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Billet de blog 29 avril 2024

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L'Union européenne reconnait enfin qu'elle a besoin du Royaume Uni... Vraiment ?

Une récente proposition de l’Union européenne sur la mobilité des jeunes a ravivé les débats en Angleterre, mettant en lumière les enjeux de la relation post-Brexit entre le Royaume-Uni et l’Europe.

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Huit ans après la surprise (pour certains seulement) du vote des Britanniques en faveur du départ de leur pays du Royaume Uni, le sujet est toujours aussi sensible et polarisant au royaume. Le Telegraph, grand quotidien de droite, en remet une couche en avril avec un article dans sa catégorie "Opinion", titré : "L’UE a finalement admis qu’elle avait besoin de la Grande-Bretagne plus que nous avions besoin d'elle". Mi-avril, la Commission européenne a en effet appelé les 27 pays de l’Union européenne (UE) à ouvrir des négociations sur un "programme de mobilité des jeunes" pour les citoyens âgés de 18 à 30 ans (dans les mots de la presse populaire britannique, cela donne "accord de libre circulation pour routards et serveurs de bars"). La proposition est d'offrir des conditions plus avantageuses de circulation pour les jeunes européens et britanniques pour venir dans un pays étudier et/ou travailler avec des frais de visa allégés, l'absence de procédure de "sponsorship" pour avoir une travail, de surcharge pour accéder au frais de santé, d'accès aux même tarifs universitaires que les résidents du pays.

Bien sûr l'article a d'abord attiré son lot habituel de commentaires pro-Brexit, rageant sur le dictat franco-allemand et contre l'accord de sortie soi-disant complètement déséquilibré en faveur de l'UE. Que ceux-ci se rassurent tout de suite, le gouvernement anglais s'est empressé de refuser cette proposition. Et le Labour de Keir Starmer qui est pratiquement assuré d'arriver au pouvoir après les élections de cet automne a lui aussi confirmé ne pas être intéressé. Cette dernière position est plus surprenante pour les électeurs de gauche, mais il faut garder en tête que Starmer est de plus en plus vu comme un dirigeant de centre droit, une sorte de Tory-soft, dont le but est de séduire les électeurs de droite. D'ailleurs, signe de la porosité idéologique, il y a deux jours, un député conservateur est passé dans le camp travailliste, un coup dur pour Rishi Sunak (le Premier Ministre Britannique) écrit Le Monde.

Mais on trouve rapidement des lecteurs du journal qui ajoutent une touche de nuance bienvenue, et c'est ce qui est toujours rafraichissant dans les pages Opinions du Telegraph. Ainsi John McGinlay écrit :

"Être dans l’UE n’a évidemment apporté aucun avantage sérieux, mais cela n’a également apporté aucun problème majeur réel. Les problèmes au Royaume-Uni que nous pensions être imputables à l’UE, se sont révélés être clairement de notre propre faute. L'échec est dans la gouvernance de notre propre pays. Et cela n’a rien à voir avec l’Union européenne."

Ce qui est amusant ici, c'est la facilité avec laquelle on peut démonter l'argumentation de tout l'article, qui enchaîne les contrevérités, les présentations biaisées et les opinions en faveur du Brexit.

Matthew Lynn, l'auteur de l'Opinion publiée par The Telegraph nous dit :

"Moins de quatre ans plus tard, l’UE est de retour en offrant des arrangements qui avaient été jugés complètement impossibles durant les précédentes négociations [...] l’UE a compris qu’elle avait besoin de nous bien plus que nous n’avions besoin d'elle. Bruxelles a fait le premier pas, offrant de restaurer une version de l’une des principales caractéristiques de l’adhésion [la liberté de mouvement]."

Mauvaise fois, aveuglement ou simplement incompréhension ... ? Mon cœur balance. Bon tout d'abord, l'UE n'a pas fait le premier pas du tout, c'est l'inverse.

Le Royaume Uni va mal, très mal depuis le Brexit. Les partisans de la sortie de l'UE clamaient vouloir reprendre le contrôle des frontières. Cependant, c'est exactement l'effet inverse qui s'est produit : les statistiques récentes ont montré une arrivée nette de 745 000 migrants en 2022, soit trois fois plus que le niveau avant la sortie de l’Union Européenne (dont un record de 484 000 visas d'étudiants étrangers et 168 000 visa de familles d'étudiants). Il ne s'agit pas d'immigration illégale, car si celle-ci est l'obsession de la droite xénophobe, elle ne représente que 30 000 personnes en 2023. Il a donc fallu compenser le manque de personnel dans les services de santé, les services et la restauration, ainsi que dans le secteur des ouvriers. On se souviendra de la crise des chauffeurs routiers en 2021, le Royaume-Uni cherchant désespérément des chauffeurs de camions, le manque de main-d'œuvre pour effectuer les récoltes (on en parlait dans un précédent billet, dans certaines exploitations, le taux de saisonniers manquants atteindrait plutôt 40 %), et plus récemment la révélation de la grave crise financière des universités anglaises, amenées parfois à baisser les critères d'entrée des étudiants étrangers afin de les attirer, sachant qu'ils paient des frais universitaires presque trois fois plus élevés que les Britanniques, atteignant les 30 000 €/an. Avec les derniers changements portant le salaire minimum à environ 35 000 €/an pour obtenir un visa de travail, de nombreux services de restauration sont en grave difficulté. Un restaurateur italien à Londres expliquait ainsi ne plus pouvoir du tout recruter d'employés italiens (ou même parlant italien) comme par le passé... tentant maintenant juste d'avoir quelqu'un qui aime un tant soit peu l'Italie.

On comprend donc que le gouvernement britannique s'active pour tenter de signer des traités préférentiels de pays à pays en essayant de diviser le bloc européen. Matthew Lynn commente :

"Pendant les négociations sur le Brexit, on nous a dit qu’il était impossible de « choisir » des parties de l'appartenance à l'UE [possibilité de libre accès au marché tout en refusant la libre circulation des personnes, ndlr] Moins de quatre ans plus tard, l’UE offre des concessions jusqu'ici impossibles..."

En fait, l'UE tente justement de contrer la volonté persistante du gouvernement conservateur britannique d'obtenir des conditions préférentielles en contradiction avec le fonctionnement du bloc européen, tout en apportant un peu de coordination à l'initiative britannique. C'est clairement énoncé sur le site de la Commission Européenne, pour qui veut bien le lire :

"Le retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne a entraîné une diminution de la mobilité entre l'UE et le Royaume-Uni. Cette situation a particulièrement affecté les opportunités pour les jeunes. Le Royaume-Uni a manifesté son intérêt pour la question en contactant plusieurs États membres sur la mobilité des jeunes. Avec cette proposition, la Commission cherche à aborder cette question d'intérêt commun de manière européenne."

La Commission explique également que le Youth Mobility Scheme que propose actuellement le Royaume-Uni à divers pays de l’UE n’aborde pas la question de l’égalité de traitement des étudiants (surtout concernant les frais de scolarité, les difficultés d’effectuer des stages, les coûts élevés de visa, les frais médicaux supplémentaires, etc.). De plus, le programme britannique de mobilité des jeunes n’a pas été proposé à tous les États membres de l’UE. Dans une autre présentation plus honnête (on aurait envie de dire que c’est la différence entre un article de journaliste et une opinion de commentateur, mais c'est parfois moins clair) le Telegraph écrit :

"En vertu de l’offre du bloc, la Grande-Bretagne devrait accepter un traitement égal sur les frais de scolarité et de visa, et les suppléments de soins de santé."

Mais c'est justement ce que le gouvernement anglais ne veut pas. Lors des négociations du retrait de l'Union, Boris Johnson avait été clair : il voulait le beurre et l'argent du beurre ("have your cake and eat it" dans la langue de Shakespeare).

Bref, l'UE répond en fait simplement au gouvernement britannique en lui proposant de faciliter la circulation des jeunes au sein de l'Europe, y compris les îles britanniques, mais à condition de ne pas être traité comme un étudiant chinois avec des frais annuels universitaires de 30 000 €, des restrictions à l'accès aux soins de santé, des frais de visa très coûteux... et un pays qui pourrait choisir d'ouvrir ou restreindre sa propre offre comme bon lui semble. Peut-être que le titre aurait dû finalement être : "En cherchant à nouer des accords bilatéraux de circulation pour les jeunes, la Grande-Bretagne admet finalement qu'elle a besoin de l'UE".

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