C'est une histoire banale comme il en existe des milliers en Tunisie mais qu'il ne faut jamais se résoudre à accepter. Le rapport de force dans le monde du travail n'est pas, on le sait, à l'avantage des salariés mais plutôt du côté des patrons. En Tunisie plus qu'ailleurs, le patronat a très bien compris qu'il y avait un avantage à tirer d'une crise économique aiguë et d'un chômage structurel qui enracine une grande partie de la population dans la pauvreté.
C'est ainsi qu'une station essence appartenant au groupe Total située dans la petite localité de Menzel Bouzelfa, use et abuse depuis des années de ses pompistes qui œuvrent à toutes les heures, tous les jours et pour des salaires de misère. Ces pompistes au nombre de 6 sont tous sans diplôme ni qualification et font quotidiennement des nuits de travail de 13 heures et demi de travail et des services de jours de 10 heures et demi. Debout, sans pause, sans gants, sous une chaleur écrasante, ils inhalent chaque jour et en très grande quantité des substances hautement toxiques et inflammables. Interdit d'avoir une envie pressante pour l'équipe de nuit car le gérant verrouille les toilettes une fois la nuit tombée.
Le gérant de cette station Total qui réalise pas moins de quelques milliards de dinars de bénéfices chaque année en veut toujours plus même si cela doit se faire au mépris de la morale, du droit et de la santé de ses salariés.
La combine pour maximiser encore davantage la rentabilité de sa station essence est toute trouvée et elle fonctionne à merveille. Le patron sans foi ni loi rémunère ses pompistes à hauteur de seulement 8 heures de travail par jour au lieu des 13 heures et demi réellement effectuées la nuit et des 10 heures et demi effectuées le jour. Soit plusieurs heures cumulées de travail par jour pour la gloire...la gloire de leur patron bien sûr à l'abri de la pauvreté et pour plusieurs générations. De nombreuses heures supplémentaires impayées mais aussi les cotisations sociales et patronales inhérentes à ces heures aggravant par ricochet les déficits des comptes sociaux de ce pays économiquement déjà très fragile. Ce dernier exerce sur ses salariés un scandaleux chantage à l'emploi qui dure depuis des années sans que personne ne se soit vraiment inquiété de ces petites mains qui remplissent des réservoirs à longueurs de journées pour l'intérêt d'une station essence aux affaires florissantes.
On croit toucher le fond mais non. Jamais rassasié, le patron de cette localité connue pour ses agrumes prélève directement et sans aucun scrupule les écarts de caisse sur le salaire déjà bien maigre de ces travailleurs pauvres furent-ils de quelques millimes tunisiens (centimes d'euros) seulement. Faire une erreur de comptage, de rendu de monnaie, quoi de plus normal quand on fait des nuit continues de presque 14 heures de travail surtout quand on sait qu'on ne sera payé que 8 heures et pour une bouchée de pain.
Faire travailler ses employés 13 heures et demi la nuit et presque 10 heures et demi en journée et les payer seulement 8 heures par jour, en voilà une bonne idée et elle colle hélas parfaitement à l'image du patronat qui exploite la misère et l'extrême pauvreté ambiantes en Tunisie. La faute à qui? À un patron cupide? À une inspection du travail nonchalante ? À des salariés prêts à tout pour garder leur emploi fut-il un emploi de misère? Sans doute un mélange des trois. Alors qu'une nouvelle constitution a été adoptée en Tunisie malgré une faible participation au référendum du 25 juillet dernier, c'est l'idée même du progrès social qui est en jeu et que les Tunisiens entendent défendre et promouvoir pour combattre un patronat sanguinaire à l'appétit financier insatiable. Défendre les droits des salariés en Tunisie est un combat de tous les instants car ces multinationales et notamment les multinationales françaises qui viennent s'implanter en Tunisie le font souvent pour les bas salaires et la présence de travailleurs malléables à souhait. Heures supplémentaires impayées, heures de nuit non majorées, pas de congés payés et des cadences infernales sont l'amer quotidien de ces travailleurs à l'espérance de vie raccourcie d'au moins une décennie si ce n'est plus.
Le dirigeant de cette station Total de Menzel Bouzelfa à la fortune déjà colossale pourra toujours s'enorgueillir d'avoir aliéné la condition sociale et humaine de ses salariés pour en faire ce qu'il faut bien appeler des esclaves mais le drame est que cette course folle à rentabilité condamne aussi toute la génération suivante car sans moyens pour aller à l'école, apprendre et s'émanciper.
Un déterminisme social qui nous amène à nous demander si Menzel Bouzelfa se trouve bien dans le pays de la Révolution du Jasmin...