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Billet de blog 27 juin 2024

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Combats de la gauche à venir

«  Ce n’était pas ma question ». « Vous ne répondez pas à la question ». « Oui, M. Attal, mais ce n’était pas tout à fait la question que j’avais posée ». Puis, contre mauvaise fortune bon cœur : « Cela veut-il dire que… ? ». « Alors, doit-on comprendre que… ? », et ainsi de suite. J’ai compté cinq à six occurrences de ces formules en une demie-heure du Grand Jury de notre premier ministre,

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«  Ce n’était pas ma question ». « Vous ne répondez pas à la question ». « Oui, M. Attal, mais ce n’était pas tout à fait la question que j’avais posée ». Puis, contre mauvaise fortune bon cœur : « Cela veut-il dire que… ? ». « Alors, doit-on comprendre que… ? », et ainsi de suite. J’ai compté cinq à six occurrences de ces formules en une demie-heure du Grand Jury de notre premier ministre, après quoi j’ai perdu le fil. Mais je cherche, et ne trouve aucune intervention depuis vingt ans que j’écoute l’actualité politique qui n’ait pas été fondée sur un modèle de communication semblable. C’est à tel point qu’il semble que nous ayons deux langues dans ce pays, une pour débattre autour d’un table, une autre pour débattre autour des micros. On en plaisante bien, de cette langue que nous nommons tragiquement langue de bois, depuis quarante ans. Ses conséquences pourraient se montrer d’ici quatre jours.

La qualité d’un débat dans lequel les points sont expliqués clairement détermine la santé d’une démocratie. Bientôt peut-être, deux partis que tout oppose, qui se détestent depuis leur création, qui n’ont jamais appris à discuter l’un contre l’autre sans lever le poing, arriveront, pour la première fois de toute l’histoire de la cinquième République, en tête des législatives. Je ne vois qu’un avantage à ceci, qui est que les partis du centre, qui ne savent pas dire clairement la vérité aux Français depuis quarante ans, ne viendront plus devant les micros pratiquer la langue de bois. Pour le reste, je ne trouve que des inconvénients.

Notre régime repose sur la discussion autour de notions abstraites, que sont par exemple les trois mots de la devise, la laïcité, la république. Ces notions sont apprises et discutées très tôt par les militants de gauche, desquels les partis jouent traditionnellement, depuis leur naissance, le rôle d’éducateur. Depuis qu’elle existe, la gauche agit et pense selon ces idéaux dont elle veut voir la pureté théorique passer dans la pratique. Ainsi, les discussions qui se forment dans un débat de gauche ne tournent-elles pas autour de l’existence de ces notions, mais sur la possibilité de leur application simultanée dans la vie publique, et sur le degré auquel on peut éventuellement amoindrir l’une d’elle pour en intensifier une autre.

Les partis d’extrême-droite n’ont, historiquement, au contraire, pas ce même rôle d’éducateur. Ils ne demandent pas à leurs membres le sacrifice de l’individu au nom de notions abstraites dont le bien se situe dans un lointain idéal. S’ils demandent des efforts, c’est toujours au nom de notions simples à comprendre, charnelles, directes, immédiates : la gloire sociale ou militaire, la sécurité, l’identité. L’extrême-droite part du principe que les grandes notions appelées par la gauche ne sont que des illusions maniées par les gouvernants pour faire avaler au peuple n’importe quoi, et pas seulement n’importe quoi, mais un n’importe quoi qui ira contre les intérêts du peuple, et le spoliera pour augmenter la puissance des riches, de l’État, ou de sa coterie. Toute idée qui approche de près ou de loin l’une de ces grandes idées est ainsi frappée de suspicion. Tout, au contraire, ce qui s’écarte de ces notions est, à gauche, frappé de mesquinerie, d’égoïsme, d’intérêt immodéré pour le temps présent, troqué pour des futurs qui chantent.

On voit le danger. Les grands partis qui arriveront probablement en tête des législatives ne sont pas uniquement opposés sur tout. Ils n’ont pas seulement une conception dissemblable de la politique, de ses idées, de ses méthodes, de ses réflexes de pensée : ils ne s’accordent pas même sur ce que chacun considère comme objet politique. Et, n’ayant pas d’objet politique commun, ils ne disposent pas de chemin intellectuel possible pour se mettre d’accord. Cette chose est nouvelle. Les partis modérés, de droite ou de gauche, pouvaient encore s’entendre sur certains de ces objets. On a vu, quoique maniés avec de la langue de bois, des débats les opposant autour de la laïcité, de la liberté, de la république, de l’égalité. Les thèmes communs à ces deux partis nouveaux ne sont pas des idéaux politiques : ni le pouvoir d’achat, ni le chômage, ni l’immigration, ni l’Europe, ni la haine de la technocratie n’ont besoin de remonter par le filtre d’une conception politique forte pour se faire entendre ; aucun d’eux ne définit l’idée même qu’on peut se faire de notre république.

Or, l’identité de ce pays, qui n’est ni fondé sur un peuple, ni sur une religion, est nécessairement abstraite. Que l’extrême-droite le veuille ou non, et quoiqu’elle refuse de les combattre, ce sont les valeurs sur lesquelles la gauche fonde son existence politique qui ont permis à la France de se construire une identité culturelle, et un chemin depuis 1870. Ce n’est pas à dire que la gauche a le monopole de leur sens, ni de leur direction. Cela veut dire que les débats, en France, ne font que tourner autour d’elles. Qu’ils soient maniés autour d’une table du pays profond ou des micros de la capitale ne change rien : l’éducation politique, et à travers elle celle de ce qu’on appelle, faute de mieux, mais qui a le mérite d’être clair, le vivre-ensemble, passe par elles.

Qu’arrivera-t-il quand ces deux partis seront au pouvoir, soit directement, soit dans son opposition immédiate ? Qu’arrivera-t-il quand les uns et les autres se succéderont sur les plateaux télé pour exposer leurs opinions ? Qui pourra leur répondre ? N’importe quel Français qui a déjà vu, par un hasard suprême qui les aurait réunis autour d’une même table, deux représentants ou affidés de ces partis débattre entre eux, sait que la discussion se termine en insultes. Il faut craindre une démocratie dans laquelle le débat n’est plus possible, comme il faut en craindre une dans laquelle les débats ne se font plus qu’autour de valeurs qui ne définissent plus l’existence même de la vie politique. On arguera que c’est parce que ces valeurs abstraites sont déjà acceptées qu’on en vient à parler, et à parler plus concrètement, de ces autres thèmes qui ne définissent rien, comme le pouvoir d’achat, la sécurité ou l’Europe. Mais on ne doit pas croire que cela soit vrai. Les décisions qui se prennent autour de ces sujets plus concrets se font, en définitive, toujours au nom de ces grands principe de liberté ou d’égalité, constitutifs de notre régime, et qui ne cesseront par là-même de revenir pour s’imposer, soit dans l’ombre, soit à la lumière, dans nos débats.

La faute des partis centraux est de n’avoir jamais été clairs sur ces idées depuis quarante ans, ou de s’en être servi pour faire avaler aux Français des mesures qui n’avaient rien à voir avec elles. Le travail à faire, à présent, n’est pas de se demander s’il faudra un jour ou non tâcher de faire discuter entre eux deux partis qui n’ont jamais appris à le faire, mais à se préparer pour leur exposer des arguments que les uns et les autres pourront entendre, parce qu’ils en viendront de toute façon à s’affronter directement, sans partis centraux pour les pondérer.

Si tout les oppose, idées et méthodes, depuis leur création, certains points fondamentaux sur lesquels sont fondés la vie politique dans notre pays peuvent en revanche être clarifiés par ces deux partis ; ils doivent l’être rapidement, et sans langue de bois. L’antisémitisme à l’extrême-droite, par exemple, son attachement à la Déclaration des droits de l’homme de 1789, et notamment à son premier article, sa position sur la laïcité, et la place qu’il veut donner au catholicisme dans la laïcité, sont des éléments sur lesquels elle doit adopter une position claire. La liberté, le rôle de l’État, l’importance à donner aux communautés, et au sens même du mot de communauté dans une république à vocation universaliste, sont, à l’extrême-gauche, des termes à clarifier également. Il faut que ces deux partis, non seulement les clarifient, mais qu’ils les clarifient vite, et surtout qu’ils le fassent au regard de la lecture qu’ils font de notre Constitution et de notre histoire, faute de quoi le débat sera très vite inaudible en France. Tout ce travail reste à faire. Il est traditionnellement fait par la gauche. Or, il ne s’agit plus de monter dans ses rangs une ligne de défense que l’extrême-droite ne peut pas entendre, et qu’elle ne fait qu’ignorer allègrement depuis son existence. Il faut qu’elle trouve des points sur lesquels elle pourra lui répondre. Je redis ce que j’ai déjà écrit dans un article précédent : ce qui ne peut se faire entendre avec la voix cherchera bientôt à prendre le fusil pour s’exprimer.

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