Si encore c’était celle du titre. Le titre saisit l’attention, annonce quelque chose qu’on ne connaît pas. On sait, devant un titre, qu’on est nu, qu’on ignore tout de lui, que c’est pour nous une chose nouvelle. Nous allons lire, et tâcher de comprendre le lien entre celle longue plage de papier qui est devant nous, et sa miniaturisation en grosses lettres. Le titre cherche le regard, mais il n’explique rien.
Le sous-titre explique tout. Ce n’est plus le sous-titre français qui accompagnait autrefois un article pour en faire un commentaire ironique, un ajout d’explications essentielles pour saisir le fond. C’est le sous-titre à l’anglo-saxonne, qui envahit notre presse, nos manuels, nos exercices scolaires ; et cela risque de s’accélérer encore quand on voit que l’intelligence artificielle nous répond, elle aussi, avec des sous-titres. Ainsi, dans tout ce qu’on fait, il n’est plus besoin de titres, il n’est plus besoin de lire, le contenu s’enchaîne merveilleusement ; il y a même quelques fois des sous-titres qui racontent une histoire, séparés les uns des autres par des pointillés qui permettent de les suivre à la trace comme autant de petits poucets, et grâce auxquels il n’est plus besoin de poser les yeux sur le texte.
On oublie, dans tout cela, une vérité de quelque importance : l’information n’est pas la pensée. Que le sous-titre nous permette de saisir une information plus rapidement, soit. Qu’il serve à remplacer la pensée, et vous pouvez être sûr que, demain, on ne comprendra plus rien du monde. Siècle de confort, a-t-on l’habitude de dire. Je l’entends : confort physique, puisque nous ne faisons plus que le dixième de l’effort que nos ancêtres faisaient chaque jour, pour obtenir dix fois moins de calories. Prenons garde à ce qu’il ne devienne également intellectuel, ou ce n’est pas que notre corps qui deviendra comme ceux de ces humains qui, dans ce film destiné aux enfants, vivent dans l’espace, sept cents ans après nous, et ne sont plus capables de se déplacer autrement que tirés sur des fauteuils électriques : notre esprit prendra le même chemin.
Ce n’est pas l’information qui compte, c’est le moteur avec lequel nous pouvons la traiter. Il ne s’entraîne pas en accumulant l’information. Il s’entraîne en multipliant des raisonnements par lesquels on suit une pensée en train de se faire. Et, en elle, on trouve deux choses, qui sont bonnes, et qui font de plus en plus défaut. La première, c’est la capacité que nous avons de faire un raisonnement par nous-mêmes, d’être autonomes, de penser sans ces béquilles qui aplanissent le chemin, et ne nous demandent plus de fournir aucun effort. La seconde, c’est le cœur de celui qui nous parle, son amitié, sa chaleur, qui ne nous apparaissent pas seulement dans les opinions qu’il a ou les positions qu’il prend, mais qui nous sont perceptibles dans la façon dont il les déploie et organise sa pensée. Chacun d’entre nous a une manière particulière de prendre ses appuis avant d’effectuer son envol. Suivez le lien qui va d’une idée à l’autre : on y trouvera enthousiasme, prudence, magnanimité, circonspection, douceur, patience, orgueil, paresse, humilité, inquiétude, exigence ; autant de valeurs, de principes ou de sentiments qui résonnent chez celui qu’on est en train de suivre, parce qu’on peut en entendre les échos refluer en soi-même. Pensée d’esprit, dit-on, et rationnelle. Pensée de cœur, faut-il ajouter, qui font qu’on a des amis, des ennemis, des proches, certains qu’on estime, d’autres qu’on honnit, indépendamment des positions qu’ils défendent. Communauté grâce laquelle l’homme n’est plus seul, et qui donne certainement autant sens à sa vie que le fait de partager un même combat politique.
Je dis combat, mais le terme n’est déjà plus pour cette époque. Ce ne sont pas des combats que nous avons devant nous, ce sont des débats, des discussions, des argumentaires sans fin, dans lesquels on remplace pensées et positionnements par mots et postures. Le sous-titre extrait une idée, la définit comme blâmable, l’applique à celui qui vient de s’en servir ; comme on ne suit plus une pensée d’un bout à l’autre de son expression, on ne voit plus les hommes, on voit des idées, et, une nouvelle fois dans notre histoire, nous nous trouvons à une époque où les idées comptent plus que les hommes. Jetons un œil à quelques moments où ces périodes sont apparues dans l’histoire : vous en avez un chez Thucydide, que vous pourrez relire pour en revoir les conséquences, un autre pendant les guerres de religion, et Agrippa d’Aubigné ou Pierre de L’Estoile vous en livreront un tableau assez complet, un autre, enfin, pendant la période que connurent nos arrières grands-parents ; un Anglais célèbre, un Français aussi, aux affaires je crois pendant cette époque, ont également écrit dessus des mémoires de quelque utilité.
Nous sommes grégaires, et plus qu’on ne le croit. A notre époque où les idées se diffusent en masse, et où nous ne prenons le temps de repasser sur chacune, à l’instar de nos pères qui connurent peut-être cinquante idées dans toutes leurs vies, mais repassèrent sur toutes, ce ne sont ni le raisonnement ni la pensée qui gagnent en vitesse, comme ils le devraient ; c’est le réflexe par lequel on se range auprès de ceux chez qui on reconnaît les mêmes idées que les siennes. Réflexe maladif, d’une civilisation malade, qui a retiré toute nuance de son sein, et chez qui le sous-titre a remplacé le cœur des hommes.