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Billet de blog 25 septembre 2024

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Depuis le Brexit, les déboires s'accumulent sur le Lycée français de Londres

La communauté française de Londres est en émoi. Effet collatéral de l'arrivée du Parti travailliste au pouvoir, le prestigieux Lycée Français Charles de Gaulle situé au centre de Londres pourrait voir ses tarifs augmenter de 20% d'un coup et mettre l'établissement, déjà en situation financière précaire depuis quelques années, dans une position périlleuse.

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Façade du Lycée Français Charles de Gaulle à Londres © Crédit: Auteur

On est en 2014. Le célèbre établissement français vient de fêter ses 100 ans. C’est l’une des écoles les plus prisées et réputées à Londres (au début des années 2000 Madonna a fait des pieds et des mains pour y inscrire sa fille Lourdes), mais il craque de partout. Avec presque 4200 élèves, à une heure donnée, il n’est pas rare qu’il n’y ait plus une seule salle non occupée dans les bâtiments situés à South Kensington, un arrondissement au cœur de la capitale britannique. Les listes d’attentes sont un casse tête pour les parents de la communauté française, et de nombreux enfants sont refusés chaque année. La priorité répond à des critères strictes : d’abord les personnels de l’administration française et ceux venant des Lycées français de l’étranger, puis ceux déjà scolarisés dans le système français et finalement les enfants au Royaume Uni.

En 2012, Olivier Cadic, sénateur Union Centriste représentant les Français établis hors de France, écrit sur son blog qu’il faut gérer « la saturation du lycée Charles de Gaulle » et qu’il convient de rechercher « un nouvel établissement pouvant accueillir 1000 élèves à horizon 2013/2014. » Dès 2011, le plan-école prévoyait, en plus du nouveau collège (CFBL) de Kentish Town qui ouvrait tout juste, un nouvel établissement secondaire à Londres. Quatre ans plus tard, l’inauguration d’un Lycée à Wembley, dans la banlieue nord, devait désengorger l’établissement historique du centre de Londres. Cela sera-t-il suffisant, alors que le nombre de Français expatriés ne cesse de croitre se demande le sénateur à l’époque ?

Un an plus tard, les Britanniques font le choix du Brexit et la trajectoire prévue pour les écoles françaises du Royaume Uni s’assombrit brusquement.

Le réseau des Lycées Français de l’étranger et le cas à part du Lycée de Londres

L’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE), bras du Ministère de l’éducation nationale, gère un réseau de plus de 500 établissements scolaires dans 139 pays. C’est le plus grand réseau scolaire international au monde, ce qui donne à la France une présence éducative globale inégalée. Ces écoles enseignent en français et selon les programmes français. Elles offrent aux familles l’assurance que leurs enfants bénéficieront d’une continuité dans leur éducation, malgré les déménagements fréquents, sans subir de désavantages scolaires où qu’ils se trouvent sur le globe. Pour les entreprises internationales françaises, elles facilitent l’expatriation des familles de leurs employés, en garantissant une stabilité éducative pour leurs enfants, et permet de mieux attirer et fidéliser leurs meilleurs talents, l’éducation des enfants étant un facteur clé dans la décision de s’expatrier. 

Autre avantage, et non des moindres, ce réseau d’écoles est un puissant atout stratégique car il permet à la France de diffuser sa langue, sa culture et ses valeurs à travers le monde.  Cela contribue à maintenir et renforcer l’influence française sur la scène internationale et participe au rayonnement du pays, ce que l’on appelle souvent le « soft-power » . On ne sera donc pas surpris de constater un lien fort existant entre les écoles et l’Ambassade de France dans les pays concernés.

Les établissements ont trois statuts différents qui scellent leur lien avec l’AEFE : des établissements en gestion directe de l’Agence (ils étaient uniquement 68 en 2022, en forte diminution), des établissements conventionnés, des établissements partenaires.

Le Lycée Français situé à South Kensington, au centre de Londres, entretient une place à part dans le réseau à plusieurs titres. L’établissement, qui prend le nom de Lycée Français Charles de Gaulle (LFCG) en 1980, est un symbole important de la Résistance française à Londres pendant la Seconde Guerre mondiale. Le Général de Gaulle y a un temps ses bureaux et sa proximité avec les activités de la France Libre en a fait un lieu emblématique de la lutte contre l’occupation nazie. Cette période a profondément marqué l’histoire du Lycée de Londres, contribuant à forger son identité particulière parmi les établissements français à l’étranger.

Il dispose aussi d’un statut spécifique par rapport aux autres écoles indépendantes au Royaume-Uni. C’est l’unique établissement en gestion directe (EGD) de l’AEFE du pays. Les EGD sont des services déconcentrés de l’AEFE, qui est elle-même un établissement public sous tutelle du ministère des Affaires étrangères. Ils sont donc soumis aux directives et au contrôle du gouvernement français et leur budget n’est pas indépendant mais directement intégré à celui de l’agence.

L’augmentation très importante des frais d’inscription ces dernières années

Depuis le Brexit, l’établissement a perdu presque un quart de ses effectifs, ce qui a entrainé un cercle vicieux : moins il y a d’élèves, plus les frais de scolarité doivent augmenter pour compenser les frais fixes … et cela amène certaines familles à partir car ne pouvant plus faire face aux coûts de scolarité pour leur fratrie. Au sein de l’annexe du primaire située à Fulham, ils sont d’ailleurs passés de 4 classes par niveau à 3 classes en perdant 200 élèves. Sur l’ensemble des filières, l’érosion ne semble pas s’inverser : en 2019 on était déjà tombé à 3500 élèves, 3420 en 2023. Et fait notable en 2024, le rapport du Conseil d’Etablissement note que pour la rentrée, « comparée aux nombreuses années précédentes, le lycée n’a pas de liste d’attente de demande d’inscription. »

Dans le même temps, le gouvernement français se désengage de plus en plus du financement des écoles de l’étranger. Déjà le 20 juillet 2017, par décret, le gouvernement annulait 33 millions d’euros de crédits. Une intervention de la sénatrice Joëlle Garriaud-Maylam pointait la crise du système : « Depuis 2012, le désengagement progressif de l’État est flagrant – 38 % de baisse des subventions entre 2010 et 2017 malgré une augmentation de 10 % du nombre d’élèves. » Cela semble d’autant plus incompréhensible que dans le même temps la sénatrice soulignait que « le coût par élève pour l’État français dans les établissements en gestion directe et conventionnés reste faible – autour de 1 900 euros en moyenne (2 400 euros en incluant les bourses) vs. 9 000 euros par élève pour les établissements publics et privés sous contrat en France. L’AEFE est d’ores et déjà financée à 80 % par les frais de scolarité à la charge des familles françaises et étrangères.« 

Olivier Cadic ne partage pas ce point de vue. « L’effort de financement de plus de 500 millions d’euros du réseau AEFE par l’État, notamment au travers de 100 millions d’euros de bourses, ne trouve d’équivalent dans aucun autre pays. Le réseau a été accompagné et le nombre d’établissements du réseau a été dynamisé, » nous a-t-il répondu.

De plus en plus d’enseignants sont recrutés en contrats locaux, qui ne bénéficient alors d’aucune prise en charge de la France. La compensation pour le coût de la vie (prime versée aux enseignants venant de France), les frais de maintenance, le personnel non enseignant (surveillants, restaurations, ménage…) sont aussi payés par les familles. Depuis la présidence Sarkozy, les enseignants venant de France ne sont pas automatiquement engagés en contrat de détachement. Si un poste budgétaire n’est pas ouvert, ils restent sous contrat local. Par ailleurs, les détachements sont maintenant limités à 6 ans.

Le LFCG s’est aussi trouvé doublement pénalisé. Comme expliqué plus haut, les établissements en gestion directe voient leurs budgets mutualisés. C’est ainsi que les montants provisionnés par le Lycée il y a quelques années, en prévision de travaux de maintenance importants, ont été ponctionnés pour aider d’autres écoles du réseau.

Certes, comme aime à le rappeler l’administration du Lycée, les droits de scolarité, sont notablement moins chers que dans les écoles privées britanniques. Dans ces dernières, on peut allègrement débourser entre 20 000 £ et 30 000, voir 60 000 £ pour le prestigieux Eton, creuset de l’élite richissime anglaise. Compris entre 8 089 et 16 923 £, soit entre 9 576,21 et 20 034,40 euros, ils varient selon les sections mais se situent dans la moyenne haute des Lycées Français de pays européens (6600 € déjà en 2018 contre une moyenne de 5000 €).

Après plusieurs années d’exercices déficitaires suite au Brexit et aux ponctions de l’AEFE, le Lycée a décidé de doubler le rythme d’augmentation annuel de ses tarifs : entre la rentrée 2020 et celle de 2024, les prix se sont accrus de 25% et la hausse ne prévoit pas de s’arrêter. En 2021, le directeur financier du Lycée estimait que 33 élèves de moins devaient être compensés par 1% de hausse des frais de scolarité.

Un rapport de l’inspection britannique qui sape la communication du Lycée

En présentant ses prévisions financières en 2022, le directeur financier du LFCG annonçait les futures hausses tout en expliquant que si le Lycée arrivaient à attirer plus d’élèves, cela pourrait diminuer les augmentations prévues.  Une campagne de communication était prévue en liaison avec l’Ambassade de France.

Tout s’effondre en janvier 2023 lorsque l’OFSTED (Office for Standards in Education, Children’s Services and Skills), l’organisme d’inspection des écoles au Royaume Uni, décide brusquement de dégrader la note de l’établissement de Good (bon) à Inadequate (insuffisant), soit la plus mauvaise possible. Du fait de cette mention, le Lycée est au pied du mur. S’ils ne répondent pas rapidement aux critiques relevées par l’OFSTED, cela peut conduire à terme à la fermeture de l’établissement. Et surtout, on peut remiser au placard les projets de publicité pour attirer de nouveaux élèves en vantant les atouts du Lycée.

Quelles sont les critiques ? Le niveau académique est jugé excellent. Le document est on ne peut plus élogieux concernant quatre des six critères d’évaluation : qualité de l’éducation, comportement et attitudes des élèves, qualité de l’enseignement en maternelle et au primaire, qualité de l’enseignement au collège et au lycée. « Les enseignants ont des attentes académiques élevées. Les élèves obtiennent d’excellents résultats à leurs examens tels que le Baccalauréat français ou les A levels. La plupart d’entre eux intègrent ensuite l’université de leur premier choix. Les enfants en maternelle sont bien préparés pour leur passage en CP, » peut-on lire dans les pages du rapport. Il faut dire que l’excellence académique du Lycée rivalise avec celle des plus grands lycées parisiens.

En fait, les reproches portent principalement sur la méthodologie : ne pas disposer d’un fichier unique centralisant les incidents de vie scolaire, de ne pas avoir aménagé (dans deux écoles) d’espaces infirmerie en adéquation avec les nouvelles recommandations, de ne pas disposer d’un curriculum formel concernant (du préélémentaire à la Terminale) les enseignements sur la sexualité et le comportement entre filles et garçons. Alors qu’aucune remarque n’avait été faite lors des précédentes évaluations, l’OFSTED reproche maintenant au LFCG de ne pas disposer d’un protocole pour contrôler les lycéennes et lycéens qui sortent de l’établissement (selon les règles françaises, l’autorisation écrite des parents est suffisante).

Il n’est relevé aucun cas de harcèlement, confirmé par une enquête après des parents. Paradoxalement, le rapport reconnait que « les parents sont confiants que leurs enfants sont bien pris en charge. Les élèves se sentent en sécurité, » mais conclut dans la phrase suivante : « Cependant, la protection et la sécurité des élèves ne reçoivent pas la priorité qu’elles devraient avoir. » L’OFSTED écrit également : « Les élèves du lycée ont une bonne assiduité. Ils se sentent bien soutenus par leurs enseignants dans leurs études académiques » , puis plus loin juge que « les enseignants ne vérifient pas systématiquement que les élèves ont compris ce qui leur a été enseigné et certains élèves peuvent prendre du retard. »

Quelques semaines auparavant, un autre établissement français de la capitale britannique, le Collège Franco-britannique, avait lui aussi été vertement critiqué car il ne dispensait pas « d’enseignement religieux« . Lorsqu’il a fallu expliquer que, du fait du concept de laïcité dans l’éducation française, cela était impossible, les inspecteurs étaient dubitatifs.

Le rapport tombe comme un coup de tonnerre. A l’époque, le proviseur se justifie en écrivant aux parents : « Concernant les règles de sécurité et de protection des élèves, le LFCG respecte intégralement toutes les obligations auxquelles sont soumis les établissements français de l’étranger. » Il semble que le gros défaut du Lycée aura été de ne pas porter assez attention aux exigences strictes de l’organisme anglais, qui se sont renforcées après la pandémie de Covid. En amont des inspections, certaines écoles dépensent des sommes conséquentes pour préparer l’ensemble des documents, protocoles et curriculums requis, en embauchant des experts (souvent d’anciens inspecteurs de l’OFSTED, un business juteux) qui se chargent de s’assurer que tout se passera au mieux.

Il ne faut pas s’imaginer que ces problèmes liés aux méthodes d’inspection ciblent uniquement les établissements français. Cette même année, l’OFSTED fera l’objet de critiques massives au Royaume-Uni, mises en lumière avec le décès de Ruth Perry, directrice d’une école primaire. Mme Perry s’est suicidée en janvier 2023 après que son école ait reçu elle aussi une note « inadequate » lors d’une intervention de l’organisme. Suite à ce drame, les critiques pleuvent : les syndicats d’enseignants appellent à la suspension des inspections et une organisation est même créée, appelée « Beyond Ofsted » , pour proposer des alternatives au système actuel. Dès l’année suivante, les modalités d’inspection de l’OFSTED sont revues. Le 2 septembre 2024 le gouvernement annonce que, avec effet immédiat, les écoles ne recevront plus de note globale d’efficacité, l’accent étant mis sur des évaluations détaillées. Des inspections non notées incluront des discussions initiales entre les inspecteurs principaux et les directeurs d’école pour faciliter le processus. Ces changements visent à créer un environnement d’évaluation plus favorable pour les écoles.

Du côté du Lycée, un chantier important est immédiatement démarré dès le rapport reçu : une psychologue est recrutée, des consultants sont embauchés pour répondre aux manquements relevés par les inspecteurs. Il faut imaginer les difficultés de coordination du fait de l’importance des effectifs mais aussi du fait que, si collège et lycée se situent dans les bâtiments de South Kensington, les écoles primaires sont réparties entre le site du centre de Londres, mais aussi celui de Fulham, de Ealing et de Clapham. 

Toutes ces mesures ont porté leur fruit puisqu’à la rentrée suivante, le rapport intermédiaire de l’OFSTED note que « les documentations sur les programmes scolaires sont maintenant correctement établis », que l’école a renforcé son enseignement sur « des sujets tels que les comportements sexuels nuisibles, le consentement et les relations » et que la partie « prévention du harcèlement et la promotion de la diversité et de l’inclusion » a été améliorée. Alors que précédemment il avait été jugé que « la formation du personnel était insuffisante et les dossiers étaient mal tenus, » cette fois-ci tout va bien.

L’école espère donc récupérer son statut « Good » qui lui permettrait de relancer une campagne de communication pour attirer de nouveaux élèves. En attendant, deux années ont été perdues et les finances du Lycée n’ont pu qu’en être affectées.

Avec l’arrivée du Labour au pouvoir, le Lycée Français de nouveau dans la tourmente

Lors de la campagne électorale, le Labour s’est engagé à supprimer l’exemption the TVA dont disposaient jusqu’à présent les écoles privées britanniques (une mesure qui pourrait rapporter 1,5 milliards de livres par an). Toutefois, le gouvernement de Keir Starmer s’est jusqu’à présent bien gardé de clamer que cette mesure est rendue possible uniquement depuis le départ du pays de l’UE. L’article 132 de la directive TVA de l’UE prévoit explicitement une exonération de TVA pour l’enseignement scolaire, universitaire, technique et professionnel, qu’il soit public ou privé (confirmée par une décision de la Cours de Justice européenne – Affaire C-318/05).

« Il convient de noter que l’école britannique en France n’est pas sujette à la TVA française » commente d’ailleurs M. Cadic. En effet, la British School of Paris a un statut identique au LFCG, étant classifiée comme école indépendante par les autorités britanniques. Mais étant située dans un pays de l’UE, l’école n’est pas (et ne sera pas dans le cadre de la réforme du gouvernement travailliste) soumise à la TVA. C’est donc grâce au Brexit que le gouvernement travailliste peut revenir sur la règle européenne sur son territoire. Comme toutes les écoles non labellisées « State School » (école d’état), le Lycée Français pourrait se voir appliquer les 20% de TVA.

Dans les mois précédant les élections du 4 juillet, qui allaient confirmer la victoire du Labour, l’Association de Parents d’Eleves du Lycée s’inquiétait déjà fortement du projet des Travaillistes et questionnait le Lycée. Le sujet est suffisamment sérieux pour que dès novembre l’Ambassadrice contacte personnellement l’opposition de l’époque sur leur projet, et que six mois plus tard une démarche globale de la représentation française soit effectuée. Bien que Stéphane Foin, conseiller culturel adjoint auprès de l’Ambassade, admette que « le sujet représente une très forte préoccupation à juste titre car l’augmentation des frais sera un vrai choc pour les familles qui impactera à la baisse nos effectifs » , il ne peut en dire plus à la veille de la coupure estivale.

Mais au retour des vacances, alors que le Labour est installé au pouvoir et le projet se fait plus précis, l’administration du Lycée demeure muette … si ce n’est une courte vidéo postée sur Instagram dans laquelle la proviseure du LFCG annonce : « Depuis de nombreux mois déjà l’Ambassade de France au Royaume Uni a engagé des négociations pour essayer de faire exempter les Lycées français du Royaume Uni. Actuellement, il y a encore des négociations et je ne manquerais pas de vous tenir au courant. » Sur un ton moins optimiste, elle ajoute : « Si malheureusement ces négociations n’aboutissaient pas d’une manière favorable pour nous, le Lycée Français Charles de Gaulle serait amené à appliquer cette TVA. Cependant, nous sommes en train de réfléchir et de travailler sur [d’autres] scénarios possibles. » Et pour ceux qui n’ont pas consulté Instagram, il était possible de rencontrer aussi des membres de l’ambassade au cocktail de rentrée de l’APL deux semaines plus tard. Pour avoir plus qu’une vidéo de rentrée sur les réseaux sociaux et quelques mots échangés autour de petits fours, les parents français doivent patienter.

Du côté allemand, la réaction est, au moins sur la forme, bien différente. Celle-ci est beaucoup plus détaillée et expliquant déjà que quels que soient les résultats des négociations avec le gouvernement germanique, l’école devrait pouvoir absorber les coûts supplémentaires en 2025. Un courrier de la Deutsche Schule London informe : « Nous savons que d’autres écoles européennes, notamment les écoles françaises en Angleterre, ont pris des mesures similaires et sont soutenues par leurs ambassades respectives. » Faudrait-il consulter les communications des autres écoles pour savoir ce qu’il se passe au Lycée Français, relèvent certains parents ?

Dans les coulisses des chancelleries européennes on s’active pourtant fortement. Du côté de la France, on travaille sur l’idée de faire reconnaître le statut spécifique des établissements offrant des diplômes qui ne sont pas disponibles dans le système des écoles d’état britanniques. Cela permettrait une exemption globale aux écoles françaises. Dans un communiqué rapporté par le quotidien britannique Telegraph, l’ambassade de France émet l’espoir que le gouvernement prendra « en compte la nature très particulière » des 11 écoles françaises au Royaume-Uni avant de mettre en œuvre sa politique. La représentation diplomatique française souligne ainsi que « ces écoles sont supervisées par le ministère français de l’Éducation nationale et suivent le programme national français, préparant les élèves aux examens nationaux français. Elles ne font donc pas partie du système d’examens britannique. De plus, ces écoles reçoivent des financements publics importants du gouvernement français, et un programme de bourses d’État est en place pour les familles françaises répondant à certains critères sociaux. » Et de conclure : « Ce ne sont pas des écoles privées typiques. Comme la décision d’imposer la TVA affecterait négativement les écoles françaises, nous avons été en contact avec le gouvernement britannique et espérons que la mise en œuvre de la réforme tiendra compte de la nature très particulière de ces écoles. » 

Pour de nombreux élèves, surtout les collégiens et encore plus les lycéens, il est en effet impossible de changer brusquement de parcours. Un parent d’élève du Lycée abonde : « Ce n’est pas aussi facile. Un de mes enfants a de graves problèmes médicaux et nous avons décidé de le transférer dans une école publique locale pour éviter le long trajet jusqu’au Lycée. Aucun établissement secondaire local n’avait de place. Mon enfant a manqué 3 mois d’éducation pendant que nous attendions que l’autorité locale force une école à l’accepter. De plus, ayant été dans le système français, il a dû reculer d’un an pour suivre le programme complet de GCSE [une sorte de Brevet – ndlr] sur deux ans. » Un changement impossible s’il avait été plus avancé et préparait le baccalauréat.

L’Association des Parent du Lycée (APL) insiste sur l’impact disproportionné que cela pourrait créer pour certaines familles. Dans un courrier envoyé début septembre au gouvernement britannique, l’association écrit : « Nous attirons votre attention sur le fait que déjà, en raison de l’augmentation significative du coût de la vie au Royaume-Uni, de plus en plus de familles s’adressent à l’aile caritative de notre organisation, le LFCG Families Charity Fund, pour obtenir une aide financière, et ce nombre augmenterait inévitablement si l’on y ajoute ceux qui bénéficient déjà de bourses partielles et qui ne pourraient pas se permettre ces 20% supplémentaires. Par ailleurs, l’association caritative – qui existe uniquement pour aider les familles en difficulté financière à faire face aux frais de scolarité – pourrait également être directement impactée par toute imposition de TVA. » L’association caritative de l’APL vient chaque année en aide à plusieurs familles afin de les aider à payer les frais de scolarité, en plus des bourses octroyées par le gouvernement français. Et ils avertissent des conséquences brutales qui impacteraient les familles les plus précaires : « Ces familles se trouveraient donc dans l’incapacité de payer les frais de scolarité et seraient contraintes d’envisager un retour en France pour assurer la poursuite de l’éducation de leurs enfants dans les établissements publics français.  » Eux aussi soulignent les difficultés à trouver des équivalences avec le système d’éducation britannique, bien différent : « La seule alternative serait de compromettre leur éducation en les transférant tardivement dans le système éducatif britannique qui leur est peu familier, avec des échéances académiques qu’ils auraient peut-être déjà manquées, telles que la préparation au Common Entrance Exam, aux GCSEs et aux A Levels.« 

Casse-tête supplémentaire, deux annexes du primaire fonctionnent en coordination avec des écoles publiques, fournissant un cursus bilingue. Comment cela va-t-il être traité, vu que les enseignants du LFCG interviennent dans une même classe à la fois aux élèves locaux venant de l’école publique (qui ne payent rien), comme aux élèves hors secteur qui participent aux frais de scolarité du Lycée ? Est-on alors dans une école privée ou publique ? La question demeure sans réponse. Si des écoles primaires homologuées venaient à cesser leurs activités, les élèves pourraient alors être réintégrés au LFCG. En revanche, la fermeture du Lycée Winston Churchill constituerait un désastre pour l’AEFE, car le prêt ayant financé la construction du campus, d’un montant proche de 50 millions d’euros, est garanti par l’État français.

Des frictions diplomatiques avec la France et l’Allemagne

A la fin août, le nouveau Premier ministre britannique Keir Starmer a rencontré successivement le Chancelier allemand Olaf Scholz, puis le Président Macron. Lors de ces rencontres bilatérales, Starmer a exprimé le souhait de construire une nouvelle dynamique avec l’UE. Toutefois les accords que souhaitent obtenir les Britanniques concernant les normes vétérinaires, les services ou les produits chimiques se heurtent aux règles du marché unique.  Et le bloc européen a été jusqu’à présent très clair, demandant notamment une convention sur la mobilité des étudiants entre les pays. 

M. Cadic assure qu’il a eu l’occasion de parler du dossier avec Vincent Caure, le nouveau député de la 3ème circonscription des Français de l’étranger (Europe du Nord). Il confie aussi qu’il est prévu plusieurs réunions sur Londres en fin de semaine. Le positionnement des représentants des Français de Londres se situe sur une ligne de crête. « En qualité de parlementaire étranger, il est toujours délicat de s’impliquer dans des décisions qui relèvent d’une politique nationale. Toute forme d’ingérence étrangère serait malvenue, » juge-t-il. Il précise toutefois : « Je serais très étonné que ce dossier remonte au niveau du Président de la République quand on mesure les défis auxquels les chefs d’Etat sont confrontés actuellement.« 

Du côté britannique les pressions montent également, puisque de nombreuses voix préviennent que cela affectera aussi les écoles spécialisées offrant des alternatives aux enfants demandant des aménagements spécifiques (troubles de l’attention, dyslexies, handicaps). Il y a deux semaines, les autorités britanniques ont d’ailleurs annoncé une exemption de TVA lorsque les besoins ne peuvent être couverts par les écoles publiques. Les familles de militaires britanniques contestent aussi la mesure et demandent une exclusion de la nouvelle taxe.

Alors que le nouveau premier ministre britannique a prévenu que les annonces du budget qui sera présenté le mois prochain seront « très douloureuses » , la communauté française, et plus globalement européenne, attend avec une grande inquiétude les résultats des négociations avec le gouvernement britannique. Jusqu’à présent le gouvernement Starmer s’est montré inflexible lorsqu’il s’est agit de maintenir le plafond des allocations familiales instauré par les Conservateurs ou lorsqu’il a décidé de supprimer les allocations de chauffage des retraités il y a deux semaines (y compris ceux vivant à la limite du seuil de pauvreté).

Si la TVA est appliquée aux écoles françaises, Olivier Cadic se montre pessimiste sur la marge de manoeuvre de l’AEFE. « Le débat qui va s’ouvrir sur le budget offrira l’opportunité de demander l’avis du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères. Compte tenu de l’état de nos finances publiques, je crains que ses marges de manoeuvre soient plutôt réduites, s’il s’agit de faire prendre en charge une TVA britannique, par le contribuable français, » indique-t-il. Toutefois, un représentant du personnel du Lycée est plus positif. Il remarque que la mutualisation du budget de l’AEFE a justement pour but d’aider les établissements en difficulté. « On pourrait donc tout à fait envisager que l’agence intervienne pour lisser l’impact de la TVA sur 3 ou 4 ans« .

Le sort de l’établissement centenaire qui avait accueilli la résistance française il y a 80 ans pourrait se voir durablement fragilisé si aucun accord ne pouvait être trouvé avec les autorités britanniques ou via les discussions avec la France.

  • La direction du Lycée français, l’Ambassade de France, L'association des Parents du Lycée et Vincent Caure (le nouveau député de la 3ème circonscription des Français de l’étranger  pour l'Europe du Nord) ont été contactés plusieurs fois mais n’ont pas répondu à nos emails à la date de la publication.
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Statut de Charles de Gaulle dans le hall d'entrée du Lycée. © Crédit: Auteur

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