Coyote est ce qu’on appelle en langue anglaise un Trickster ce qui pourrait se traduire en français par « fripon » ou « joueur de tours », mais ces deux termes ne rendent que partiellement compte de la dimension mythique de Coyote qui est aussi démiurge, créateur du monde et inventeur de l’être humain ce qui pourrait bien être sa pire bêtise. Il nous parle aussi de cette période de l’enfance que nous avons enfouie au plus profond de notre inconscient et dont il nous révèle la complexité et la difficulté de l’éveil à la conscience. Il est celui qui voit le monde comme un vaste champ d’expériences qu’aucune norme morale, sociale ou simplement raisonnable ne viendrait limiter et en cela malgré toutes les bêtises qu’il commet, il est innocent. Allant sans cesse où son désir le porte sans jamais se soucier des conséquences de ses actes ni sur les autres, ni sur lui-même il en est sans cesse victime sans que cela ne lui serve jamais de leçon : « Coyote, tu n’apprendras donc jamais » disent les Indiens à son sujet avec humour, affection et indulgence. Il est un maître parce qu’expérimentant tout sans retenue, inhibition ou vergogne, il nous montre les dangers de cette totale liberté, de cet individualisme forcené en subissant, à notre place et pour notre plus grande jubilation, les conséquences de son irresponsabilité. En cela, bien qu’il ait tous les défauts et peut-être justement pour cela, il nous est plus proche et plus sympathique que le rusé et cruel Renart du célèbre roman dont nous ne pouvons nous empêcher de plaindre la victime, le stupide et malheureux Ysengrin. Pour toutes ces raisons j’aime Coyote ainsi que tous ses semblables : Iktomi, l’homme araignée, Nanabozo, le grand lapin, Corbeau, Raton laveur….la liste est aussi longue que celle des nations amérindiennes, chacune ayant son Trickster propre. Dans cette série de billets, je vais transcrire très librement des contes inspirés par ce personnage tour à tour stupide, rusé, déluré, espiègle, égocentrique, insouciant, plein de vitalité, irritant, touchant qui ne renonce jamais à se tromper et à aller d’erreurs en erreurs et ainsi nous amène sans dogmatisme, moralisme ni culpabilisation sur le chemin de notre propre sagesse…
En ce temps là les rochers, les plantes, les animaux et les êtres humains se comprenaient entre eux et pouvaient se transformer mutuellement l’un en l’autre : un caillou, une plante ou un animal, pouvaient devenir un être humain et réciproquement. En ces temps d’il y a longtemps, la femme de Coyote venait tout juste de mettre au monde deux magnifiques bébés coyotes.
C’était la première fois que Coyote et sa femme devenaient parents. Par malchance, ils se trouvaient dans un endroit isolé, loin de leurs familles respectives, aussi quand les petits se mirent à pleurer et que, malgré tous les soins prodigués, ils n’arrivèrent pas à les calmer ils se sentirent désemparés.
Au bout d’un moment qui lui paru une éternité, Coyote dit à sa femme : « il faut que je sorte, ces cris me tapent sur les nerfs ! »
Madame Coyote n’était pas vraiment enchantée que son mari s’en aille mais elle le laissa partir sans trop protester.
Une fois hors de leur tanière Coyote se mit à marcher droit devant lui sans trop savoir où ses pas le menaient.
Au bout d’un moment il entendit un son agréable à son oreille et, se sentant peu à peu apaisé par la beauté de ce son il chercha d’où il provenait
Il finit par arriver devant un brin d’herbe sur lequel une sauterelle stridulait.
Coyote était bouleversé par cette magnifique musique et il en acquit la conviction qu’elle seule pourrait calmer ses bébés. Il demanda donc à la sauterelle de lui enseigner sa chanson en lui expliquant qu’il ne supportait plus d’entendre ses enfants pleurer.
La sauterelle écouta attentivement sa requête.
Elle lui recommanda de bien écouter sa chanson et de la répéter après elle jusqu’à ce qu’il la sache par cœur.
Coyote s’appliqua à apprendre la chanson, remercia chaleureusement la sauterelle et s’en retourna chez lui tout joyeux.
Il gambada, sauta, et fit tant et tant de pirouettes qu’il finit par tomber sur la tête.
Quand il se releva, il dut se rendre à l’évidence : il avait oublié la chanson !
A toute vitesse il retourna voir la sauterelle, lui raconta sa mésaventure et la pria de lui enseigner à nouveau sa chanson.
Celle-ci le fit de bonne grâce et Coyote repartit le cœur en joie.
Un peu plus loin son attention fut attirée par des centaines de papillons multicolores qui s’ébattaient dans le ciel formant un magnifique arc étincelant dans la lumière du soleil. Il en fut tellement ébloui qu’il en oublia la chanson.
Il retourna donc voir la sauterelle qui lui demanda cette fois-ci de bien retenir la chanson car elle allait devoir partir.
Coyote promis de ne plus se laisser perturber et la sauterelle la lui enseigna une dernière fois.
De nouveau, Coyote remercia la sauterelle et repris la route en se concentrant sur la chanson.
Il ferma les yeux pour ne pas se laisser perturber par la beauté du paysage tant et si bien qu’il buta sur une pierre, roula le long d’une pente et termina sa chute dans l’eau tumultueuse d’un torrent dont il fini par sortir en crachant et en toussant mais surtout en ayant encore oublié la chanson.
« Peut-être que la sauterelle est encore là, se dit-il, elle est si gentille, si compréhensive, si patiente, elle ne peut pas me laisser tomber quand même ! »
Mais la sauterelle venait tout juste de terminer sa mue.
Elle se dit ; « ce garçon Coyote va encore oublier la chanson et revenir me la demander. Ça ne sert à rien que je la lui enseigne encore et encore, je perds mon temps avec lui et ses petits ne sont toujours pas consolés ! »
Elle décida alors de s’amuser aux dépens de cet idiot de Coyote et glissa un caillou recouvert de mousse verte dans l’enveloppe qu’elle venait de quitter et qui avait gardé sa forme.
Ensuite elle alla se cacher plus loin au milieu d’une touffe d’herbe.
Elle n’eut pas à attendre longtemps : coyote arrivait tout trempé, tout crotté et tout essoufflé.
« Ah ! Je savais que tu serais toujours là » dit-il d’un ton enjoué « peux-tu me chanter encore une fois ta chanson. Je te promets que cette fois-ci c’est vraiment la toute dernière fois »
Comme ce qu’il prenait pour la sauterelle – son enveloppe, survivance de la mue – se taisait Coyote implora : « S’il te plaît ! »
Cela amusa beaucoup la vraie sauterelle qui l’observait cachée dans les herbes.
Coyote se mit alors à supplier, gémir, pleurer… Puis finit par s’énerver et se fâcher.
Mais parfois la colère est mauvaise conseillère.
Coyote s’en prit alors à ce qu’il croyait être la sauterelle et mordit la pierre cachée par celle-ci à l’intérieur de l’enveloppe de sa mue.
La douleur le fit sursauter, hurler, trépigner, ce qui fit rire la sauterelle qui s’en alla alors, toute réjouie, sautant-sautillant.
Coyote, une fois calmé, décida de retourner chez lui.
Il s’attendait, en arrivant devant sa tanière, à entendre ses bébés pleurer et se sentait piteux.
Au lieu de cela, c’est la voix de sa femme qui l’accueillit.
Elle chantait la chanson de la sauterelle et les bébés dormaient paisiblement à côté d’elle.
Elle dit gaiement à Coyote : « Une sauterelle est venue me voir de ta part et elle a calmé nos bébés en leur chantant la chanson que je suis en train de répéter pour ne pas l’oublier. Elle m’a demandée de te l’apprendre à toi aussi quand tu reviendrais. »
C’est depuis ce temps là que les parents chantent des chansons à leurs bébés.
Avec la beauté devant moi, je marche
Avec la beauté derrière moi, je marche
Avec la beauté au dessus de moi, je marche
Avec la beauté au dessous de moi, je marche
Avec la beauté tout autour de moi, je marche
La voix qui embellit le pays
La voix de la sauterelle
Partout résonne.
Chant Dine (Navajo)
watayaga@hotmail.fr