C'était un secret de Polichinelle. Les conducteurs de bus RATP sont très nombreux à quitter l'entreprise de transport public. Les démissions, les abandons de poste et les arrêts maladie sont désormais légion à la Régie des Transports Parisiens à tel point que la RATP souffre d'une pénurie encore jamais vue dans son histoire de chauffeurs de bus. Une pénurie qui a conduit la direction générale à faire appel, d'après BFM PARIS dans son édition du 10 mars, à des chauffeurs retraités pour combler le manque criant d'effectifs.
Il faut dire que les conducteurs RATP ont été la cible d'une campagne de stigmatisation savamment orchestrée par la classe politique, leur direction et des commentateurs disposant de tribunes médiatiques partout. Ces derniers lorgnent depuis de longues années sur les quelques compensations censées rendre acceptable la pénibilité de leur métier. Mais le gel du point d'indice s'accompagnant d'une inéluctable précarisation sociale des chauffeurs de bus aura eu raison de la patience de ces forçats de la route qui n'hésitent plus désormais à partir de la RATP pour tenter une nouvelle vie ailleurs.
Pourtant la Cour des Comptes disait dans son dernier rapport que la RATP était selon ses propres termes un "paradis social" pour les salariés qui y travaillent grâce notamment à des primes en pagaille, une durée journalière de travail de 4h30, et une "grille salariale inflationniste", un système sur lequel il fallait plancher au plus vite pour faire des économies. Or il n'en est rien et pour s'en convaincre, il suffit de voir la lettre rendue publique par BFM Paris invitant un chauffeur retraité à reprendre du service, une lettre que 90 retraités auraient reçus toujours selon la même source. Le rapport de la Cour des Comptes a avancé des chiffres tout aussi fallacieux pour dépeindre une situation sociale confortable bien loin de celle vécue par les agents RATP eux-mêmes. Comme des retraites à 2800 euros, des salaires à plus de 3700 euros et des départs à la retraite à 50 ans.
Les conducteurs de bus quittent donc ce "paradis social" et laissent le transport public francilien en bien mauvaise posture. L'ouverture à la concurrence dessine elle aussi des perspectives sombres pour les chauffeurs de bus que la direction envisage de faire travailler plus dès juillet 2022. Bref un avenir radieux que les conducteurs de bus laissent volontiers à leurs successeurs. Sauf que les successeurs sont introuvables puisqu'il n'y a objectivement plus rien qui incite les candidats à venir conduire les bus de la RATP. La concurrence dans le transport public s'annonce ravageuse pour les conditions de travail des machinistes déjà bien éprouvantes et les salaires qui décrochent par rapport à une inflation galopante ont définitivement ruiné l'attractivité de la RATP. Et ce n'est pas la candidate la plus fortunée à l'élection présidentielle, Valérie Pécresse qui versera une larme pour les plus de 16000 machinistes, pourtant véritable cheville ouvrière de l'entreprise au logo vert. On se souvient encore de sa sortie médiatique très controversée pendant la grève contre la réforme des retraites où elle avait évoqué la possibilité de réquisitionner des chauffeurs pour garantir un service minimum.
La réalité, c'est une souffrance au travail grandissante, une pénibilité de moins en moins reconnue ainsi que l'impossibilité de se projeter dans l'avenir d'une entreprise qui fomente ouvertement le projet de casser tout ce qui reste de conquêtes sociales. Une politique totalement à rebours de ce "paradis social" évoqué par l'institution de la rue Cambon. Une institution d'ailleurs coûteuse pour les finances publiques et à l'utilité contestable.