Je devais avoir tout au plus 7-8 ans et j'étais en vacances dans el bled Limousin (je revendique d'être une bledarde) de ma grand-mère maternelle.
Une nouvelle famille venait de s'installer, de purs étrangers : pensez donc, des Sarthois !
Les adultes dudit bled étaient d'autant plus méfiants que ces étranges étrangers étaient venus avec un tracteur et des méthodes agricoles "rationnelles". J'ai appris bien plus tard qu'ils avaient raison de l'être, méfiants, pas par rapport aux personnes mais par rapport aux projets de l'Etat qui les favorisait, mais ce n'est pas l'objet de ce billet...
Cependant, les enfants ne se souciant guère de ce genre d'adulteries, j'ai vite fait connaissance de la fille de la famille qui était plutôt délurée, ce qui convenait bien à mon tempérament plutôt réservé : je l'admirais béatement et comme elle me croyait intelligente (je venais de Paris quand même et même si l'on se moque des "Parisiens tête de chien", c'est plus par envie que par méchanceté) l'admiration était réciproque. Cela avait pour conséquence que chacune de nous faisait des efforts surhumains pour être à la hauteur de ce qu'elle croyait que l'autre attendait d'elle. Mais ce n'est pas encore le sujet du billet.
Donc, après une période d'observation des intrus, ma famille m'a autorisée à aller jouer chez eux. J'y suis allée seule ma tante ne voulant pas avoir l'air d'être en demande de quoique ce soit, question d'amour propre !
Je suis rentrée timidement dans la cour de la ferme et là un spectacle sidérant m'attendait : un chien était attaché par une courte laisse à un piquet. Un chien qui m'a paru HENORME, un berger allemand. Précisons que ce n'est pas le fait qu'il soit HENORME qui m'a mise en état de choc mais celui qu'il soit attaché.
Jamais au grand jamais dans ma famille on n'avait attaché un chien ! Bon, d'accord, pas plus que les animaux de basse-cour on ne les laissait entrer dans la maison mais ils étaient libres d'aller où ils voulaient tant qu'on n'avait pas besoin d'eux pour rassembler les vaches.
Mais attaché ? ça jamais !
Se méprenant sur mon air hébété la mère de ma copine m'a dit : "n'ai pas peur, il est bien attaché, il ne te fera rien de mal"
J'ai bredouillé : "pourquoi il est attaché ?". La femme a pris un air un peu agacé et m'a expliqué : "quelqu'un nous l'a donné en nous disant qu'il était méchant, alors on ne sait pas si on va le garder mais en attendant faudrait pas qu'il morde quelqu'un".
Devant mon air stupéfait elle s'est rembrunie et m'a dit : "attends là, je vais chercher ma fille mais ne t'approche pas du chien !"
Les seuls chiens que j'avais connu jusque là étaient des bestioles que je pouvais maltraiter - avec amour - autant que je voulais sans que jamais ils n'émettent la moindre protestation, ni ne grognent, ni même ne tentent de fuir. Je n'ai donc pas cru un seul instant que ce chien pouvait être dangereux ! Mais je suis prudente de nature et je me suis approchée de lui tout doucement, en lui parlant et comme il ne montrait aucun signe avant coureur d'agressivité, je me suis accroupie à côté de lui et, tout en continuant à lui parler, j'ai approché ma main de son dos et je l'ai caressé. Le chien a tourné la tête et m'a lêché le dos de la main, alors je lui ai caressé le cou.
A ce moment là j'ai entendu deux cris étouffés : d'un côté ma tante prise de remords qui était venue aux nouvelles, de l'autre la mère de ma copine, les yeux exorbités, la main sur la bouche et ma copine hilare à côté d'elle.
Je me suis levée doucement pour aller voir ma copine sans effrayer le chien et j'entendais comme dans un songe la mère de ma copine me répéter mécaniquement : "il ne t'a rien fait ? Il ne t'a pas mordu ?'.
Ma tante nous a rejointes en quelques enjambées et sa première question a été : "Vous attachez les chiens ?" Et derrière je sentais le sous-entendu "vous êtes des barbares ?" La mère de ma copine s'est mise à bredouiller : "on m'a dit qu'il était méchant".
Alors là, ça a bardé entre les deux femmes, le mari est venu, il a expliqué je ne sais trop quoi qui a eu l'air de tout arranger d'autant plus que ma copine et moi on s'était mise à caresser le chien et que pour le coup ça leur a cloué le bec (sauf le respect que je dois rétrospectivement à des adultes.)
Les conséquences de tout ça ont été double : d'une part quand je suis retournée le lendemain chez ma copine le chien n'était plus attaché et il ne l'a plus jamais été, d'autre part ma tante et la mère de ma copine sont devenues amies : il semblerait que rien ne vaut une franche engueulade pour nouer des liens (je ne garantis cependant pas la recette !).
Cela a eu pour conséquence collatérale que la famille Sarthoise a été intégrée dans la communauté villageoise. C'est quand même chez ma grand-mère et ma tante que se déroulaient les veillées...
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