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Billet de blog 7 novembre 2012

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Préjugés coupables... d'être eux

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Tous les parents parlent devant les enfants sans forcément avoir conscience que ceux-ci les écoutent. A la télé, les musulmans sont souvent stigmatisés et les adultes expriment leurs sentiments d'injustice et de révolte face à ces attaques qui deviennent de plus en plus fréquentes.

Cela amène les enfants à ressentir le besoin de s’affirmer positivement car qui peut supporter de se voir rejeter dans le camp des « mauvais » sans chercher une issue ménageant sa dignité ?

Cependant, même s’ils sont influencés par ce qu’ils entendent, cette influence n’empêche pas les enfants de se faire peu à peu leur propre opinion.

Il est courant que, parce qu’ils entendent des adultes les tenir, les enfants répètent des propos racistes, de la même façon qu’ils répètent les grossièretés, cela ne signifie pas qu’ils en comprennent véritablement le sens. Ce qui les motive c’est la réaction colérique de l’autre. Si cet autre ne se laisse pas démonter, le jeu n’est plus amusant et ils passent à autre chose.

Mais parfois les victimes sont tellement traumatisées par la violence sociale qu’elles subissent qu’elles intègrent ce racisme comme une donnée contre laquelle on ne peut rien. C’était le cas de nombre d’enfants issus de l'immigration à la fin des années 70 et jusqu’au moins le milieu des années 80. 

Par exemple, en 1986, je faisais des animations sous une grande tente implantée sur une esplanade située juste à l’entrée d’un immeuble d’habitations type HLM. L’intérieur de la tente était aménagé de telle sorte qu’il y avait de nombreux recoins mis à la disposition des enfants avec des propositions variées : jeux, livres, tables pour dessiner etc.

J’étais en train de lire des albums avec un petit groupe d’enfants quand, soudain, j’ai entendu une voix de gamine ordonnant : « vous, les négros, vous sortez d’ici ! ».

Je me suis levée pour voir ce qui se passait et j’ai vu une petite puce blonde d’environ 5 ans s’adresser à une fratrie africaine répétant : « toi, là, là et là »,  pointant du doigt chaque enfant, « vous sortez ! » Et, à ma grande stupeur, j’ai vu les enfants visés se lever et s’apprêter à sortir !

J’étais furieuse contre la gamine et bouleversée de voir ces autres gamins obtempérer avec une sorte de fatalisme triste, comme s’ils avaient intégré ce rejet comme allant de soi.

En même temps, celle qui les agressait n’était qu’une toute petite fille….

J’ai donc pris le temps de calmer mon irritation et je me suis d’abord adressée aux enfants africains en leur disant gentiment : « non, vous restez !». La gamine n’a pas eu l’air de m’entendre et elle a répété son ordre de façon encore plus péremptoire : « dépêchez-vous de sortir, allez, du balai ! ».

Encore une fois j’ai été ébahie par la réaction des gamins agressés : ils avaient l’air de ne plus savoir sur quel pied danser, à qui obéir, comme si même ma parole d’adulte n’était pas fiable.

J’ai alors dit à la gamine sur le ton le plus calme dont j’étais capable, mais qui se voulait néanmoins impératif : « non, c’est toi qui va sortir d’ici ».

Elle n’a pas eu l’air de se sentir concernée et s’avançait, d’un air furibond, vers les gamins. J’ai alors utilisé un ton un chouya plus ferme et je l’ai interpelée directement : « toi, la petite fille en robe jaune, c’est toi qui va sortir d’ici ! ». Cela lui a fait l’effet d’un électrochoc et elle m’a regardée avec stupeur : « Qui, moi ? », « oui, toi ! », « Mais….Pourquoi ? » Et l’incompréhension que j’ai lue sur son visage était absolue. « Parce qu’ici, c’est pour tous les enfants, sauf pour ceux qui n’acceptent pas les autres.». Et là, j’ai vu sortir de divers recoins des enfants métis, dont j’ignorais la présence silencieuse, qui ont observé la scène avec un intérêt évident.

« Mais ! Ce sont des négros » a répété la gamine à la fois incrédule et offusquée, visiblement sûre d’être dans son bon droit. Un gamin, d’environ neuf ans, portant kipa est alors sorti d’un recoin. Il s’est placé devant la gamine et lui a dit sur un ton quasi professoral : « on ne dit pas « négros », c’est une insulte. On ne rejette pas quelqu’un à cause de sa race, tout le monde a le droit de vivre, ils ont le droit d’être ici tout comme toi et moi ! ». Cela résonnait comme un discours adulte bien intégré. Mais il exprimait exactement ce que je pensais ! La gamine a secoué la tête et elle a dit « non ! » avec assurance. J’ai donc repris, doucement mais fermement, la parole : « il a parfaitement raison, et maintenant, à toi de choisir : soit tu ne leur dis plus de sortir, soit c’est toi qui sort ! »

La gamine est sortie, tête haute, visiblement outrée. Elle s’est assise sur un muret devant la tente et est restée là, immobile, le regard fixé sur l’entrée.

Passe environ un quart d’heure…

Je l’ai alors vue se lever, revenir dans la tente et se diriger vers moi : « je peux rentrer maintenant ? ». Je lui ai fait mon sourire le plus chaleureux (j’avais eu mal pour elle et étais soulagée de sa décision) et lui ai répondu : « tu es la bienvenue, si tu ne dis plus à aucun enfant qu’il n’a pas sa place ici. »

Elle ne m’a pas répondu et je l’ai malgré tout laissée rentrer. Au bout de quelques temps je me suis rendue compte qu’elle jouait avec la fratrie africaine.

J’ai continué de voir cette gamine jusqu’à ce qu’elle atteigne l’âge canonique de 12 ans. Ses meilleur/es ami/es étaient des enfants issu/es de l’immigration.

J'ai compris plus tard qu’elle tenait ce discours raciste de ses parents, car j’ai appris à connaître ceux-ci… Je préfère ne pas en parler…sauf pour préciser qu'ils étaient une caricature des Bidochon...

De mon point de vue, cette gamine était attirée par les enfants africains qui avaient l’air de bien s’amuser mais ne connaissant que le discours méprisant de sa famille à l’égard des noirs elle n’a su les aborder qu’en reproduisant ce discours excluant. C’est la suite des évènements qui m’a fait faire cette hypothèse. Mais je l’ai vérifiée dans nombre de situations similaires par la suite.

Ces gamins doivent avoir maintenant aux alentours de 30 ans – 40 ans, ils ont peut-être des enfants qui devraient avoir entre 10 et 20 ans.

Les enfants issus de l’immigration, mais aussi les antillais, sont témoins de la souffrance quotidienne de leurs parents dans leur vie de tous les jours et victimes eux-mêmes de l’attention particulières que les policiers portent aux jeunes d’origine immigrée en les harcelant dès l’âge de 10 ans, sinon avant.

Qui, ici, se souvient encore de Toufik, ce gosse de 8 ans tué à coup de gifles par de gentils messieurs en uniforme ? Un journal pas très bien vu dans nos milieux qui ne surfent surtout pas sur l’émotionnel – et je m’inclus dedans pour le coup, car j’en regardais toujours les titres avec méfiance – avait consacré une double page à une enquête sur ce qu’étaient devenus, dix ans après, les policiers tueurs d’enfants dans les années 70. Réponse : non seulement aucun d’entre eux n’avait eu d’ennui avec la justice mais, de plus, tous étaient montés en grade. Je connaissais bien l’histoire de Toufik et je peux témoigner, qu’au moins pour lui, tout ce qu’avait écrit le journaliste était exact.

Le journal s’appelait « «Détective» » ! C’est bien la seule fois que je l’ai lu… (je n'ai pas trouvé de lien parlant de cet article et c’est dommage !)

Mais les « Ratonnades » ont bien prospéré et ce n’est pas sans laisser de traces dans les mémoires. 

On parle souvent de la peur des parents que leurs enfants se fassent attaquer par « la racaille » mais qui parle de l'angoisse des parents d’enfants d’apparence plus ou moins « basanée » que leurs enfants subissent des contrôles musclés ou se fassent attaquer par des personnes qui pensent que leur blanchitude leur octroie, de naissance, une légitimité pour le faire ? Et pourtant….


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