Il fait chaud ; l’heure est à la promenade. « Sortons nous rafraîchir, me dit cet ami étranger. Allons dans l’un de ces jardins dont vous autres Français êtes friands. J’ai bu assez de bières pour ce séjour-ci ». Ce que nous fîmes.
Il y en avait un à deux pas. Il fallut passer par une porte, une grille, un tourniquet. Nous empruntâmes l’allée centrale. « C’est bien gardé, fit-il, mais quel ravissement pour les yeux, quel calme, quelle paix, et puis surtout, quelle symétrie ! On se sent l’esprit soulagé, avec un je ne sais quoi de plus libre ». Il voulut s’asseoir sur l’herbe. « Comment, s’exclama-t-il, que fait cette grille ici ? Allons plus loin ». Nous longeâmes la pelouse ; nouveau coin, nouvelle grille. « Ah, c’est qu’on ne peut s’y asseoir : celle-ci est au repos. Nous en trouverons une ailleurs ». Ailleurs, autre pelouse, autre grille.
- Fichtre ! On paie le droit de s’asseoir à prix d’or, ici. Que ferons-nous ?
- Mais, si vous désirez vous asseoir, j’aperçois un banc, là-bas.
Nous y fûmes.
Il étira ses jambes, bailla au soleil. Puis, au bout de quelques instants :
- Ce dossier me … me … (il cherchait ce qui le gênait dans le dos) enfin il me … il me fait un peu mal.
Il n’y avait rien. Seulement le bois était-il un peu dur. Il se leva : « Je ne suis pas venu ici pour m’asseoir sur un banc. Allons ». Après quelques minutes, nous trouvâmes un petit sentier secret. « Là, dit-il, j’aperçois une pelouse au bout ». Il y courut presque. « Ah ! Mais c’est charmant, il y a même une petite fontaine qui fait un bruit agréable, et une motte sur laquelle on peut s’asseoir. »
Va pour la motte. Elle était au pied d’un arbre, et les racines en sortaient de toute part. Des capsules de bières et des seringues en parsemaient le sol en un étrange damier. « Ici, fit-il, un pan de pelouse tout plat, et sans racines. Quelle épopée ! Mais, ajouta-t-il en s’approchant, que font ces chaises au milieu de l’herbe ? »
- C’est pour nous y asseoir, dis-je.
- Au diable les chaises ! Je veux toucher la terre.
Je lui indiquais un panneau planté derrière les chaises : « Pelouse interdite ».
« C’est bien, fit-il. Ces chaises ne sont pas mises pour des prunes. Retournons à notre première allée, et enjambons la grille. » Nous quittâmes notre sentier secret, passâmes par deux statues, une aire d’enfant en gazon synthétique, un chapiteau sombre et vide, un jardin de roses sous grillage. Comme il s’apprêtait à sauter par-dessus une barrière : « N’y pensez pas, fit un couple qui passait avec une poussette. Nous avons fait la même chose quelques pas plus loin ; le gardien nous a surpris, il a vu notre bouteille de bière, et comme il est interdit de boire sur la voie publique, a dressé le procès verbal que voici, par lequel nous sommes convoqués au tribunal. J’espère bien que, au lieu d’une amende, nous écoperons d’un simple rappel à la loi ! »
« Est-ce par vanité qu’avec un si beau pays vous avez fait des jardins si peu avenants et agréables ? On n’admirait pas assez votre campagne ; il fallait encore proposer ces simulacres de nature, pour qu’on trouvât la comparaison flatteuse. La belle idée d’avoir une nature qui ne sert qu’aux yeux ! Imaginez vos Tuileries et votre Luxembourg en deux Central Park ? Mais ceci présenterait un inconvénient de taille : c’est que vos jardins ne sont pas faits pour y voir la nature, mais pour y être vu en train d’y déambuler. Nous avons eu un projet bien saugrenu d’aller chercher un jardin pour nous y asseoir ; ôtez-moi cette idée de la tête la prochaine fois, et proposez-moi d’aller boire une bière en terrasse ; c’est encore ce que vous faites de mieux ! »