le caillou dans la mare, mais personne ici n’est gêné par la rhétorique de Starmer sur l’immigration ? »

Dès le lendemain du scrutin, l’entourage du Premier ministre interprétait la claque électorale comme le signal d’un durcissement nécessaire de sa politique anti‑migrants. À Downing Street, la ligne est claire : accentuer encore la fermeté. Alors même que le dépouillement n’était pas terminé dans certains bureaux de vote, le gouvernement annonçait déjà son intention de réduire davantage le recours aux hôtels pour héberger les demandeurs d’asile.

Ce premier geste, annoncé à chaud, ne constituait qu’un amuse-bouche. Depuis, les stratèges de l’exécutif ont affiné leur analyse : le meilleur moyen de répondre au revers électoral serait un virage marqué à droite, empruntant sans détour les thèmes de l’extrême droite. Fini les précautions de langage : cette fois, le gouvernement choisit d’y aller franchement.

En conférence de presse donc, le lundi 12 mai 2025, Keir Starmer présente un Livre blanc sur l’immigration à Downing Street, annonçant un plan radical pour réduire la migration légale et réformer les conditions d’accueil et de recrutement des travailleurs étrangers. Il s’agit de « reprendre le contrôle des frontières » . En anglais dans le texte : « take back control of our borders« , mot pour mot le slogan de campagne de Boris Johnson qui a réussit a obtenir une majorité absolue en 2019 en promettant d’accomplir le Brexit une fois pour toute.

Johnson, connu pour son humour et ses pitreries publiques (souvenez-vous de son inauguration du téléphérique de Londres) a sans doute goûté l’hommage.

Mais c’est la suite du discours qui choque le plus. Starmer affirme que, sans un contrôle strict de l’immigration, le Royaume-Uni risquerait de devenir une « island of strangers » (une île d’étrangers). Des mots immédiatement interprétés comme un écho à l’imaginaire d’Enoch Powell et à son célèbre discours Rivers of Blood de 1968, où le député conservateur alertait sur le risque de voir les Britanniques devenir « strangers in their own country » (étrangers dans leur propre pays). À l’époque scandaleux, ce discours lui avait valu l’exclusion de son parti, mais il demeure une référence récurrente pour les mouvements anti-migrants.

Pour sa défense, Starmer a assuré, le mois suivant, qu’il ignorait la charge historique de l’expression. Mais qui peut croire à un simple accident dans le contexte actuel ? Sur les réseaux sociaux du Premier ministre, visuels et messages se succèdent pour mettre en avant la lutte du gouvernement contre l’immigration illégale (ici et encore là, pour ne citer que quelques exemples de cette obsession migratoire). « Quand je dis que je ne reculerai devant rien pour sécuriser nos frontières, je le pense vraiment », insiste-t-il.

Le mois dernier, la France et le Royaume‑Uni ont signé un accord pilote : tout migrant arrivé illégalement pourra être renvoyé en France. Les Britanniques s’engagent à accueillir en échange un demandeur d’asile ayant déposé une demande officielle. Petit problème : la plateforme prévue n’existe toujours pas, et le seul site accessible reste celui du gouvernement britannique, réservé à ceux déjà sur place.

Sur le compte Instagram du parti travailliste, la véritable opposition au Premier ministre est clairement mise en scène : Nigel Farage y est sans cesse comparé à Keir Starmer. D’un côté, celui qui parle ; de l’autre, celui qui agit… mais, à en juger par les visuels, pour un objectif similaire.

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© Compte Instagram officiel du Parti travailliste https://www.instagram.com/p/DN0fRkw5CxG

Dans le même temps, Starmer publie un message de condoléances après l’assassinat de Charlie Kirk, figure de la droite radicale américaine, connu pour ses positions racistes, xénophobes, misogynes, climatosceptiques, nationalistes chrétiennes et complotistes.

© Keir Starmer

Le parti de Jean-Marie puis Marine Le Pen maîtrise parfaitement la mécanique et en tire profit depuis plus de vingt ans : plus les partis traditionnels reprennent sa rhétorique, plus son audience progresse. Il y a certes eu quelques parenthèses : en 2007, Nicolas Sarkozy avait capté une partie de l’électorat d’extrême droite en reprenant certains de ses thèmes de campagne, et en 2019, Boris Johnson avait obtenu une majorité absolue au Parlement en rassemblant sous son nom une partie des électeurs précédemment tournés vers le Brexit Party. Mais ces épisodes sont restés temporaires.

Au final, non seulement les discours de l’extrême droite deviennent audibles, voire banalisés, mais leurs représentants gagnent eux-mêmes en légitimité. Un cas d’école du déplacement de la fenêtre d’Overton, qui définit l’espace des discours publics jugés acceptables.

Le gouvernement Starmer déroule tout simplement le tapis rouge sous les pieds de l’extrême droite

Avec la hausse des dépenses militaires décidée en début d’année — financée prioritairement par une réduction de l’aide au développement —, le durcissement de la politique migratoire et un discours sécuritaire toujours plus appuyé, le grand quotidien de droite du pays relevait en mars que l’ensemble faisait paraître Reform UK presque modéré en comparaison. Un parti « un peu mou », aurait sans doute ironisé Gérald Darmanin.

Nigel Farage, chef de la formation d’extrême droite, peut en tout cas se réjouir de voir ses thèmes de prédilection repris par le gouvernement. Il ne s’était d’ailleurs pas privé de railler cette convergence dès mars, lâchant : « Pouvez-vous arrêter les travaillistes pour avoir volé mon programme ? »

L’époque est déjà festive pour Reform UK, mais la démission d’Angela Rayner vient couronner une séquence faste. Au moment de son départ, le parti tenait sa conférence annuelle à Birmingham, à quelque 200 kilomètres au nord de Londres. Depuis son triomphe aux élections locales de mai, la formation d’extrême droite caracole en tête des sondages. Certes, le scrutin ne concernait qu’un peu moins de 10 % des circonscriptions, mais le résultat n’en a pas moins été spectaculaire : avec 40 % des sièges, Reform UK s’est imposé comme le grand vainqueur. Le parti, qui ne comptait jusque-là aucun élu dans ces exécutifs locaux, en détient désormais 677. Sur les 23 municipalités renouvelées, il en contrôle 10 à lui seul, avec une majorité absolue. « Le vote travailliste est en chute libre » soulignait John Curtice, le spécialiste reconnu des scrutins britanniques.

Après la reprise de ses thèmes de prédilection par les grands partis, la victoire électorale de la formation d’extrême droite renforce le récit qu’il s’efforce d’imposer : celui d’un parti désormais crédible, en pleine ascension, aujourd’hui principale force d’opposition et demain, peut-être, vainqueur capable de faire tomber le gouvernement travailliste.

Farage jubile. Celui qui passait encore, il y a dix ans, pour un trublion fantasque au discours simpliste et populiste est désormais un prétendant sérieux au pouvoir. Autrefois marginal, il a su se construire patiemment comme figure souverainiste et eurosceptique : d’abord à la tête de l’UKIP (2006-2016), avec pour objectif d’arracher un référendum sur l’Union européenne ; puis avec le Brexit Party, pour contraindre le gouvernement à mettre en œuvre le vote. Avec Reform UK enfin, il exploite le désarroi économique et trouve dans le migrant le bouc émissaire idéal [*].

Il faut dire qu’il a été largement aidé, depuis quinze ans, par les gouvernements successifs. Dès 2012 Theresa May alors ministre de l’intérieur du gouvernement de coalition déclare au Telegraph que son objectif « est de créer ici en Grande-Bretagne un environnement vraiment hostile à l’immigration illégale » . Nous aurons ensuite (liste non exhaustive !) l’obligation pour médecins, enseignants et travailleurs sociaux de signaler les migrants en situation irrégulière, l’exclusion des étrangers des allocations logement, le slogan martelé de la nécessité de « reprendre le contrôle » des frontières, le projet d’expulser les demandeurs d’asile vers le Rwanda, l’emploi du mot « invasion » pour qualifier les traversées de la Manche, ainsi que l’instauration d’un système de visas à points et de seuils de revenus minimums.

Si les Conservateurs ont tracé le chemin, les Travaillistes sont en train de paver à grande vitesse et l’agitateur d’hier est bien en passe de devenir celui qui pourrait conduire le prochain gouvernement britannique. Et ne vous fiez pas aux apparences : la poignée de députés et les quelques mairies remportées cachent une réalité bien plus inquiétante. Car dans le système électoral à un seul tour, celui qui arrive en tête remporte tout. Sans second tour, aucun front commun n’est possible. Une règle qui pourrait très rapidement transformer l’outsider d’hier en vainqueur de demain.

Le parallèle avec la France est frappant : alors que le FN/RN ne comptait que deux députés en 2012, puis huit en 2017, il est passé à 89 en 2022, puis 126 en 2024 (voire 143 en incluant les apparentés). Mais la progression britannique est encore plus alarmante : les municipales du printemps dernier montrent une montée fulgurante de l’extrême droite.

L’accélération est telle que certains se demandent désormais ouvertement si Starmer tiendra jusqu’aux prochaines élections municipales en mai. Et nombreux sont ceux qui estiment que si le désastre annoncé se concrétise, il pourrait être contraint de plier bagage.

Que des commentateurs se posent cette question à peine plus d’un an après une victoire qui semblait massive aux élections générales du 4 juillet 2024 en dit long sur l’état actuel du gouvernement et sur la réelle préparation des Travaillistes à gouverner.

[*] Les fameux boat people qui traversent la Manche et monopolisent 80% du temps d’antenne représentaient environ 37 000 personnes en 2024 – soit 10% du solde migratoire total du pays. Pendant ce temps, plus de 430 000 migrants sont entrés au Royaume-Uni en 2024 (860 000 en 2023 sous le gouvernement conservateur), notamment des étudiants étrangers qui renflouent les caisses d’un système universitaire en faillite grâce à leurs frais de scolarité trois fois supérieurs. Le pays, dix-septième en Europe pour l’accueil de demandeurs d’asile rapporté à sa population, se révèle être un bien piètre « réceptacle » de l’immigration mondiale. Mais peu importe la réalité : quelques milliers de malheureux dans des canots pneumatiques font plus recette électoralement que les centaines de milliers de visas étudiants distribués chaque année pour sauver les finances publiques. L’art consommé de regarder ailleurs quand ça arrange.

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L'Effet Starmer © Le Bord de l'Eau éditions

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