PROFESSION : « TÂCHERON DU NUMÉRIQUE »
Des centaines de millions d'enregistrements privés, écoutés sans le moindre consentement.
En 2019, alors âgé de 25 ans, Thomas Le Bonniec démissionne d'un sous-traitant d'Apple en Irlande. Il décide d'emporter avec lui, puis de partager, les preuves du scandale dont il a été témoin. En à peine dix semaines chez Globetech, il écoute près de 46 000 enregistrements via Siri, l'assistant vocal d'Apple. Les contrôles de quantité et de qualité des écoutes sont quotidiens, l'échec puni de licenciements arbitraires.
De ses conditions de travail pénibles à l'espionnage de masse dont il contribue à améliorer les codes, Thomas ne supporte pas longtemps cette fracture entre son travail et ses valeurs. La suite de son histoire est remarquable...
À rebours de l'héroïsation qui est parfois faite de son parcours, le déserteur du numérique souhaite plutôt voir son geste comme s'inscrivant dans une continuité avec les luttes du travail.
Un sujet qui nous concerne tous, avec ou sans smartphone dans la poche, à l'heure où en France un projet de loi d'orientation de la justice ouvre la porte à une possible "activation à distance des appareils connectés" (Le Monde, 22 mai 2023).
CES PETITES OREILLES QUI NOUS ÉCOUTENT
« Je constate, tristement, qu'il n'y a quasiment personne pour dire : "Ce qu'on fait s'apparente à de l'espionnage de masse, c'est de la surveillance industrielle"».
Non content de mettre fin à sa propre dissonance en claquant la porte, il décide de partager la preuve des mensonges d'Apple sur leurs promesses de confidentialité. Suite à ces révélations, dans un premier temps anonymes, le géant du numérique s'excusera publiquement en août 2019. C'est ensuite au courant de l'année 2020 que le lanceur d'alerte prendra la parole à visage découvert, tout en poursuivant son travail de sensibilisation et en contribuant à mettre la pression au niveau des autorités européennes.
Thomas est conscient que sans cette course de fond, son alerte tombera dans l'oubli. En effet, en prenant du recul sur son geste, celui-ci s'inscrit dans l'histoire des luttes du travail qui n'ont jamais cessé d'agiter le rapport de force qui structure le salariat. Il rappelle également la liste des lanceur-euses d'alerte du numérique qui ont espéré, chacun-e à leur échelle, de provoquer un sursaut populaire.
L'EFFET "ERIN BROCKOVICH" : PAS SEUL-ES CONTRE TOUS
En effet : "Pourquoi, malgré ces scandales, les gens ne sont pas plus révoltés que ça ?" demande alors Audrey, qui mène notre entretien avec Thomas, en prenant pour appui l'effet "Erin Brockovich" — du nom de la lanceuse d'alerte dans une affaire de pollution des eaux potables aux Etats-Unis en 1993.
Cette question des effets politiques du lancement d'alerte individuel comme stratégie de lutte apparaît comme le fil rouge de l'entretien , à retrouver ici : https://youtu.be/leKn3VxSi1E