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Billet de blog 15 février 2022

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La mort de Mireille Delmas-Marty nous oblige

Quand une personne et au-delà une si belle conscience que celle de Mireille Delmas-Marty nous quitte, se mêle à une immense tristesse, le sentiment d’être orphelin mais aussi, ce qui l’estompe un peu, le devoir intransigeant d’être fidèle à son héritage. Par les avocats William Bourdon et Jean-Pierre Mignard.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Elle nous a tant éclairés et inspirés, depuis les balbutiements de nos premiers engagements.

Tout ce qu’elle a dit, tout ce qu’elle a écrit depuis qu’elle a embrassé la passion du droit, doit rester pour nous tous le plus puissant des antidotes à ce qui nous menace : le retour des fantômes.

Mireille avait tout anticipé, tout dénoncé, elle avait été l’une des premières a formé des vœux pour que se crée un parquet européen, si indispensable pour incarner la recherche de la vérité et l’identification de ceux qui offensent nos valeurs communes et attentent à l’intérêt général.

Elle a été une des premières à percevoir, reprenant joliment en la détournant un bel aphorisme de Martin LUTHER KING qu’« une violation des droits dans un lieu est ressenti partout » et dans la tradition du Doyen Jean Carbonnier a interroger la société , les traditions les langues, le droit européen et le droit chinois,   le sociologie la poésie et les mathématiques pour concevoir des systèmes droit appropriés a notre époque.

Elle avait très bien vu les deux faces de la mondialisation, sa face sombre, sinon maudite, celle résultant des menaces systémiques, des crimes, des peurs, et sa face d’espérance et d’universalisation des valeurs et des fraternités. Elle seule a su porter à son zénith l’utopie et la connaissance quasi parfaite du droit positif.

Elle avait été audacieuse quand depuis années, elle tirait la sonnette d’alarme sur le fait que notre droit pénal dérivait vers un droit pénal de sécurité qui nous emmenait pas à pas vers la société des suspects.

C’est elle qui avait inventé, cela lui ressemblait tant, ce qui malheureusement n’est plus un oxymore, l’expression de « despotisme doux ».

Elle avait surtout combiné, comme peu de grandes consciences juridiques l’ont fait, l’exigence de rigueur intellectuelle, avec celle de l’humanisme, enrobées par une très grande gentillesse.

Enfin, Mireille, ne s’est jamais découragée jusqu’à son dernier souffle d’inventer un « langage-monde » et au-delà un droit commun de l’humanité.

Continuons de puiser dans la boite à outils qu’elle a ouverte à des générations d’étudiants, de juristes, professeurs, magistrats et avocats d’activistes.

A nous d’y puiser des instruments, ceux conçus par les forces imaginantes du droit qui ont tant irrigué sa pensée. Ce sont elles qui lui ont permis de dessiner les nouvelles figures de la responsabilité indispensable pour rendre responsables, de gré ou de force ceux qui obstinément n’ont de cesse de contourner tout questionnement éthique.

Une obsession si paradoxale qui meurtrit le monde et qui meurtrit aussi les citoyens du monde alors que plus que jamais, elle le savait tant, ce sont ceux qui sont mandatés pour protéger les grands intérêts publics, qui trop souvent, s’en détournent.

Elle avait parfaitement anticipé la société de surveillance qui allait se mettre en place, là encore, au nom de la sécurité, au risque d’institutionnaliser de graves atteintes à nos vies privées, sinon à la liberté d’expression, à un moment où ces deux droits n’ont jamais été autant chéris et célébrés.

Tout cela n’a été possible que parce que Mireille était généreuse, dans la transmission et le partage, qualité rare chez les grands universitaires et les grands penseurs.

Sa pensée tournée vers l’universel, était une pensée inquiète car elle mesurait parfaitement la forme d’obscurantisme que l’universalisme peut fabriquer et en même temps, les excès terribles du relativisme quand il tue l’universel.

Elle avait rappelé avec force, face au mur de la bêtise et de tous les renoncements, notre devoir d’hospitalité à l’égard de tous les damnés de la terre et au-delà, elle a été pionnière quand elle nous a alarmé sur ce qui défigure aujourd’hui notre monde : sa déshumanisation.

Cette pensée multiple, plurielle, était irriguée et l’est restée jusqu’à son dernier souffle, par son amour de la poésie. Souvenons-nous, elle avait emprunté les chemins des langues orientales, son amour pour le droit était venu tardivement. Bref, elle était un « esprit-monde » à l’écoute de tous ses périls, ses irrationalités aussi, sans fonder jamais, une quelconque pensée d’autorité.

Et puis en ces temps si sombres, qui inquiétaient tant Mireille, quelle intuition géniale d’avoir rappelé que la peur est mauvaise conseillère « surtout quant elle déshumanise en obéissant aux pulsions de notre vieux cerveau reptilien » tout en soulignant que la peur-solidarité peut être aussi une capacité jubilatoire pour réarticuler les éléments anciens et faire du neuf.

Bref, on a envie de rêver encore que ses intuitions puissent traverser les cerveaux de tout ceux qui, dans une surenchère et une paresse démagogique, participent à la déshumanisation de notre société et du monde.

Elle disait sa crainte que l’humanité finisse dans un tourbillon de vents contraires et soit impuissante à influencer son propre avenir, déboussolée au sens propre.

Elle est partie dans la douceur comme son sourire et sa voix. Nous sommes maintenant en première ligne et si peu nombreux pour faire en sorte que le monde ne se défasse pas, lourde tâche qui commence aussi par entendre Edouard GLISSANT, que Mireille aimait tant et qui disait « agit dans ton lieu, pense avec le monde ».

                     William BOURDON                                       Jean-Pierre MIGNARD

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