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Billet de blog 3 février 2025

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Le libéralisme et la guerre

Je viens de lire le discours que le président argentin avait prononcé à Davos le 23 janvier. Il m’a été envoyé par un ami qui penche un peu plus à droite que je ne fais moi-même. J’ai lu ce discours d’un bout à l’autre, et je dois dire que je l’ai trouvé très clair.

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Je viens de lire le discours que le président argentin avait prononcé à Davos le 23 janvier. Il m’a été envoyé par un ami qui penche un peu plus à droite que je ne fais moi-même. J’ai lu ce discours d’un bout à l’autre, et je dois dire que je l’ai trouvé très clair. M. Milei veut rendre à l’Occident sa compétitivité en écartant les normes de production que les pays émergents ne s’imposent pas. Il veut supprimer une bureaucratie qui, non contente d’étrangler les entreprises en leur imposant des règles iniques, ponctionne leurs bénéfices pour les reverser à une armée de fonctionnaires qui étouffent le budget de l’État. Il dit que l’Occident se saborde, et qu’il lui faut revenir au libéralisme le plus élémentaire pour se préparer à affronter les nouvelles puissances économiques que sont devenus la Chine, l’Inde, ou le Brésil. M. Milei dit enfin d’autres choses sur ce qu’il appelle le wokisme, dont je ne parlerai pas, parce que je n’ai pas envie d’en faire mon sujet aujourd’hui.

Je n’ai aucun problème à lire le discours de M. Milei. Il est simple. M. Milei me décrit le monde tel qu’il est. Il me dit que le monde est un gâteau, que le nombre de parts disponibles sur ce gâteau est limité, que si l’Occident ne s’en sert pas rapidement, ces parts iront à d’autres. Les hommes agissent, en somme, d’après M. Milei, en suivant une règle relativement facile à comprendre, et qu’on pourrait énoncer en ces termes : c’est lui ou moi.

Je connais bien ce rapport entre les hommes qui sous-tend le discours de M. Milei : mes sens me le montrent tous les jours. Mais ce n’est pas parce que mes sens me le montrent tous les jours, que je trouve souhaitable de lui appliquer les premières solutions que mes sens me proposent. La raison en est bien simple : nous avons déjà essayé ces solutions, et l’histoire indiquent qu’elles ne fonctionnent pas.

Le libéralisme de M. Milei consiste en effet à diviser le monde en deux parties, l’Occident, et le reste, et à établir un rapport d’échange favorable à l’Occident, et défavorable au reste. Cette méthode, qui est un retour aux sources pur et simple des rapports qui régirent le monde du milieu du XIXe siècle au milieu du siècle suivant, et qui prétend apporter des solutions aux problèmes d’aujourd’hui, crée en réalité les problèmes de demain.

A l’intérieur, elle fait monter ceux qui habitent les pays du sud vers les pays du nord, où ils espèrent trouver plus de richesses. Elle établit des communautés de migrants dans ces pays du nord, qui se plaignent ensuite de ne plus avoir une population unie, et peinent à trouver une identité commune.

A l’extérieur, elle part du principe que l’autre se précipitera sur les ressources que je ne me serai pas empressé de prendre, et fait ainsi de cet autre un adversaire, voire un ennemi. Cette conception des rapports entre pays ne peut déboucher que sur deux alternatives simples à comprendre, puisque l’autre, que je considère comme un ennemi, me traitera bientôt comme tel. Ou bien j’attends qu’il grossisse sans rien faire, et prends alors le risque qu’il m’envahisse, ou me laisse sans ressources. Ou bien je me prépare moi-même à cette confrontation future, et je le force alors, symétriquement, à faire les mêmes préparatifs. Il ne faut pas être grand druide en histoire pour constater que l’une et l’autre de ces alternatives mènent inévitablement à la guerre.

Je rappellerai à M. Milei que la guerre, telle qu’elle peut se concevoir avec les armements modernes, offre une perspective épouvantable dont personne, et, j’ose le croire, pas même M. Milei, ne veut. Je lui rappellerai également que, si on devait adopter une vision strictement cynique, la guerre de l’Occident contre les pays en développement, qui ne disposaient pas des mêmes moyens de riposte, ou qui plutôt, en réalité, ne disposaient d’aucun moyen de riposte, était une chose dont l’Occident pouvait autrefois se sortir sans trop de heurts. A présent que les pays émergents disposent d’un équipement militaire qui peut faire autant de mal à l’Occident que l’Occident peut leur faire de mal, cette perspective de la guerre est à envisager avec beaucoup plus de retenue et de sérieux.

Je rappellerai également à M. Milei que le libéralisme avec lequel il veut absolument renouer, sans normes ni contrôles, était une perspective viable tant que nous n’étions pas absolument assurés qu’il menait la planète à sa perte. L’extractivisme qu’il prône, que son grand modèle M. Trump prône, détruit les ressources dont disposeront les générations futures pour vivre, et, pourquoi cela ? pour que les habitants de l’Occident puissent conduire deux voitures, et puissent avoir chez eux deux réfrigérateurs. Je ne sais si cela est raisonnable. De même que je ne sais s’il est raisonnable que, parce que les Occidentaux veulent avoir deux voitures et deux réfrigérateurs, ils continuent à prôner un libéralisme qui assèche les cours d’eau, détruit des villages, retrace des frontières, fait des guerres pour le pétrole ; qu’en somme, ils établissent que dans la balance une vie occidentale vaut deux voitures et deux réfrigérateurs, et qu’une vie non occidentale pèse à peine la feuille de papier sur laquelle on en écrit le poids. Je mets devant les yeux de M. Milei que cette politique, qui a le maigre avantage de pouvoir offrir aujourd’hui aux Occidentaux deux voitures et deux réfrigérateurs, prépare à coup sûr les haines de demain, et que demain, contrairement à ce qu’il s’est passé hier, les pays émergents seront en état de nous répondre, s’ils ne le sont d’ailleurs déjà.

Les choses après lesquelles M. Milei en a, la bureaucratie, la norme, le contrôle, sont nées précisément pour répondre aux problèmes que les ancêtres de M. Milei, adeptes du libéralisme, posèrent sur la table. Ce sont des forces d’interposition, qui justement permettent de sortir de l’alternative terrible, et dangereuse, du « lui ou moi ». Elles consistent à examiner une situation dans laquelle deux pays se regardent en chiens de faïence, et à dire : « si celui-ci utilise la force, il prépare chez celui-là les haines de demain, s’il ne l’utilise pas, il risque de se faire envahir ; mais si nous utilisons la force, et le droit, au prix d’un arbitrage juste et raisonnable, nous tempérons les désirs peu raisonnables d’aujourd’hui, et créerons de petites frustrations qui ne sont pas bien graves, pour préparer la paix de demain, et la paix durable, ce qui n’a pas de prix ».

Il est vrai de dire que ces forces d’interposition n’ont pour le moment pas un bilan très favorable. Il est juste de dire qu’une bureaucratie hors sol étrangle l’économie des pays d’Occident et abuse certainement de son statut pour en tirer des avantages, et une position de mépris surplombante tous deux insupportables à ceux qui, parce qu’ils font fonctionner l’économie, leur permettent justement de vivre. Il est certain que le discours de beaucoup de gens de gauche est blâmable, parce qu’il est naïf, parce qu’il méprise les patrons, parce qu’il n’a pas conscience des contraintes qui pèsent sur eux, et surtout parce que son discours est pollué par une crainte du fascisme, qu’il réutilise n’importe où, n’importe quand, face à n’importe qui, et, qu’au lieu d’être ce qu’elle devrait être, c’est-à-dire une force de clarté, de sagesse et d’anticipation, qui tempère les petits désirs d’aujourd’hui pour préparer les grandes paix de demain, cette gauche est devenue une force qui confond tout, qui embrouille tout, qui n’a aucune vision claire de l’avenir, et ne permet plus de penser les choses avec raison.

Mais ce n’est pas parce que cette force exagère qu’elle est à rejeter en bloc. Et ce n’est pas en basculant dans l’extrême opposé qu’on corrigera les erreurs qu’elle a pu faire naître. Prenons-y garde : à l’origine de ces discours de gauche que M. Milei condamne, il y a un principe dont personne n’a pu prouver qu’il était faux, qui consiste à ne pas agresser autrui au motif seul qu’il pourrait peut-être nous agresser ; qui consiste à penser qu’il peut y avoir sur terre assez de ressources pour tout le monde, que, en cas de conflit imminent, il vaut mieux utiliser le droit et l’arbitrage, ou associer, si on ne peut rien faire de mieux, la force au droit, plutôt que de laisser libre cours à la force. A l’origine des discours de M. Milei, au contraire, comme à l’origine de tous les discours fondés sur un libéralisme et un extractivisme sauvages, il y a un principe dont chacun sait, de source sûre, non seulement parce qu’il l’a déjà éprouvé dans sa vie, mais parce que l’histoire ne cesse de le lui répéter, qu’il est faux, qu’il conduit au conflit, et à la guerre de tous contre chacun : le « lui ou moi ». Quelque tentant qu’il soit de suivre aujourd’hui une politique fondée sur les principes de M. Milei, on peut être sûr que cette politique préparera les problèmes qui se poseront demain. Je préfère, pour ma part, essayer un principe différent, pour une raison unique et simple, mais qui à elle seule devrait suffire, que ce principe ne porte pas en lui les germes des maux de demain, et qu’il laisse un espoir qu’après-demain sera meilleur qu’aujourd’hui.

Alors, oui, ce principe me demande de freiner un peu ce que mes sens me disent. Il me demande de faire un effort de pensée, de faire confiance à l’autre, pour ne pas entrer dans une logique où, parce que je le considère comme un ennemi, je le prépare inévitablement à me considérer comme le sien. Il me demande de corriger les abus du discours d’une certaine gauche, en répondant pied à pied à ses arguments avec clarté, de remédier aux exagérations que ses politiques font parfois peser sur l’économie. Tout cela me demande un effort. Mais je préfère tenter cet effort et croire en un monde meilleur, plutôt que de me précipiter vers une escalade dont je sais à coup sûr que ni l’humanité, à cause des armements dont elle dispose, ni la terre, à cause de la pression que le libéralisme exerce sur elle, ne pourront s’en sortir. Ceux qui disent que l’histoire se répète, qui ont presque toujours tort de le dire, peuvent être sûr que, cette fois, ils ont raison : la spoliation et la prédation non régulées d’aujourd’hui font le terreau des pires agressions de demain.

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