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Billet de blog 19 juin 2024

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Non M. Onfray, la gauche n'est pas antisémite

« Et c’est déjà fini ! Merci beaucoup, Michel Onfray, on n’a pas vu le temps passer », disait avant-hier la journaliste à la fin de l’émission qui porte son nom. Chose étrange, pour quelqu’un qui regarde tant sa montre, moi non plus je n’ai pas vu le temps passer. Je ne le vois pas non plus passer quand je regarde une séquence de Zootopie, ou que j’écoute un épisode radio de Tintin

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« Et c’est déjà fini ! Merci beaucoup, Michel Onfray, on n’a pas vu le temps passer », disait avant-hier la journaliste à la fin de l’émission qui porte son nom. Chose étrange, pour quelqu’un qui regarde tant sa montre, moi non plus je n’ai pas vu le temps passer. Je ne le vois pas non plus passer quand je regarde une séquence de Zootopie, ou que j’écoute un épisode radio de Tintin avec les enfants de mon amie, qui ont quatre et sept ans. Il est agréable de ne pas voir le temps passer. Il est agréable, également, d’avoir des réponses sur tout.

Ceux à qui il arrive quelques fois de réfléchir le disent : le temps va un peu plus vite quand on sait les choses. On déroule les questions, on aligne les réponses ; parfois les réponses ne correspondent pas tout à fait aux questions, mais, quand on a décidé qu’on était là pour apprendre, et qu’en face on sait tout, l’ordre importe peu : on grimpe vite la montagne du savoir, on prend les vérités un peu partout, d’où qu’elles viennent, et on en fait un bouquet, comme un randonneur cueillerait les différentes fleurs qu’il aperçoit sur le sentier.

Moi qui ne me rends pas à une élection sans trembler, et qui passe des nuits blanches avant de savoir quel bulletin il fera bon de mettre dans l’urne, j’admire ces gens qui savent tout. Je me demande, d’ailleurs, comment ils en sont arrivés à tout savoir. Je crois me souvenir de mes études de lettres qu’il faut, après avoir beaucoup lu, beaucoup écrit, opérer une grande réforme sur soi-même, une sorte de grand silence pendant lequel on ne dit rien, qui nous permet de rassembler ce que nous avons trouvé, pour le formuler enfin tel que nous le sentons, et tel surtout que nous le pensons propre à contenir une vérité. La pie de Montaigne, qu’il emprunte à Plutarque, en donne, je crois, une belle image.

Une pie chantait gaiement chez un barbier installé dans une rue à Rome. On admirait les notes, le ton, la voix. Un jour la pie se tait ; chacun étonné tend l’oreille : c’est une patrouille romaine qui passe, et s’accompagne du son de quelque trompette. Notre pie se tait et ne chante plus guère. Elle est toujours chez le barbier, mais sa voix s’est tue, semble-t-il à jamais. Quelques jours passent ; la pie se met à chanter de nouveau et ne s’arrête plus, mais sa voix a changé ; elle est devenue plus grave et plus martiale, comme pour imiter le son de la patrouille. Temps nécessaire, selon Montaigne, à ce que l’oiseau rassemble ses forces et sa pensée pour aller chercher en lui-même ces sons qu’il ne connaissait pas.

Je ne vois pas quand M. Onfray, qui parle sur tout à peu près toutes les semaines, prend le temps d’opérer cette petite transformation, si utile, en lui-même. Je suppose qu’après avoir écrit plus de cent livres on doit savoir bien des choses ; mais j’ignore que faire de cette belle vérité, puisqu’on m’apprend que Socrate, à la fin de sa vie, avouait en savoir moins qu’il n’en savait à son début.

Mais M. Onfray, qui sait beaucoup de choses, les sait parfaitement bien. Qui en doute ? Personne, puisqu’il passe à la TV. Il expliquait l’autre jour, par exemple, que la nouvelle gauche, qui s’appelle aujourd’hui Front populaire, était antisémite. M. Onfray n’a, semble-t-il, pas la mémoire de ce qu’est la gauche en France. Il paraît ignorer que c’est d’abord la gauche qui a été dreyfusarde. Il oublie que c’est la gauche qui a donné le premier président du conseil juif en la personne de Léon Blum. Il semble omettre qu’une certaine frange de la gauche – et non pas toute la gauche – qui s’appelle le parti communiste, n’est effectivement pas entrée en guerre contre l’Allemagne nazie, non par antisémitisme – comme l’affirme honteusement M. Onfray – mais par refus de faire la guerre, qui selon les communistes est une machination des grands dans le but de ruiner la puissance des petits. Il oublie que, pendant que les communistes tâchaient difficilement de tenir cette position, une autre partie de la gauche, socialiste et profondément anti-nazie, rejoignait les rangs de de Gaulle à Londres, ou s’organisait d’elle-même à l’intérieur.

Il fait, en accusant la gauche d’antisémitisme, semblant de pas voir que la gauche porte une idée assez nouvelle sur le monde, qui est de ne pas opposer les gens selon leurs origines ou leurs religions, mais selon leurs positions économiques et sociales, et que, par ce critère, on peut justement en arriver à concevoir puis défendre l’idée d’un homme universel, bien contraire à l’esprit d’antisémitisme, ou de racisme, d’ailleurs, affiché par de certaines gens à droite.

M. Onfray paraît, en outre, confondre critique d’Israël avec antisémitisme dans ce reproche, et ne pas voir qu’on peut parfaitement exprimer des doutes sur la façon dont un État riposte à une attaque terroriste dont personne ne conteste ni l’horreur ni la nature, sans être pour autant quelqu’un qui considère un Juif a priori inférieur parce qu’il est Juif, et qu’il y a d’ailleurs, dans la tête des gens, une assez nette différence entre ce qu’est un Juif, et ce qu’est un Israélien.

M. Onfray, enfin, n’aura pas pu ne pas voir qu’il y a un long, très long chemin à faire avant de confondre une assertion comme « Le Front populaire a les idées du NPA, il est donc antisémite », comme il le dit, avec celle-ci : « Le Front Populaire, qui agrège toutes les gauches pour faire barrage au Rassemblement national, cette priorité primant sur toutes les autres, intègre dans ses listes un candidat sur les cinq cents soixante-dix-sept qu’il propose, lequel est effectivement à la tête d’un parti qui exprime son soutien au Hamas dans la mesure où il considère la présence d’Israël dans les territoires occupés comme illégale », qu’il vaudrait mieux dire.

Voilà toutes les fautes que fait M. Onfray quand il assène des vérités pareilles. Chez Descartes, cela s’appelle une triple faute par manque d’évidence, d’analyse, et de dénombrement. Chez Aristote et dans la logique de Port-Royal, c’est un paralogisme. Au collège, plus simplement, on nomme cela méconnaissance du programme d’histoire de troisième. M. Onfray, qui certainement connaît son programme d’histoire, ne dit pas la vérité, et ne dit pas non plus ce qu’il pense. Il fait campagne pour l’extrême-droite, sous couvert d’éclaircir l’actualité avec son regard de philosophe. Je m’indignerais, si j’étais Juif, d’avoir de tels arguments pour ma défense, et ne serais pas loin, plutôt, de taxer d’antisémite quelqu’un qui m’estimerait suffisamment ignare pour penser qu’il me fera avaler de telles inepties.

M. Onfray fait en réalité comme beaucoup de gens font depuis quelques années, à droite comme à gauche : il caricature la position de l’adversaire, trouvant plus commode de répondre à des assertions extrêmes, qu’au départ très peu de gens pensent, plutôt que de lui répondre dans la juste mesure de ce qu’il exprime. En radicalisant sa position, et en mentant sur celle de l’adversaire, il l’appelle à radicaliser la sienne, et ainsi, le débat, qui à l’origine était audible – comme l’est raisonnablement n’importe quel débat droite-gauche – ne l’est plus. Il n’est qu’à écouter le débat qui eut le malheur de se tenir au Grand Jury le mois dernierentre les sept têtes de listes des élections européennes pour s’en convaincre : l’important n’est pas d’éclaircir sa position pour atténuer celle de l’autre, mais de l’insulter pour répondre, non pas argument à argument, mais homme à homme. Et comme le critère pour évaluer la pertinence d’un propos n’est plus la vérité, mais l’homme, on en vient à raconter ce que M. Onfray raconte, c’est-à-dire, n’importe quoi.

On se fait fort, en France, d’avoir des idées. On oublie qu’il est bien plus difficile, mais bien plus louable et surtout nécessaire, de comprendre la position de l’autre que d’affirmer la sienne. Et en effet il n’est pas possible, dans un régime démocratique, que tous les efforts de celui qui répond ne soient tendus vers la compréhension des idées de celui qui parle. Il n’est pas possible que, lorsqu’un homme répond à un autre, sa priorité soit de reprendre ce qu’il a déjà dit, plutôt que d’écouter ce que son adversaire veut lui dire. Mais voilà où est la nouvelle norme du débat public en France : on appelle « discussion » le fait de répondre à une idée qu’on n’a ni comprise, ni écoutée, une autre idée, qui n’a rien à voir avec elle. Les autres pays nomment cela deux monologues bien distincts ; ils baillent ou s’amusent en les écoutant ; mais nous faisons de cette absurdité un débat, et de ce débat nous tirons vaniteusement la conclusion que nous sommes la grande nation politique. Être une grande nation politique, c’est d’abord se montrer capable d’écouter les autres, de se mettre à leur place, et de leur répondre.

Quand les positions ne sont plus audibles, chacun radicalise la sienne, et alors ce qui n’a pu être entendu avec la voix veut se faire entendre avec le fusil. M. Onfray, qui rappelle chaque semaine que nous sommes dans un état de guerre civile, n’a pas une petite responsabilité dans ces tensions montantes qui grèvent le débat politique. Son rôle devrait être de clarifier, d’expliquer, de nuancer, de montrer avec dignité le respect qu’il doit à l’adversaire dans la restitution claire et saine de ses idées, au lieu d’en faire de si stupides caricatures, par lesquelles, comme nous le faisons tous lorsque nous ne prenons pas la peine de comprendre ce que l’autre veut nous dire, il en fait moins un homme qu’un animal – et l’appelle justement à lui répondre comme un animal.

« On n’a pas vu le temps passer ». Non, on ne le voit pas passer quand on raconte n’importe quoi. La juste, la seule image du temps qui passe que tout le monde peut comprendre, c’est celle de l’écolier qui lève son stylo devant le cahier avant de résoudre une équation : là le temps passe lentement, parce qu’on réfléchit, et il est pénible de réfléchir. Il prend du temps de se former, de se tenir au courant de ce qu’il se dit : j’entends très bien qu’une société moderne et complexe est bien plus subtile à comprendre que celle qu’avaient les Grecs, où tout se faisait à la mesure de l’homme. Mais, s’il prend du temps de se former, il n’en prend presque aucun pour admettre en soi-même qu’on ignore une chose, ou qu’on n’a dessus que quelques informations vagues. Il n’en prend pas beaucoup plus pour n’accepter de se former que sur des sources sûres, utiles, dont la provenance n’est d’évidence pas viciée par un but politique caché, et d’écarter les autres parce qu’on sait qu’elles sont douteuses. La pertinence d’un régime démocratique réside dans une certaine qualité d’information en-deça de laquelle les citoyens refusent de se former. Son existence est à ce prix, et l’information que nous avons citée en début de cet article n’en est pas digne. Il ne prend pas beaucoup de temps pour admettre qu’on ignore quelque chose, mais il en faut moins que pour appuyer sur une gâchette.

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