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Billet de blog 5 novembre 2012

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"Je" est un autre. Mais peut-il être imposé par un autre ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il était une fois…il y a trente ans, une grande maison dont les habitants vivaient en communauté. Oui, je sais, mais que voulez-vous c’était l’époque des « baba-cool » et ces siphonnés du ciboulot prétendaient refaire le monde par la mise en pratique concrète de leurs idées nébuleuses.

Cette communauté se composait de six jeunes Tunisiens et d’une française. C’était l’époque ou une certaine fausse particule chuintante avait eu l’idée géniale d’instaurer la carte de travail qui excluait dudit travail ceux qui ne l'avaient pas en faisant des travailleurs au noir taillable, corvéables et expulsables à merci ! Un groupe de Tunisiens faisaient la grève de la faim. Des français/es étaient venu les soutenir ("Français/es, immigré/es, même patrons même combat !" étaient le genre de slogans stupides auxquels ils/elles croyaient, c'est dire si elles/ils n'avaient rien compris à la francitude !) et certain/es hébergeaient des Tunisiens solidaires des grévistes (ouai, je sais, y avait pas de femmes à l'époque).

La française en question hébergeait un compagnon de lutte devenu son compagnon tout court, avec la complicité de la police, - mais c’est hors sujet -, et quelques jeunes vaguement solidaires et surtout SDF (le terme n’existait pas à l’époque mais la réalité, si !).

Un problème s’était posé d’emblée, les jeunes hommes (ils avaient entre 17 et 24 ans) étaient absolument charmants et d’une délicieuse délicatesse et discrétion mais l’idée de partager les tâches ménagères ne les effleuraient même pas.

Il se trouvait que la jeune française n’était pas une fondue du ménage et de l’ordre et que de plus elle se piquait d’être féministe. Au bout d’une soirée où elle avait fait l’effort en rentrant du travail de préparer le repas (pas une véritable réussite) et de faire la vaisselle, dès le lendemain, ne sachant pas comment aborder le sujet sans manquer de tact auprès de ces jeunes hommes tous plus gentils les uns que les autres (mais pas neuneus pour deux sous !), elle ne rentrait chez elle qu’après avoir mangé et ne touchait plus à la vaisselle et encore moins au ménage.

Cela dura quinze jours, sans que personne ne discuta de la situation, les soirées restaient chaleureuses et conviviales.

Au bout de ces quinze jours, cette jeune fille, remontée à bloc, avait préparé un joli discours, plein de finesse et de délicatesse pour expliquer à ces charmants garçons que bon, c’était pas tout ça mais quand est-ce qu’ils allaient s’y mettre, elle n’était pas leur bonne, bon sang !

En ouvrant la porte de chez elle, elle sentit tout d’abord une délicieuse odeur de cuisine et vit arriver son compagnon, tout sourire, portant élégamment un joli tablier blanc et, comme tous les soirs, lui souhaitant la bienvenue d’un baiser désarmant….

Première constatation : l’entrée était nickel chrome (une expression surannée de l’époque des dinosaures post soixante huitards) ; deuxième constatation : l’odeur affriolante de repas venait de la cuisine dans laquelle deux des jeunes gens finissaient de préparer le repas. Dans le salon, deux autres préparaient la table et un troisième installait tout un service de thé à la menthe.

Le repas fut un vrai délice, le thé à la menthe agrémenté de pignons, divin et les darboukas et autres bendir  qui accompagnèrent les danses de la soirée, sublimes….

A partir de cette soirée, et sans qu’aucune parole sur le sujet ne soit exprimée, ni tour de rôle instauré, chacun et chacune a mis la main à la pâte (et plutôt les chacuns que la chacune !).

Cela a duré deux ans, toujours avec le même compagnon, mais les hébergés changeaient, il y a eu des Égyptiens (des coptes), un Palestinien, des Algériens, des jeunes, des vieux, des couples avec ou sans enfants…. Mais toujours le même respect, le même partage des tâches, la même ambiance chaleureuse.

Un jour, une amie Iranienne mariée avec un français a demandé à la jeune femme de recevoir son fils de 4 ans chez elle. Il y avait à ce moment-là une famille Égyptienne qui avait un fils du même âge (tous parlait parfaitement le français, nonobstant un léger accent chantant).

La soirée s’est très bien passée jusqu’au moment où le fils de cette amie a dit à haute et intelligible voix : « les Arabes sont méchants, ils ont des couteaux ! ». Il n’y eut que la jeune fille à être choquée. Les autres souriaient sans l’ombre d’une quelconque  gêne. Mais la jeune fille se sentant mal à l’aise  dit à l’enfant : « regarde, il y a des couteaux sur la table est-ce que cela veut dire qu’on est méchant ? ». L’enfant  fit non de la tête. Elle lui demanda alors : "untel avec qui tu as discuté ce soir, il est Arabe, tu le trouves méchant ? », « Non » ; « et untel ? », « Non »….etc.

L'enfant a passé la soirée à jouer avec le petit Égyptien sans problème. Mais, le soir, quand la jeune fille vint lui dire bonsoir il a grommelé sur un ton buté : « Cela m’est égal ! Les Arabes sont méchants, ils ont des couteaux »

La jeune fille ayant discuté du sujet avec les adultes présents qui lui ont dit que l’enfant ne pouvait être tenu responsable de ses paroles, elle lui demanda : « qu’est-ce qui te fait dire ça ? ». L’enfant parla alors d’une série télé dont le héros s'appelait Thibault. La jeune fille ne possédant pas de télé ne sut que répondre...

Quelques temps plus tard, cette même jeune fille alla faire, sur la demande d’une institutrice, une intervention dans une classe de CP avec un autre ami Tunisien, musicien. Elle les a fait venir parce qu’elle ne savait plus quoi faire : la plupart des enfants de sa classe étaient mutiques et ne participaient à aucune activité. Ils étaient calmes, certes, mais trop : repliés sur eux-mêmes.  

L’ami entrant dans la classe, dit « bonjour » en français, tous les enfants répondirent, puis bonjour en Arabe… Silence total. Les trois quart de la classe étaient des enfants, d’origine maghrébine, parlant mal le français  !

L’institutrice appela les enfants par leurs prénoms : pas un seul prénom à consonance étrangère.  Puis les enfants s’assirent, les bras croisés, le regard vide.

Le copain a alors sorti son Bendir et commencé à taper dessus en chantant.

Au bout d’un moment, un enfant s’est levé et mis à danser, puis un autre, un autre encore, toute la classe, y compris les enfants français. Tout le monde a chanté et dansé en tapant des mains. Joyeux, insouciants.

Tous ont appris la chanson en Arabe et en Français. Le copain l’a écrite au tableau dans les deux langues.

Ces interventions artistiques ont eu lieu à raison d’une heure par semaine sur une année, à la fin de laquelle les gamin/es maghrébin/es parlaient français et savaient lire et écrire pas mieux mais pas pire que les autres.

Un conte de fées ? Non, la triste réalité du rejet de soi-même qui clive et laisse des cicatrices à l'âge adulte….

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