C'est ma toute première intervention sur un blog donc je demande l'indulgence du tribunal....Du moins en ce qui concerne la forme. Quant au fond, je veux bien argumenter....
En fait, au départ, je voulais ajouter un commentaire aux commentaires consécutifs à l'article de Pierre Joxe - qui, de mon point de vue, a bien fait son travail de lanceur d'alerte sur un sujet que je vois rarement traité ici et là : le (non) droit des mineurs en France. Mais comme ce commentaire s'est avéré à rallonge, pour ne pas squatter le débat je me suis décidée à écrire cet article..
Ce qui me pousse à intervenir dans cette discussion c'est que l'un des aspects qui me paraît le plus fondamental en est absent : l'enfant en tant que victime des adultes. On parle beaucoup des actes de violence commis par des enfants et des adolescents - et le sujet remonte à la surface avec le résultat de l'enquête de l'UNICEF qui déclare 10% d'enfants en souffrance à l'école élémentaire, celle-ci étant due principalement au harcèlement d'autres enfants. J'imagine très bien dans le contexte répressif actuel comment une telle information va être utilisée.
Je sais bien que l'on ne peut pas généraliser sur son cas personnel, mais en même temps je sais aussi qu'un cas personnel peut être révélateur d'autres cas personnels et en fin de compte concerner beaucoup de personnes! J'ai 61 ans et quand j'allais à l'école (de mon temps...) j'ai été victime de harcèlement et d'exclusion de la part des autres élèves d'une classe de CE2, puis de lycée (6ème-5ème et terminale). J'ai beaucoup réfléchi à ce qui s'était passé à l'époque et j'en ai conclu que mon origine sociale plus que modeste - dans tous les cas - et les moqueries répétées de l'enseignante en CE2, n'y étaient pas étrangères. Je me demande, si je m'étais révoltée et avait rendu coup pour coup, qui aurait été considéré comme délinquantes entre les gamines "à chaussettes blanches" comme on les appelait et moi et les quelques copines terrorisées de la rue des Rosiers qui étaient, elles, confrontées à un antisémitisme déclaré! J'aurais tellement voulu participer aux rondes de ces gamines qui pratiquaient un entre-soi farouche mais je ne leur en veux pas : c'étaient des gamines qui reproduisaient des comportements initiés et normalisés par des adultes! De la même façon que les gamines africaines que je connais qui se font "traiter" par leurs camarades sont victimes d'un racisme adulte à double bang parce que quand elles se défendent c'est contre elles que les adultes portent plainte et leur parole n'est pas entendue...
A l'époque de ma jeunesse le rejet se portait sur les ruraux "montés" à Paris et "paysan" était une insulte infamante (est-ce que cela ne l'est pas encore? Comme bouseux ou cul terreux!) J'étais une fille de paysanne et j'en avais certainement les manières mais c'est étrange comme les gens ont la mémoire courte quand ils parlent des français de souche, ils oublient qu'ils leur ont bien craché à la figure après leur avoir coupé les branches et le tronc ce qui les a obligés à venir chercher de quoi survivre en ville - et non pas fortune ou culture -, juste de quoi survivre et envoyer à la famille (ça ne vous évoque rien?). On semble découvrir des formes de délinquance comme si elles étaient récentes, des sortes de générations spontanées en quelque sorte, et plus importantes que dans le passé. A l'époque de ma jeunesse déjà, le discours des adultes tournait autour des valeurs qui se perdaient, de la montée de la délinquance (les blousons noirs, bien de chez nous, eux. Avant il y a eu les "Apaches" des fortifications qui eux n'hésitaient pas à s'attaquer aux bourgeois qui le leur ont fait payer très cher et il me semble qu'il faudrait remonter aux bonobos pour trouver l'origine de ces lamentations qui veulent que " nous, nous étions des jeunes bien élevés, pas comme la racaille de maintenant etc. etc". car je me suis laissée dire que déjà, du temps des Grecs...).
Bon, j'ai un peu dévié du sujet - tout en y restant malgré tout d'une certaine façon. Mais revenons y.
On parle beaucoup de la violence commise par les enfants et par les adolescents (qui sont toujours des enfants même si physiquement ils ressemblent à des adultes) mais bien plus rarement de celle commise à leur encontre. On fait état de 5% de jeunes qui seraient responsables de 80% des délits commis par les jeunes. Il y a certainement des données chiffrées qui disent le nombre et la gravité de ces délits et je trouve que ces chiffres seraient intéressants à comparer à ceux-ci trouvés sur Wikipédia :
· En France, chaque année, 95 000 enfants sont signalés comme enfants en danger de maltraitance, dont 19 000 sont réellement maltraités (chiffres ODAS 2005) et ces chiffres augmentent d'année en année d'environ mille enfants signalés comme étant en danger.· 2 enfants en meurent chaque jour· Un enfant sur dix endure des violences sexuelles.· Près de 80 % des adultes maltraitants ont eux-mêmes été maltraités (mais environ 93 % des enfants maltraités dans leur enfance deviennent de bons parents à l'âge adulte).En France, en 1995, la justice a été saisie de 35 000 cas de maltraitance sur enfant ; en 2002, ce chiffre est passé à 49 000. Dans 90 % des cas, elle provenait de la famille proche (le père dans 46 % des cas, la mère dans 26 % des cas).Ces chiffres datent un peu, je vous l'accorde d'avance, mais je n'ai pas pu passer ma nuit à en trouver de plus récents et cela m'étonnerait que ceux-ci soient plus optimistes. Et là on parle de violences graves, repérées et reconnues comme telles et non pas de la violence éducative ordinaire des "bons" parents et des non moins "bon" professionnels qui maltraitent les enfants "pour leur bien, tu comprendras plus tard, et tu me remercieras". Là, je sais que je touche un sujet très sensible auprès de ceux qui "ont reçu de bons coups de pied au derrière et qui n'en sont pas morts, la preuve : ils sont devenus de bonnes personnes, pas de la racaille etc. etc". Dans notre pays parler de la violence éducative est un terrain miné, donc tabou et les seuls cas de maltraitance envers les enfants par leur famille pointés du doigt sont ceux qui sont suffisamment spectaculaires pour qu'on les prétende exceptionnels. Par contre, qu'un jeune commette un délit et surtout si cela permet de faire passer une loi répressive, et alors le tam-tam médiatique fonctionne plein pot! Et rarement on s'interroge sur le parcours du jeune. Dire qu'il est issu de banlieue fait souvent office d'explication comme si en banlieue comme ailleurs il n'y avait pas des façons différentes de traiter les enfants dans les familles et au sein des institutions et comme s'il était entendu que les jeunes -puisque de banlieue - seraient forcément à risque!
Un autre texte me paraît valoir le coup d'être mis en perspective, c'est celui émanant du Centre de Recherche Innocenti qui traite de la maltraitance des enfants en Europe. J'en cite quelques passages qui disent mieux que je ne saurais le faire ce que je tente si maladroitement d'exprimer :
La mort de milliers d’enfants chaque année suite à des épisodes de violence dans leur foyer, à l’école ou dans la communauté est la preuve que le monde a échoué dans sa tentative de les protéger.
...
La violence dans la sociétéLa recherche établit aussi une relation étroite entre les niveaux de mortalité infantile suite aux mauvais traitements et les niveaux de violence dans la société dans son ensemble. Les auteurs soutiennent que toute tentative sérieuse de lutter contre la maltraitance à enfants doit passer par la promotion d’une culture de non-violence envers les enfants. Les pays ayant les taux les plus bas de mortalité infantile suite à maltraitance ont aussi des taux très faibles de mortalité adulte suite à des agressions. De la même façon, les trois pays présentant des niveaux exceptionnellement élevés de mortalité infantile suite à maltraitance ont aussi des taux exceptionnellement élevés de mortalité adulte suite à des agressions. (c'est moi qui souligne)
http://www.unicef-irc.org/files/documents/d-3126-La-maltraitance---enfants.pdf
Cela signifie, si je ne m'abuse, que la violence dans une société est proportionnelle à la violence éducative à l'encontre des enfants car le taux de mortalité infantile est un bon indicateur de celle-ci. Ainsi, si une société souhaitait honnêtement faire baisser la délinquance elle se préoccuperait avant tout de la bientraitance des enfants, y compris en situation de délinquance à l'adolescence car l'adolescence est une époque charnière de l'évolution des enfants où le champ des possibles est encore ouvert - et elle ne s'arrête pas miraculeusement à la majorité légale qui est un âge choisi arbitrairement et qui a une histoire et une raison trop longues à développer ici.
Je vais encore reparler de moi qui suis l'adolescente que j'ai le mieux connue et étudiée... mais qui ressemblait à bien d'autres ados que j'ai rencontrées et soutenues par la suite. Je suis vieille (et fière de l'être!) mais je me souviens parfaitement de la souffrance de mon adolescence et je sais fort bien qu'au moins jusqu'à 20 ans - même si je me prenais pour une adulte (mais à tout âge les enfants pensent que "ça y est, il y sont arrivés" : le bébé qui marche s'y croit, celui qui parle en a la conviction : à quel âge chacun d'entre vous a-t-il pensé qu'il n'était pas une personne à part entière?) - j'étais encore une enfant. Je me sentais perdue, effrayée par le monde déconcertant des adultes, fragile et vulnérable alors que j'étais perçue comme insolente, opposante et asociale par mon entourage. Je cherchais l'affection et je me rétractais comme un escargot dans sa coquille dès que quelqu'un m'abordait. Je ne comprenais rien à ce que l'on attendait de moi : quel comportement adopter, quelle parole dire et je me sentais ridicule et décalée en permanence. Je ne savais pas comment faire pour être autrement que ce que j'étais de façon à satisfaire les autres et à m'attirer leur regard positif à mon égard. J'avais le sentiment qu'il y avait une règle du jeu que tout le monde connaissait sauf moi. Et au final je rêvais de mourir jeune pour ne pas avoir à affronter ce monde qui me terrorisait. Je sais maintenant que nous sommes des milliards à être (et à encore) passer par là (heureux sont ceux qui y ont échappé!). Chacun a dû affronter cette angoisse existentielle avec les moyens qu'on lui a donné (ou pas!) et les éléments de chance et de malchance qu'il a rencontré. Parfois il suffit d'une rencontre bienveillante pour basculer du "bon" côté, parfois d'un croche-pied du destin pour s'effondrer. Quand je prends connaissance du parcours de certains qui ont failli, je me demande si j'aurais pu faire mieux à leur place.
Notre bonne société française pour ce que j'en vois tous les jours ne connaît qu'un remède miracle : la punition. Et ceux-là même qui invoquent la répression le font au nom de valeurs morales telles que l'altérité et la compassion. Par la punition on n"apprend que sa propre souffrance, son humiliation et la haine de cette souffrance et de cette humiliation infligées et de celui qui l'inflige, ou - lorsqu'on a réussi à nous briser - la servilité. On n'apprend la compassion qu'en ayant été soi-même bénéficiaire de la compassion sincère et non manipulatrice d'autrui, on n'apprend l'altérité qu'en ayant été traité soi-même comme un autre digne de respect, de tact et de délicatesse. La punition n'apprend que la violence du rapport de force : elle ne donne aucun exemple concret de ce que l'on prétend enseigner et en cela elle est la pire des escroqueries. Elle est une contre éducation à la démocratie et c'est bien pour cela que l'on a tant de mal à concrétiser celle-ci.
Je ne suis pas sure que ce que j'écris soit valable pour les adultes (mais je ne sais toujours pas à quel âge on le devient) car il me semble à observer les adultes autour de moi que pas mal de choses se calcifient chez nombre d'entre eux (heureusement pas chez tous). Mais qu'est-ce qui est vraiment irrémédiable à part la mort?
Merci de votre attention.