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Billet de blog 21 avril 2017

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Jarman, Tillmans: Partisans

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

J’étais très content de revoir The Garden de Derek Jarman hier soir. Je cherchais un documentaire où on le voit filmé par quelqu’un d’autre que j’avais vu il y a trois ou quatre ans et qui est vraiment très beau. Dans mon souvenir, le documentaire est très méditatif et on l’y voit surtout seul. J’étais content de voir le jardin aussi bien peuplé dans le film de sa fabrique, lui-même y figurant peu mais de temps en temps, en prétexte et observateur, ancrage. J’admirais l’audace d’y faire figurer autant de jeunes garçons. Cela semble difficile à imaginer aujourd’hui et j’imagine que cela ne l’était pas moins à l’époque. C’est clairement quelque chose comme l’enfance de l’art qu’on y voit. S’il y a une sensualité indubitable de beaucoup des images des jeunes garçons, le montage suggère qu’elle est la leur, ou alors le souvenir des hommes qu’on voit par ailleurs. Il y a une exception, il me semble, où Jarman laisse planer un doute lorsqu’on voit un homme marqué hétérosexuel chasser la caméra, suggérant qu’il a quelque chose à cacher. C’est rare de voir une lumière aussi juste et pudique, à fleur de peau, jetée sur les rapports entre l’homosexualité et l’enfance.

Le visage et la justesse du jeu de Tilda Swinton me font toujours très plaisir à voir. On voit dans ce film très clairement, comme crue, l’extrême intimité entre elle et le réalisateur. Ce matin je revois surtout son visage, tour à tour candide et suspicieuse dans la pénombre dans la cuisine à la de la Tour et puis le moment où elle fuit les caméras devant lesquelles elle avait posé en Madone avec le bébé loin d’être content sur ses genoux. Puis rampant sauvage en sépia dans la brousse, ou à la recherche, on dirait, de l’or. 

Je retrouvais en regardant le film également un paysage de rapports entre les genres qui, comme en écrivant après avoir écouté l’entretien avec Wolfgang T., m’a semblé si ce n’est pas exactement familier du moins très hospitalier. Les plans sur le couple au lit, bien entendu—je le note en passant et avec une peine qui est surtout signe d’envies renaissantes—mais aussi toutes ces femmes autour de la table à faire résonner leurs verres, les hommes réclamant en tapant des cannes sur la table. On y retrouve dans ces quelques scènes quelque chose de cette ségrégation dans le projet du scénario de Pasolini, mais grâce à la présence des enfants, le moment de la reproduction se trouve comme disséminé dans les gestes, les regards, la mer, le feu, cette terre aride qu’il cultivait dans le Kent, avec cette centrale nucléaire toujours à l’horizon. Comme un rappel de ce dont Jarman, comme nous, pourrait tenir grief si davantage on venait à chercher noise des matières que son film traite avec beaucoup de délicatesse. « You crossed the line » comme le chante Wolfgang en mantra dans une de ses vidéos récentes. A chaque époque, à chaque formation de singularités leurs façons d’être partisan.

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