Vous vous en êtes allé. Et nous n’avons pas échappé aux discours dithyrambiques de certains journalistes. Fort heureusement, d’autres, plus lucides, ont su nous rappeler celui que vous étiez.
Vous avez été une figure marquante de mon enfance politique, il faut bien le reconnaître. Vous avez su imprégner de votre empreinte nauséabonde notre société.
Je vous revois, lorsqu’enfant, votre visage m’apparaissait en noir et blanc à la télévision. Vous arboriez un bandeau sur l’œil gauche tel un pirate. Puis, comprenant que cette apparence vous desservait, vous l’avez abandonné. Après tout, votre destin de contrebandier ne dépendait pas de nous, enfants, mais bien de nos parents qui seuls avaient entre leurs mains le pouvoir de vous faire élire.
Votre visage m’effrayait. Votre regard et votre gestuelle semblaient sortir tout droit d’un conte maléfique. J’observais, alors que je n’étais âgée que d’une dizaine d’années, votre bouche se tordre, s’affaisser et vous vous délectiez de vos mots. Au fond, vous avez toujours été votre plus grand admirateur.
Et puis, la petite fille que j’étais a grandi. Vous, non. Vos discours restaient inchangés. Vous vous êtes accroché à votre antisémitisme, à votre racisme et à votre négationnisme. Vous n’avez jamais dévié de vos idées ; ce qui pourrait susciter de l’admiration aujourd’hui car il faut reconnaitre que cette fidélité est étrangère à bien des hommes politiques. Quel dommage que vous n’ayez su attirer que le dégout chez l’adolescente que j’étais. Parce qu’il suffisait de vous regarder pour éprouver de la répugnance à votre égard. L’absence du bandeau, remplacé par un œil de verre, n’a en rien arrangé vos affaires.
Un petit détour en Algérie s’impose. Vous avez été accusé de faits de torture durant la guerre. A vous écouter, mieux valait soutirer de quelle que manière que ce soit des informations pour conjurer tout complot. Vous étiez agent de renseignement pour la France et vous avez exécuté les ordres. Mais jusqu’où votre enthousiasme vous a-t-il porté ? Pour vous, il ne s’agissait que de brutalités et c’est ce que retiendront tous ceux qui vous soutiendront par la suite.
Je vous revois sur l’écran couleur de notre télévision. J’étais assise sur notre canapé familial, vous, sur un fauteuil, les jambes écartées, le buste en avant, arrogant. Vous n’étiez déjà qu’un vieux bulldog que j’avais envie d’enfermer dans son chenil. C’est à cette époque que vous avez cru bon de qualifier les chambres à gaz de “points de détails de l’histoire de la Seconde Guerre Mondiale” (je vous cite bien sûr). Vous qui aimiez tant la provocation (vous en aviez fait votre principale forme de communication au fil du temps), vous vous êtes fourvoyé. Il aura suffi de quelques secondes pour qu’explose votre parti, offrant à vos cadres l’occasion de s’émanciper de vous. Vous vous êtes défendu en prétextant que les chambres à gaz n’avaient pas été le seul lieu de mise à mort. Là, vous étiez grotesque et pourtant, une fois encore, nous n’avions pas envie de rire. Vous comptiez parmi vos amis d’anciens nazis français.
Chacune de vos apparitions suscitait l’angoisse chez les journalistes. Vous manipuliez si bien cette parole malsaine, celle qui vous a valu, par la Cour d’Appel de Paris, d’être condamné pour provocation à la haine, à la discrimination et à la violence raciale. Vous n’en aviez que faire et cela a dû vous amuser que l’on parle de vous. Au final, cela vous permettait d’être dans la lumière des projecteurs. Cette même lumière qui s’est déplacée au cours des années. Le visage de votre fille s’est de plus en plus imposé aux médias. Certes, elle est longtemps restée dans votre ombre. Vous étiez si envahissant.
Je m’étais habituée à ne plus vous écouter. Vous radotiez au point où je ne vous regardais plus. Puis, ma nouvelle vie d’adulte ne laissait pas de place à votre misérabilisme. Paris m’ouvrait grand ses bras. Vous n’étiez qu’un homme ridicule. J’en avais oublié le danger. Jusqu’au soir du 21 avril 2002. Pour la première fois, un parti d’extrême droite se hissait à un deuxième tour des élections présidentielles. Je m’étais assise dans un fauteuil de mon salon, le visage défait. Vous savouriez cette victoire et vous aviez bien raison. Vous n’avez eu de cesse de vous hisser à ces résultats au cours des années qui ont suivi, votre parti étant devenu l’instrument des autres factions politiques.
Vous n’avez jamais rien apporté sur le plan politique si ce n’est un ancrage des idées racistes et fascisantes comme une litanie pernicieuse que vous rabâchiez. Votre objectif était de « normaliser » la haine raciale. La vérité est que vous auriez été bien en peine pour gouverner le pays.
Votre fin politique, alors que vous étiez âgé de 87 ans, est une conclusion logique de votre parcours. Vous étiez devenu ingérable. Je vous avais regardé vous plaindre de votre éjection de votre propre parti, celui dont vous étiez l’un des fondateurs, sur mon écran plat, ma fille à mes côtés sur le canapé. Elle avait eu un frisson et j’ai lu en elle le dégoût qui était le mien à son âge.
Vous avez été condamné à de multiples reprises pour incitation à la haine, apologie de crimes de guerre, propos racistes, négationnistes, antisémites, pour injures homophobes, banalisation de crimes contre l’Humanité. Je laisse de côté les affaires financières pour m’attacher à l’Homme que vous n’étiez pas. J’ai cherché en vain dans mes souvenirs quelques épisodes qui auraient pu vous redonner un peu de brillance. Mais rien n’a émergé.
Je vous ai toujours vu dans le paysage politique. Vous étiez celui que je méprisais. Ces dernières années, vous n’étiez qu’un bouffon ridicule. J’ai d’ailleurs été surprise de découvrir le 7 janvier que vous étiez mort. J’étais persuadée que c’était déjà fait.
Jean-Marie, vous avez omis d’emporter avec vous vos discours racoleurs, provocateurs et inhumains.
Vos propos se sont revêtus d’une autre forme discursive, bien plus dangereux que ceux qui étaient les vôtres. De fait, la lutte n’est pas finie.