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Billet de blog 12 avril 2022

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Cher Monsieur Mélenchon

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Cher Monsieur Mélenchon,

Vous avez été battu au premier tour de la présidentielle et aviez déclaré vouloir vous retirer de la vie politique en cas de défaite pour en devenir un spectateur, vous consacrer à l’étude et à vos livres. Ainsi ne vous entendrai-je plus, ou du moins, pas avec le même enthousiasme, ni avec la même excitation que lorsque de vos paroles et votre capacité à convaincre dépendait l’arrivée de nouvelles idées au pouvoir. C’est là probablement ce qui m’a causé le plus de peine. Voyez-vous, j’ai commencé à vous écouter en 2012 ; chaque élection présidentielle était pour moi un moment pénible, où il fallait choisir entre plusieurs candidats dont aucun ne me paraissait satisfaisant, et, pire encore quand on a vingt-cinq ans, dont aucun ne faisait rêver. Alors vous apparaissiez en colère, et, comme l’a justement dit le réalisateur d’un documentaire sur vous que je découvrais entre les deux élections, vous n’aviez pas, malheureusement pour tous, le flegme nécessaire pour rassurer les électeurs en vous présentant à la porte du pouvoir suprême. Ce n’est pas une qualité ; c’est ce qui vous a pourtant coûté la victoire.

Je n’ai pas cessé de vous écouter depuis cette date, et n’ai jamais autant appris avec vous qu’avec aucun autre acteur ou même observateur de la vie politique. Vos premières leçons allaient à la Révolution de 1789, puis à l’avènement de la République en 1870 ; c’étaient ensuite des pages d’histoire entières sur le Front populaire, les Trente glorieuses, et la victoire de la gauche en 1981. Dans tous ces moments vous n’avez eu qu’une seule idée en tête : rendre un pouvoir qui doit s’exercer pour le peuple et par le peuple, au peuple ; et j’ai cru voir alors, comme je le crois toujours aujourd’hui, que dans le fond vous n’êtes pas tant un représentant de l’extrême-gauche communiste qu’un radical-socialiste de la première heure, tel qu’il en existait au moment de la Commune, et dans les vingt premières années de la Troisième République. Tout pour le peuple : aucune concession à ce qui s’en écarte. Aucune concession, surtout, à ce qui le flatte sans lui donner les véritables moyens d’exercer son pouvoir avec dignité ; c’est là peut-être ce qui vous écœure le plus chez vos adversaires de l’extrême-droite. Votre combat fut un pari : vous vous êtes dit, depuis le début jusqu’à la fin de votre engagement politique, que les Français avaient les moyens d’exercer leurs responsabilités en ayant toujours en vue les idéaux de fraternité, de liberté, de solidarité, de lumières et de progrès ; chez vous l’idée de peuple est la plus belle, parce qu’elle enferme toutes ces notions à la fois, et qu’elle en est indissociable. La France est grande quand on vous entend, non parce qu’elle rejette l’autre ou se replie sur elle-même, mais parce qu’elle incarne, jusque dans les plus petites particules qui la composent, cette idée qu’on ne peut avancer sans faire progresser la solidarité et le devoir de secours que chacun doit à son semblable.

Il faut aimer les hommes pour en arriver là. Il faut les aimer pour ne s’être jamais permis, en dix ans de campagne, aucun reproche aux électeurs du Front puis du Rassemblement national ; pour avoir cru, inlassablement, qu’un effort de pensée, une explication, un cours d’histoire, pouvait ramener les brebis galeuses à la maison, et leur montrer, non pas en quoi elles agissaient mal, mais en quoi elles se trompaient, et que leurs attentes seraient bien plus satisfaites en votant pour vous que pour une candidate qui ne s’est toujours contentée que de jouer avec leurs peurs. Cette idée vous honore, elle redore le blason de la France ; elle nous dit qu’aucune avancée n’est possible sans faire ce geste qui consiste à tendre la main à l’autre, plutôt qu’à le mépriser. Elle nous rappelle que la politique est un effort intellectuel perpétuellement renouvelé, qui consiste à recueillir les idées les plus belles et les plus exigeantes que la France ait porté dans son histoire, et à chercher tous les moyens pour y tendre, puis les faire appliquer. Ainsi rêvons-nous. Ainsi avons-nous une idée de l’homme plus grande que celle que se font vos adversaires, parce qu’elle subordonne tout exercice du pouvoir à la protection du plus faible ; équation intellectuelle qui est probablement la plus difficile à résoudre entre toutes.

Vous n’avez jamais baissé les bras ; et avez toujours cherché, quels qu’en furent les moyens, à résoudre cette équation. Vos positions ont changé ; votre ton, votre air, votre discours avec elles ; en dix ans, vous vous êtes toujours demandé comment convaincre plus d’électeurs, sans jamais faire aucune concession à cette dignité dont vous avez estimé, dès le premier jour, qu’elle leur revenait de droit. L’écologie, la guerre faite aux patrons, l’Europe, sont les points sur lesquels vous avez sans doute le plus évolué, en gardant toujours devant vous cette ligne tendue, jamais franchissable, qui consiste à ne jamais flatter le peuple, mais à toujours lui montrer le chemin par lequel il pourra exercer son pouvoir avec plus de dignité. Cette inquiétude perpétuelle, cette force de travail, cette capacité à rebattre les cartes à chaque moment important de la vie politique, cet effort sans cesse renouvelé pour proposer chaque fois une nouvelle équation conjuguant la grandeur de la France et la lutte contre la misère est l’œuvre de votre vie ; c’est un modèle, c’est un exemple qui vous honore, et pour lequel chaque Français, même s’il n’est pas de votre bord, vous doit une reconnaissance infinie, bien plus grande que celle que cette lettre pourra jamais exprimer.

Vous avez posé de nouvelles exigences, de nouveaux critères pour penser notre rapport au pouvoir et aux autres. « Toujours vers eux », avez-vous dit sans cesse, jamais contre ; et cette pensée si digne, si belle, s’éteindra peut-être avec vous. Car il faut votre capacité de travail, votre exigence, votre rectitude, dans tout le beau sens que ce mot peut avoir, pour recommencer sans cesse le travail de convaincre les autres sans jamais désespérer. Plus encore que vos idées, ou plutôt, au même titre qu’elles, parce qu’ils viennent de la même source, votre amour du prochain, votre bonhommie, votre conscience de la lutte vous honorent et vous mettent hors de pair ; c’est cette conscience qui fait que vous tutoyez un syndicaliste des postes en plein plateau télé, alors que vous êtes à deux marches du pouvoir suprême, pour revenir vers lui, coude-à-coude, en atténuant toute différence, pour lui montrer, en brillant professeur, en quoi il se trompe, et en quoi il s’est trompé quand il a si mal interprété votre fameuse parole, si belle elle aussi, mais qui hélas vous a peut-être coûté la victoire, « La République, c’est moi ». Phrase normale, phrase on ne peut plus juste quand on connaît le statut des tribuns de Rome, et ceux des députés de la Convention après eux ; phrase encore normale aujourd’hui, si on accepte avec tous ceux qui vous ont précédé, Rousseau le premier, que le pouvoir, qui ne doit jamais quitter les mains du peuple, s’incarne le mieux dans ses représentants. Chez d’autres, ce tutoiement aurait été une trouvaille de communicant ; chez vous, c’est le résultat de l’idée que vous vous faites de l’homme et de l’exercice du pouvoir, au nom de laquelle l’élu est au service de ses administrés ; qu’il veut comme eux réduire la misère, faire avancer les idées de progrès, et faire ainsi du pouvoir, non une fin, mais un moyen. C’est l’idée, en somme, qui veut que tous les hommes sont frères et luttent ensemble, peu importe la distinction de rangs, que vous avez si magistralement illustrée ce jour-là. C’est votre leçon ; elle n’est pas seulement intellectuelle ou morale, elle est aussi humaine ; et nous devrons désormais apprendre à la partager, à la faire progresser et à l’appliquer sans vous. Un autre, ou une autre, viendra sans doute se mettre dans vos pas. Mais pour le moment je n’en vois aucun, et je sais que nous avons perdu un maître. Ce fut là peut-être votre seul défaut, d’assumer le rôle de chef et de leader, dans un parti dont les idées ont si désespérément besoin d’être échangées, partagées et relayées par d’autres, avec la même force, pour essaimer et survivre.

Je me plains, je suis triste et inquiet pour l’avenir. Et pourtant, le premier à pouvoir se plaindre, à montrer un visage de tristesse, ce devrait être vous. Mais qu’avez-vous fait le soir du premier tour ? Ni plaintes, ni larmes, ni colère, mais ce même sourire confiant et sûr, et cette phrase : « à vous maintenant » ; qui est peut-être entre toutes celle qui vous honore le plus, et qui illustre le mieux ce que vous êtes, ainsi que ce que vous nous avez légué ; une confiance absolue dans la capacité des Français, de ces Français que vous aimez tant et qui vous sont si chers, à ouvrir un chemin lumineux vers l’avenir, croyant plus fort qu’en vous-même qu’ils sauront conjuguer la lutte et l’exercice du pouvoir avec la dignité. Soyez honoré, soyez fier, ne regardez jamais derrière vous et ne regrettez rien ; mais recevez, comme une modeste contribution à vos efforts, ce merci qui nous vient à tous du fond du cœur.

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