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Billet de blog 21 juin 2011

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Bribes d'une journée banale

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Hier, j'ai pris le méto. Comme beaucoup de gens. Mais je ne sais pas pourquoi ce que j'ai observé m'a paru avoir du sens, un sens que je n'arrive pas totalement à comprendre.

Est'ce que cela a de l'importance? Est-ce que les petites choses méritent d'être racontées quand on a si peu à en dire?

Le fait d'avoir envie d'en parler ne se suffit-il pas en lui-même ? Et en parler à qui ? Pour quel retour? On verra bien!

Un escalier, une vieille femme noire avec une canne le descend péniblement, un homme âgé, noir lui aussi, lui tient le coude.

Des deux côté les rampes leur sont inaccessibles : personnes qui montent à gauche, personnes qui descendent à droite. Cela semble perturner la femme et agacer l'homme qui lui lâche le bras alors qu'ils sont presqu'arrivés en bas, pour descendre plus rapidement.

La femme, elle, descend, très lentement, trois marches et soudain semble s'envoler. Elle se raccroche d'abord à un homme, essaye d'attraper la rampe mais s'agrippe à une jeune femme, qui se trouvait juste derrière l'homme, et qui a essayé d'esquiver - en vain.

Puis elle arrive à rattraper la rampe, lâche la jeune fille qui tentait de la repousser et se répand en excuses et en remerciements en direction de celle-ci qui, sans lui jeter un seul regard, remonte les escaliers comme une reine outragée.

L'homme, sans doute un peu sourd, se retourne et, voyant la vieille femme en difficulté, remonte les marches, discute avec elle et se met lui aussi à s'excuser et à remercier la jeune fille.

Celle-ci ne se retourne pas, continue à monter l'escalier et son visage exprime ce que j'interprète sur le moment comme de l'exaspération mêlée de rage mais qui est peut-être de la peur ou bien ? Elle ne dit rien, ne regarde personne et chacun d'entre nous continue son chemin.

Cette scène me met mal à l'aise mais bien que mes pensées tournent dans ma tête comme des poissons en apné dans un bocal rien de ce que je pourrais en écrire ne me paraît pertinent.

Je monte dans le métro, un homme, sans doute un Rom, se précipite avant que la porte ne soit fermée. Il vend des stylos, je n'en comprends pas le prix et de plus je n'ai pas d'argent sur moi, juste des centimes. Mais j'ai eu envie de faire un geste et je lui ai tendu la plus grosse pièce que j'avais (cinq centimes, ridicule!) en lui disant que je ne voulais pas de stylos. Nos paroles se sont croisées, il me disait "non, cinquante centimes" Je crois que nous avons compris ensemble le sens de nos paroles entremêlées et, pendant que je lui répondais sur un ton navré "mais je n'ai pas cinquante centimes!", il me donnait un de ses stylos d'une main refusant les centimes de l'autre avec beaucoup de dignité.

"La claque!" c'est la première pensée que j'ai eue et je me suis tout de suite demandée pourquoi. Pourquoi ressentirais-je comme un reproche la générosité gratuite de cet homme pauvre qui se payait le luxe de faire un cadeau à quelqu'un qui lui donnait ses cinq derniers centimes? Quel sentiment de culpabilité me poussait à penser qu'il avait voulu me donner une leçon de générosité? J'ai lu un article qui disait que, parmi ceux qui faisaient la manche, les Roms étaient ceux qui étaient le plus mal reçus et je me suis demandée où était passé l'indignation soulevée par leurs expulsions. C'est peut-être tout cela qui a alimenté mon malaise, m'a faite me sentir si lamentable et non l'intention de cet homme qui a aussitôt quitté le wagon sans avoir l'air d'entendre mon "merci" étonné.

Je sors du métro un peu en panique : je suis inconcevablement en retard.

Au coin d'une rue, je me fais asperger par un jet d'eau et je m'écrie sur le ton de la plaisanterie : "merci pour la douche" et échange un regard avec un jeune homme, issu de l'immigration turque - c'est une hypothèse - qui s'excuse avec un sourire à faire éclater les pierres tout en continuant à arroser des fruits de mer - et comme je ne suis pas de glace, avec mon sourire le plus édenté de Baba Yaga, vieille sorcière, je lui souhaite une bonne journée en me disant que, de toute façon, il pleuvait, qu'il ne faisait pas froid. Et que ce sourire là valait bien mille fois de se faire détremper!

J'assiste ensuite à une conférence d'auteurs au cours de laquelle il est dit que dans la Grèce antique il y avait deux langues, celle de l'élite et celle du peuple et que ces deux langues se faisaient la guerre ou plutôt que l'élite prétendait que sa langue était la seule légitime, enfin c'est ce que j'ai cru comprendre et j'ai pensé à Finkielkraut et à Millet, à leur problème avec la langue des banlieues, avec le rap et la pensée m'a traversée que, vraiment, trop forts les anciens grecs! Dans le domaine de l'intolérance, encore une fois ils étaient nos maîtres! J'ai essayé immédiatement d'effacer de mon esprit cette pensée sacrilège : n'avaient-ils pas inventé la démocratie? Bon, d'accord les esclaves et les femmes en étaient exclus, mais c'est l'idée qui compte et quand on voit ce que nous en avons fait en France, on ne peut que s'en réjouir! Dans la "querelle des anciens et des modernes" espérons que les Grecs actuels pourrons ouvrirde nouvelles perspectives.

A la fin, je reçois un vent au sujet de mon retard et ça me casse sec!

Bon, je prends le bus pour retourner chez moi. Une femme africaine monte avec sa fille, je la suis avec une dame qui s'interroge sur son trajet. Je ne sais comment la conversation s'installe entre nous et j'en arrive à faire une grenouille en origami avec un ticket de bus pour la gamine, la dame veut apprendre, on chante des chansons que répètent la petite fille et sa mère (genre une souris verte, la famille tortue... et celle là, vous la connaissez?..) : il n'y avait que nous dans le bus mais quelle ambiance!

Je descends du bus rassérénée et rentre chez moi où m'attend une déclaration d'amour de la part d'huissiers qui veulent absolument me rendre visite...

Non, je ne vais pas me laisser casser le moral! Cela fait partie de ma vie et je ne suis pas la seule qu'ils aiment férocement...

Une journée façon douche écossaise qui me laisse pensive et que j'ai envie de partager.

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