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Billet de blog 9 juin 2025

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Sur la rancune

Notons, parmi les désavantages de vieillir, celui de devenir plus rancuniers. Notre jugement se fortifie avec l’âge, et trouve des causes et des effets plus sûrs. Avec eux, des responsabilités plus certaines, de nouvelles raisons d’en vouloir à ceux auxquels on en veut.

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A Monsieur Geoffroy Lyonnet, en reconnaissance de la douceur inspirante que je l’ai toujours vu tenir dans ses discours.

Notons, parmi les désavantages de vieillir, celui de devenir plus rancuniers. Notre jugement se fortifie avec l’âge, et trouve des causes et des effets plus sûrs. Avec eux, des responsabilités plus certaines, de nouvelles raisons d’en vouloir à ceux auxquels on en veut. Une chose que je ne me lasse pas d’admirer est la facilité avec laquelle les enfants changent d’humeur, et peuvent oublier l’offense reçue. Cris, colère, coups, pleurs, lancer de jouets, menace de guerre civile dans la maison le matin ; joie embrassades, câlins, douceurs, jeux, rires, l’après-midi. « Mais, ne l’aviez-vous pas averti que vous lui arracheriez les yeux pour les lui manger, les mâchouiller lentement, en lui communiquant dans le détail le goût qu’ils ont, là, à l’instant, tantôt, juste avant le déjeuner ? » Nul souvenir : on s’aime à présent comme s’aiment deux chatons de même couvée, on s’aide patiemment à trier les pièces d’un même puzzle qu’on passera la soirée à finir. Nous avons gagné quelque chose dans la route faite depuis cet âge, mais y avons peut-être aussi perdu quelque peu : nos colères sont plus calmes, mais elles durent plus longtemps.

Un homme que j’estime m’a dit un jour que l’un des problèmes les plus sérieux qui se posait à nous était celui du pardon. Je le veux bien. Il n’est pas agréable d’en vouloir toujours à tout le monde. Cela vous ronge. J’aimerais, pour ma part, être moins rancunier. Il serait beau que les idées ne nous viennent pas seulement pour prouver à cet adversaire qu’on imagine – qui, d’ailleurs, ne pense plus à nous – de nouveau qu’on a raison, qu’on est dans son bon droit, et tel et tel autre argument, et tel autre encore, et peut-être encore un petit peu plus de celui-ci, ou un bout de celui-là, pour justifier que notre position n’était pas coupable. On fait les questions et les réponses tout seul ; c’est joie, c’est triomphe, c’est haine, pendant que lui se rase tranquillement dans son bain.

Confessons qu’alors les idées nous viennent comme les fruits tombent de l’arbre, une à une et sans effort. Il y a du plaisir à établir un chemin logique, plein d’une longue haine exquise, dans lequel nous avons raison. Il semble qu’on devienne intelligent pour haïr davantage, et que notre raison ne s’augmente que pour en trouver de nouvelles d’être aigris. Chose étrange : elle viennent beaucoup moins vite dans l’autre sens, quand on remonte le chemin, qu’on tâche de faire un effort pour oublier la rancune, et pardonner. C’est qu’on veut être cohérent. La cohérence, si chère pour établir qui nous sommes, ou qui nous avons été, blesse quelques fois. Je sais des vieillards engagés sur la voie de la mort, et pourtant remplis de colères ; de nouvelles leur poussent chaque jour, comme les épines d’un arbre, et leurs visages ridés, caverneux, pleins d’un ressentiment qui ronge leurs cœurs plus vite que la maladie, se transforment littéralement, avant leurs fins, en buissons de ronces. Je ne veux pas finir comme eux. Et je voudrais bien qu’on me dise s’il n’y a rien de plus triste au monde que de mourir en colère.

La justice est chemin intellectuel, le pardon est position morale. Là, de nouvelles raisons nous poussent à vouloir haïr et décider d’une sanction qui réparera le tort ; dans l’optique du pardon, au contraire, tout ce qu’on trouve pour établir plus sûrement le tort nous amène à prendre conscience de la faute, à nous mettre à la place de celui qui l’a commise, à le plaindre, et à le plaindre, peut-être, plus certainement encore que nous comprenons les raisons pour lesquelles il a agi, quand lui ne les voit pas, et à pardonner. Et, dans les meilleurs, les plus beaux des cas, on comprend pour faire justice, mais on pardonne en dépit du fait qu’on n’a pas réussi à comprendre. Position difficile, mais belle, qui établit que tous les hommes sont frères, et que chacun partage la charge de l’autre. Quand je le peux j’alterne entre celle-ci et la position stoïcienne, mais penche plutôt vers la position stoïcienne, d’ailleurs, plutôt aux quatre cinquièmes, par facilité. Elle nous commande d’oublier l’offense reçue par souci de tranquillité de l’âme. J’y souscris, mais y joins, pour mettre un peu plus de haine dans l’affaire, la supériorité morale d’avoir compris les torts de l’autre, qui me fait un piédestal sur lequel j’affirme avec orgueil que j’ai raison. Ainsi je pardonne, mais je pardonne fièrement, je pardonne pour mépriser, et pour qu’on sache, bien haut et surtout bien fort, que j’ai pardonné.

Comment, c’est un vilain pardon ? Mais la vie est grave, il faut se prendre au sérieux, et faire preuve d’un peu d’esprit de suite. Voudriez-vous que nous fussions comme ces enfants qui, s’étant tailladés le matin, s’embrassent l’après-midi ? Plaignons-nous, plutôt, que nous ayons besoin de la raison pour grandir, et que la raison établisse plus sûrement notre rancune envers ceux à qui nous la devons. Aux enfants l’inconstance ; à nous la constance, mais dans la colère. A tout prendre, et à convenir que l’exemple du Christ est au-dessus de ce que nous pouvons, je préfère leur ressembler plutôt qu’à nous, et, sinon être comme eux, du moins être parmi eux pour me nourrir de leur exemple, et effacer, par le sourire que je trouve sur leurs visages, ces quelques larmes que je vois dans mon cœur. Voilà qui me permet de penser à autre chose. Remède qui ne résout rien, mais qui apaise. Et puis, résoudre : cela impliquerait que nos raisonnements soient sûrs, qu’ils comptent, que nous n’ayons jamais tort. Il y a un peu de vanité à tirer une droite ligne entre nous et ce que nous nous proposons de comprendre. Et aussi, peut-être, il y a de la bêtise à souffrir de ce que nous croyons avoir compris – par quoi leur sagesse serait plus grande que la nôtre.

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