WataYaga (avatar)

WataYaga

Abonné·e de Mediapart

334 Billets

2 Éditions

Billet de blog 4 septembre 2011

WataYaga (avatar)

WataYaga

Abonné·e de Mediapart

Histoire de chatte N° 2 : une chatte sur un toit branlant

WataYaga (avatar)

WataYaga

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Par obligation, au départ, vu mes origines sociales je ne pouvais pas naître ailleurs, puis par choix,

j’ai toujours habité des quartiers populaires, voire considérés comme laissés en déshérence.

Ce sont souvent des quartiers assez laids, bien que souvent ils réservent d’étonnantes surprises et lorsqu’ils commencent à être rénovés et que des espaces verts y sont créés, c’est qu’il est prévu d’y attirer une nouvelle population plus aisée et donc de faire partir par des moyens plus ou moins brutaux celle qui y habitait depuis des décennies.

Cela est en train de se dérouler dans le quartier où j’habite actuellement, quartier esthétiquement très laid, mais les immeubles nouveaux qui s’y construisent apportent une amélioration esthétique indéniable. Il faut dire qu’ils ont de la marge pour concurrencer en laideur ce qui existe !

Mais, mais, mais j’aime ce quartier pour ses habitants, pour leur gentillesse, leur chaleur humaine, leur vitalité.

Ceci est donc, par une logique qui finira par se révéler, ma deuxième histoire de chatte : « chose promite, chose dute » comme on disait quand j’étais jeune.

Donc depuis plus de dix ans maintenant j’habite dans la rue la plus pourave d’un quartier qui avait jusqu’à ces derniers temps de rénovation une réputation à tenir dans ce domaine. Le résultat est que je paye un loyer qui, pour être devenu excessif par rapport à la stagnation de mes moyens financiers, n’en ferait pas moins rêver toutes celles et tous ceux qui cherchent un logement actuellement.

J’ai découvert que, dans cette même rue deux immeubles semblables d’apparence pouvaient cacher des différences énormes d’entretien et donc de population. En gros, cela signifie que j’habite un immeuble chicos par comparaison avec son jumeau complètement déglingué d’à côté – mais seulement par comparaison !

Mon immeuble est habité majoritairement par des français d’origine certifiée, comme moi, ou plus colorée mais néanmoins bien imprégnés culturellement de la France attitude. Côté relation c’est : "bonjour" dans l’escalier et chacun chez soi. Normal, donc !

J’ai découvert lors d’une de ces tragédies domestiques qui n’arrivent pas qu’à moi mais quand même, que l’immeuble d’à côté était habité, du moins en partie, par des êtres humains : des anormaux, donc. Et, ce qui aggrave leur cas, tous issus de pays étrangers, parlant mal le français et respectant très peu notre fond culturel du « chacun pour soi » auquel nous sommes tant attachés.

C’est pourquoi il me paraît naturel, pour respecter les valeurs traditionnelles de notre beau pays de les dénoncer ici.

Bien, toutes les circonvolutions d’une bonne introduction étant respectées, venons-en aux faits bruts dans toute leur horreur :

C’était il y a environ cinq ans, je m’étais laissé fourguer deux chattes adultes, la mère et la fille, deux minettes adorables, certes, mais la fille n’avait pas inventé les lois de l’équilibre félin !

C’était la fin du mois de juin, il faisait une chaleur étouffante et j’avais stupidement laissé mes fenêtres ouvertes, dans l’espoir, vain je le reconnais, que quelques bouffées d’air viennent par mégarde s’égarer dans ma pièce.

J’étais très occupée à je ne sais plus quelle vague occupation artistico-pédagogico-culturelle qui saturait les quelques rares neurones qui essayaient désespérément de se connecter dans ce qui me sert de cerveau – et là, il faut bien avouer que la chaleur n’y aidait pas ! C’est pourquoi je n’ai pas pris garde aux miaulements d’un chat dans un vague lointain.

Mais la chatte mère s’étant mise à me tourner autour, me donnant des coups de tête dans le dos puis marchant ostensiblement sur les papiers étalés devant moi, a fini par provoquer, outre une irritation légitime, la connexion de deux neurones non totalement anesthésiés par la chaleur ce qui a provoqué chez moi un état d’agitation intense : je me suis levée précipitamment, faisant s’éparpiller les précieuses feuilles sur lesquelles je travaillais et ai parcouru tous les recoins de ma pièce en appelant la deuxième chatte. Un miaulement déchirant m’a répondu de l’extérieur. Me précipitant de façon pavlovienne à la fenêtre j’ai pris alors conscience de l’horreur de la situation : deux yeux oranges fluorescents me regardaient dans l’obscurité naissante et des miaulements lamentables me laissaient craindre le pire tout en me fendant le coeur que j'ai sensible.

Du coup, mes neurones ont émergé de leur torpeur et j’ai pu jouer au jeu des déductions : elle se trouvait sur un toit deux étages au-dessous, or ce toit a la particularité d’être recouvert par un grillage métallique dont j’ai espéré vivement qu’il ait eu un effet trampoline ce qui pouvait laisser présager qu’il y avait plus de terreur que de mal du côté de cette rantanplan féline. Mais comment la récupérer ?

Ce toit donnant sur l’immeuble d’à côté.

Bon, une partie de mes neurones, les plus raisonnables, se sont alors immédiatement planqués, se mettant aux abonnés absents, pour laisser place aux neurones d’urgence : je me suis habillée rapido-presto, et suis sortie en trombe de mon immeuble pour me retrouver dans la rue déserte et sombre devant un immeuble pourri, certes, mais néanmoins protégé par un digicode !

En plein désarroi, je piétinais devant la porte quand j’ai entendu quelqu’un tousser et parler derrière les volets entrouverts d’une chambre donnant sur la rue. Alors j’ai frappé à ces volets tout doucement, puis plus fort. Une voix âgée et angoissée m’a répondu dans une langue à consonance asiatique. Très mal à l’aise, j’ai raconté mon histoire de chatte, malgré la protestation du seul neurone raisonnable réveillé en sursaut qui a tenté – en vain - de me faire percevoir l’absurdité de ma démarche. Une voix plus lointaine a demandé en français très approximatif ce que je voulais, j’ai crié « le code », sûre de me faire « jeter » illico presto.

Mais, non : le code m’a été donné et là, je vous prie de croire que mes neurones se sont surpassés : habituellement ces crétins se mélangent les pédales dès le deuxième chiffre alors que cette fois-ci j’ai retenu, le temps de le faire – faut pas abuser quand même – tous les chiffres et lettres du code !

Ma joie a été de courte durée : il y avait une deuxième porte avec code ! Que faire ? Sortir demander le deuxième code alors que je ne me souvenais déjà plus du premier ? Bien évidemment, j’étais sortie sans papier ni stylo, cela aurait été trop demander à mes neurones organisateurs - d'ailleurs en ai-je ?…

Je ne sais pas combien de temps je suis restée là, ne voyant aucune issue à cette situation, ne pouvant me décider à abandonner la chatte peut-être blessée mais en tout cas sûrement affolée jusqu’au matin.

Le temps a l’art de s’étirer indéfiniment dans ce type de moment…

Soudain la porte d’entrée de l’immeuble s’est ouverte et un couple de jeunes Chinois très joyeux a fait son apparition. Le jeune homme s’est composé péniblement un air sérieux pour me demander qui j’étais et ce que je faisais là et, consciente du ridicule de ma situation (à la niche les neurones de honte !), j’ai raconté mon histoire de chatte. Un double éclat de rire a accueilli mon douloureux récit et le garçon m’a ouvert la porte en me souhaitant de retrouver ma chatte. Bon, ces propos ne me semblaient pas manquer de sincérité, mais visiblement lui et sa compagne étaient d’une humeur enjouée que rien n’aurait su affecter. Ils ont disparu dans un sombre escalier, toujours aussi hilares.

Après leur départ, je me suis sentie encore plus seule, encore plus désemparée. J’ai longé un couloir qui m’a amenée droit sur un mur obscur. Soudain sur ma gauche, j’ai senti quelque chose bouger, et j’ai vu sortir d’une porte entrebâillée la tête d’une jeune femme à qui j’ai rereraconté ma petite histoire stupide. Elle m’a répondu, en allumant la lumière du couloir, qu’elle était vraiment désolée mais qu’elle ne pouvait vraiment rien pour moi parce qu’elle n’avait pas de fenêtre dans son logement, d’où le fait que pour avoir de l’air elle laissait sa porte entrouverte. Nous avons discuté un peu. Elle m’a dit venir de Haïti et qu’elle était contente d’avoir trouvé à se loger parce que elle avait beaucoup galéré pour cela et que, même si le loyer était un peu cher pour ses ressources, c’était mieux que la rue !

Il faut croire que ses neurones à elle n’étaient pas totalement abrutis par la chaleur : elle m’a fait remarqué que si ma chatte était tombée sur le toit de la maison de la cour je trouverais sans doute mieux la solution à mon problème au premier étage. « Mais, a-t-elle ajouté, ne frappez pas à la porte de droite en face de l’escalier, vous seriez mal reçue ».

Je l’ai remerciée, tout en engueulant intérieurement mes neurones déductifs qui se sont lâchement débinés. J'ai eu un moment d'hésitation avant de me décider à monter un escalier dont, vu l’état, je doutais qu'il puisse survivre à mon passage. Arrivée au premier étage, je me suis retrouvée devant l'épreuve la plus usité de certains contes : à quelle porte frapper ? Et que vais-je trouver derrière ?

Un indice porte de côté gauche : un bruit métallique que j’interprète comme provenant d’une personne manipulant des couverts. Je frappe donc à cette porte et celle-ci s’ouvre sur un monsieur asiatique qui me regarde avec un air si ébahi que j'enchaîne direct sur mon histoire. Il m’interrompt avec des gestes de personne qui est en train de se noyer : il ne comprend pas le français. Bien, mes neurones s’affolent et me font entamer une pantomime avec mains sur la tête pour simuler des oreilles animales et « miaou » pour les miaulements du chat. Il me répond en me disant « bonjour » en Chinois – je le sais ayant passé des heures à essayer – en vain – de choper la prononciation correcte de ce mot. Je ne savais que reproduire des miaulements de chat ! Je suis une française typique : aucun don pour les langues étrangères !

Là, un grand sentiment de solitude m’envahit, mais mes neurones comiques ne veulent pas laisser tomber : je me retrouve en train de remettre mes mains sur mes oreilles, puis de simuler une queue, de me lécher le dos d’une main : rien que de très normal, quoi !

Le type me regarde les yeux écarquillés, je sens comme un combat intérieur en lui, puis soudain son visage s’illumine d'un large sourire, son œil frétille d’une lueur de compréhension, il me fait le geste d’attendre – ça j’ai compris- et disparaît dans le fond de sa pièce. Je l’entends farfouiller, puis il revient, visiblement tout content, avec un pochon en plastique dont il me montre le contenu : paquets de nouilles chinoises, soupes chinoises en poudre etc. Je lui fais signe que ce n’est pas cela que je veux, mais il insiste pour me les remettre. Finalement j’arrive - en essayant de ne pas le blesser dans sa générosité - à ne pas prendre des produits dont il a visiblement plus besoin que moi et je lui dit « au revoir » en Chinois pour tenter de réparer ma grossièreté. Ouf ! Il comprend et est tout content : il me répète plusieurs fois « au revoir » avec beaucoup de gaîté et de chaleur, puis il ferme sa porte.

En attendant, je n’ai pas beaucoup avancé côté chatte à sauver !

J’entends alors un bébé pleurer porte droite sur le côté et une femme qui chante une chanson. Vais-je oser frapper ? Rien à attendre de mes neurones : ils ont déserté mon cerveau, je ne fonctionne plus qu’à l’instinct et au bout d’un moment celui-ci me dit : « c’est le moment, vas-y ! »

Alors je frappe doucement. La voix de femme me demande ce que je veux. Je ressens de façon cuisante le caractère absurde de mon histoire de chatte mais la porte s’ouvre et je me retrouve devant une belle femme en boubou tenant dans ses bras un bébé d’environ six mois qui me fixe les yeux écarquillés. Je raconte à nouveau ce qui me paraît de plus en plus être une salade et je la vois faire des efforts de compréhension, puis elle finit par me dire dans un français approximatif mais tout à fait charmant qu’elle voudrait bien m’aider mais qu’elle n’a pas de fenêtre. Elle m’explique que tous les logements qui sont sur le côté n’en ont pas et qu’il me faudra donc frapper aux appartements face à l’escalier. Elle me précise que ce n’est pas la peine de frapper à la porte de droite son habitant est parti en vacances, et d’ailleurs, j’ai de la chance car il aurait déjà appelé la police s’il avait été là. Mon mauvais esprit m’amène à lui demander : « c’est un français ? ». Elle est un peu gênée pour me répondre « oui » et mes neurones sarcastiques se réveillent d’un coup pour me faire penser : « pauvre français ! tout seul, perdu au milieu de ces monstres ! » Mais je m’abstiens de tout commentaire, dit au revoir à la femme en la remerciant. Elle me sourit et me dit « c’est moi qui vous remercie : elle dort » en me montrant son bébé.

Bon, me voilà encore sur ce palier à pas d’heure. Je ne peux quand même pas réveiller les gens ! Mais j’entends une voix d’homme derrière la porte de gauche. Bingo ! Réveillé ! Je prends mon courage à deux mains (hou ! hou ! les neurones du courage, où êtes vous encore partis ?) et je frappe à la porte. Un homme en pagne, torse nu, m’ouvre. Immédiatement je me dis « mauricien ! » (faut croire que les neurones identificatoires étaient en alerte, eux !) et je ressasse l’enregistrement de mon histoire pour la énième fois. Je vois arriver alors un autre homme en pagne . Il me dit visiblement soulagé : « ah ! c’est votre chatte ! on a essayé de l’attraper mais elle crache et griffe, on ne savait plus quoi faire ! ». Les deux hommes me proposent d’entrer. Devant la fenêtre ouverte je vois deux coupelles : l’une contenant du lait et l’autre des morceaux de viande. Je leur demande si je peux monter sur le toit qui prolonge leur fenêtre sur l’extérieur et si celui-ci résistera à mon poids. L’un des deux hommes me montrant sa main griffée me dit qu’il y est allé et que le toit était solide. Je tente d’excuser ma chatte pour sa main. Il m’arrête d’un sobre et définitif : « elle est terrorisée ».

Je monte donc sur le toit. La chatte est là, pauvre petite chose tremblante, qui me fixe de ses yeux orange implorants. J’avance doucement la main : elle vient la renifler, puis s’approche, et me saute dans les bras en s’accrochant à ma poitrine avec toute l’énergie du désespoir. Mais bon sang pourquoi n’ai-je pas pris mon gilet pare-balle ? Alors, les neurones sécuritaires, on est parti se balader ?

Les deux types se montrent très contents : ils m’ont mis le lait dans une bouteille en plastique et la viande dans un pochon du même métal. Me serrent la main chaleureusement et me raccompagnent à la porte comme si mon acte de bravoure devait faire la une des journaux le lendemain !

Au bas de l’escalier, la haïtienne me demande de derrière sa porte si j’ai récupéré ma chatte et se montre soulagée de ma réussite.

Je retourne chez moi, et après m’être assurée que ma bestiole n’avait rien eu d’autre qu’une frousse mémorable, je regarde l’heure : deux heures du matin. Là, les neurones de la mauvaise conscience rappliquent au galop : « Comment as-tu pu déranger ces gens à une heures aussi indue ! Ça ne se fait pas ! », ceux de l’alerte danger les suivent dare-dare : « et les serial killer, tu y as pensé aux serial killer ? » : « Trop tard ! les gugus : fallait vous réveiller avant ! »

Moralité :

  • la chatte noire aux yeux orange qui était quasiment autiste est devenue hyper collante et affectueuse,
  • mes fenêtres sont restées fermées tout un été caniculaire et
  • j’ai gagné une certaine notoriété dans ma rue, des gens que je ne connais même pas continuent à venir me dire bonjour ou me sourient au passage.jusqu'à maintenant.

Le quartier est peut-être laid mais ses habitants sont beaux et les êtres m’important plus que les choses, j’aime vraiment ce quartier et je ne le quitterais pour aucun Louvre du monde !


Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.