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Billet de blog 4 mars 2019

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Sans les lanceurs d’alerte, il n’y aurait pas eu de procès UBS

Nicolas Forissier, lanceur d’alerte dans l’affaire UBS que je défends, a dit avoir eu le sentiment d’une « réhabilitation » à l’annonce du verdict condamnant le groupe bancaire à une amende 3,7 milliards d'euros. Ce terme révèle ce qu’a été son parcours depuis qu’il a décidé de révéler les faits qui ont concouru à la condamnation d’UBS.

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Nicolas FORISSIER, lanceur d’alerte dans l’affaire UBS que je défends, a dit avoir eu le sentiment d’une « réhabilitation » à l’annonce du verdict condamnant le groupe bancaire à une amende 3,7 milliards d'euros. Ce terme révèle ce qu’a été son parcours depuis qu’il a décidé de révéler les faits qui ont concouru à la condamnation d’UBS.

On l’a entendu être traité de « délateur », une bien sale expression par les temps qui courent, mais elle a été choisie pour cela. Or, Nicolas FORISSIER s’est borné à agir dans le respect de ses devoirs professionnels, de sa conscience, bien sûr dans le cadre de ses fonctions, ni plus ni moins. Pourtant, sans son courage et sa détermination citoyenne et ceux d’autres lanceurs d’alerte, ce procès n’aurait pas eu lieu. 

Il n’a pas été suffisant de les licencier, de les intimider, et pour certains d’entre eux de ruiner leur vie personnelle et professionnelle. Il fallait en plus qu’ils soient traités de maitres-chanteurs, de salariés aigris. Les avocats des prévenus ont fait le tour de tous les noms d’oiseaux possibles pour les disqualifier tout en se gardant bien, si leurs témoignages étaient si fragiles et approximatives, de les faire citer comme témoins, car ils savaient bien eux à quoi pouvait tourner cette confrontation, bien sûr à leur désavantage.

La défense n’a cessé de dire qu’elle attendait toujours des preuves. L’un des avocats a dit que les convictions étaient pour la messe. La messe est dite et bien dite, certes provisoirement, mais un dossier plus accablant est impossible à imaginer.

UBS une des plus grandes banques au monde n’a cessé pendant toute la procédure de marteler que le procès qu’on envisageait de lui faire était un procès sans preuves, ses dirigeants ont refusé, mal inspirés peut-être, de signer une convention d’intérêt public (une a été signée par HSBC peut-être mieux inspirée ?) au motif des sommes excessives demandées par le PNF (semble-t-il plus d’1 milliard d’euros). Forts d’une escadrille d’avocats talentueux, UBS et ses dirigeants ont préféré le procès et risquent fort de payer beaucoup plus.

Ceux qui ont assisté au procès ont semblé parfois déstabilisés par la confiance dont les prévenus ont fait preuve et l’asymétrie qui semblait exister avec l’accusation. On y a entendu qu’UBS n’avait aucune responsabilité et qu’elle devait peser ultimement sur les épaules de ses clients !!! Il faut être sûr d’avoir une qualité d’engineering exceptionnelle pour diffuser un message commercial aussi alléchant.

Un de ses dirigeants publiquement s’est étonné du fait que seule UBS ait été en quelque sorte « sélectionnée » pour être trainée devant les Tribunaux, comme si pour que ce procès soit légitime, il eût fallu que soient dans le box, côte à côte, tous les membres de la même oligarchie financière, un psaume aussi connu que paradoxal. C’est elle qui nous annonce dans les aéroports et les gares, par des messages publicitaires scintillants, être les acteurs d’un futur prometteur, pour nous et nos enfants, on se garde de rire.

Un ancien responsable d’UBS FRANCE INTERNATIONAL a même lancé, sans sourciller : « ce n’est pas possible de cacher un compte en Suisse … ». 

La stratégie qui consiste à discréditer les lanceurs d’alerte et à se victimiser pour les plus puissants  est une stratégie utilisée à foison à travers toute la planète. Elle montre ici lourdement ses limites.

Elle a abouti à un spectacle qui, au vu du verdict et de l’audience, n’est pas exactement en harmonie avec la volonté d’UBS de rehausser son image, mais au fond, en a-t-elle cure, même si elle fait mine de vouloir l’inverse ? Car finalement, aussi discréditée soit-elle, peut-être demain par un verdict définitif, elle reste un centre d’engineering inégalé et inégalable pour permettre à des dizaines de milliers de citoyens du monde entier de faire toutes les contorsions possibles et imaginables avec leurs obligations fiscales.

Pour les citoyens qui ont suivi ce procès et ont déjà payé leur compte lors de la crise financière, ils sont encore loin du compte. UBS sans aucun doute, au-delà de l’appel immédiatement annoncé, comme un presse bouton ira jusqu’au bout, la Cour de Cassation, la CEDH, en utilisant tous ces outils de l’État de droit, qui parfois l’éreintent tant.

On continuera à mettre en avant la présomption d’innocence, jusqu’à une forme d’instrumentalisation. On continuera à clamer que les lanceurs d’alerte sont paranoïaques, que l’ordonnance de renvoi des juges est constellée de titre accrocheur et de témoins malhonnêtes.

Ne nous y trompons pas, cette stratégie de déni et de pilonnage, qui a abouti à un verdict exceptionnel, une condamnation à une amende de 3,7 milliards et 800 000 millions de dommages et intérêts accordés au fisc français, n’a guère de chances de changer. C’est leur partition il n’y en aura pas d’autre.

En effet, ce verdict est très loin d’être l’expression de l’incompétence des nombreux conseils mobilisés. Ils sont la crème du Palais. Au contraire, ce verdict a été anticipé avec l’idée d’une temporalité judiciaire qui, in fine, grâce à un acharnement judiciaire sans répit, sera payante, car dans 4 ou 6 ans l’impact d’une condamnation définitive ne sera, peut-être pas, on le rêve, le même. Bien sûr théoriquement il peut y avoir une relaxe au bout du compte et nous nous serions tous trompés. Pour ceux qui ont lu le jugement, elle est hors de portée. 

En attendant, il a été reconnu que Nicolas FORISSIER n’est pas un menteur en tous les cas provisoirement et cette reconnaissance sera un jour éternelle, à l’aune d’un jugement incroyablement motivé et documenté.  Son honneur lui a été rendu, même si ceux qui l’avaient souillé ne montrent pas vraiment qu’ils en sont particulièrement méritants.

La banque comparaitra demain pour harcèlement à l’encontre de Nicolas FORISSIER (une première), mais elle a déjà exercé les voies de recours qui lui étaient offertes pour retarder le procès.

Les Fondations philanthropiques d’UBS vont continuer à drainer des sommes considérables et financer des grands projets d’intérêt général, comme un masque un peu grimaçant de son dédain pour lui. Elle va continuer à faire croire qu’elle est devenue co-responsable pour endiguer les méfaits qui menacent notre planète tout en s’obstinant à être irresponsable juridiquement de ces mêmes méfaits.

N’oublions pas que la preuve est ainsi faite que plus les établissements financiers vont développer des stratégies sophistiquées de contournement des normes et de la loi, loin des yeux du juge français ou d’autres, plus devra s’imposer une protection mondiale effective partout des lanceurs d’alerte sans lesquels les verrous des grands ordinateurs planqués dans le Golf ou à Gibraltar ne pourront jamais sauter.

Ce verdict est un message à l’adresse de tous les lanceurs d’alerte dont les existences ont souvent été broyées parce qu’ils se sont retrouvés face à des multinationales et à des logiques prédatrices prêtes à toutes les ignominies pour assurer leur impunité. Il est une reconnaissance de ce qui doit prévaloir : la prise en considération de la loi évidemment, mais aussi de l’intérêt général que mêmes les plus puissants de la planète font mine de vouloir protéger, parfois pour mieux échapper au juge. C’est cette même logique qui conduit aujourd’hui à une coopération judiciaire à l’échelon européen, inédite dans l’affaire des Football Leaks. Rui Pinto, qui en est l’inspirateur, est aujourd’hui poursuivi par le Portugal mais nul ne se trompe sur l’importance de son geste pour décriminaliser le monde du football, comme celui des lanceurs d’alerte dans le monde de la finance.

Les lanceurs d’alerte incarnent une exigence d’éthique et de probité dans laquelle se reconnaissent aujourd’hui l’immense majorité des citoyens. 

Ils ont été, souvenons-nous, à l’échelon européen à l’origine de la révélation de la grande majorité des grands scandales financiers ou environnementaux en Europe ces derniers années. 

Nicolas FORISSIER illustre de ce point-de-vue parfaitement ce que doit être l’alerte citoyenne, c’est-à-dire, comme le disait Vaclav Havel, celle qui est inspirée par une insurrection intime quand un citoyen fait prévaloir la loyauté aux grands intérêts publics quand ils sont menacés à toutes les servitudes, obstinément dans le désintéressement. De ce point-de-vue il est la figure absolument opposée à de celle du délateur.

William Bourdon, avocat au barreau de Paris, spécialisé dans la défense des droits de l'homme.

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