Les images défilent devant moi. Je ne regarde jamais les résultats des élections et surtout pas à la télévision. Je ne supporte pas les commentateurs, hommes politiques et analystes de tout bord. Leur joute verbale m’est insupportable. Pourtant, ce soir, c'est l'exception.
Je ne suis plus surprise. Même pas déçue par les scores. Le Rassemblement National prend petit à petit le pouvoir au fil des ans. C’est un fait avec lequel il nous faut composer. Ils seront un jour aux plus hautes strates de nos institutions. Cette évidence me crucifie à chaque fois que j’y pense.
Alors, ils ne seront pas plus mauvais que leurs prédécesseurs, abandonnant le peuple aux mains d’un système capitaliste et libéral destructeur dont on perçoit les limites ultimes. Je me ressaisis d’un coup. Je suis dans l’erreur. Ils seront plus infâmes, réduisant nos dernières libertés individuelles acquises au prix de tant de morts, de tant de combats et instaurant une peur implicite. Nous sommes pourtant si nombreux à ne pas accepter. Serions nous malgré tout en infériorité numérique ? De nombreuses manifestations s’emparent des grandes villes mais, au fond, un consensus se dessine. Une acceptation tacite.
Une multitude de questions me taraude depuis longtemps.
Quelles raisons a l’homme de favoriser un Etat répressif, se sanctionnant lui-même ? Pourquoi ne pas se tourner vers une République sociale ? Les réponses se situent elles dans notre Histoire ?
Je reprends la télécommande. Impossible de suivre les propos de tous ces gens dévorés d’ambition.
Netflix diffuse un documentaire sur la montée du nazisme. Alors que le débarquement de 1944 fête en grandes pompes ses 80 ans, des documentaires sur l’Allemagne de la seconde guerre mondiale éclosent sur les différentes chaines. Hasard du calendrier ? J’enclenche l’épisode deux.
Je suis depuis toujours fascinée par cette période. Il n’aura suffi que d’un seul homme. Un seul pour tout détruire, pour emporter avec lui tout un peuple, réduisant l’Humanité à un objet, marionnettes manipulables à souhait. Un seul pour que s’écroule l’Europe entraînant, avec lui, la mort de soixante millions d’individus.
Comment cela fut-il possible ? Je ne puis m’empêcher d’établir une connexion entre le passé et notre présent. Certes, ce n’est plus la politique de Weimar l’ennemi. Ni le communisme. Mais qu’importe au fond. Notre président a déjà mâché le travail en annihilant l’ensemble de la classe politique, démorcelant les différents partis, créant des inégalités sociales terribles dans la répartition des richesses. La porte est grande ouverte pour que s’installe au pouvoir l’Extrême Droite. Elle sera élue par une fraction du peuple, sera soutenue par lui. Le constat n’en est que plus vertigineux. Même Adolf Hitler n’a pas réussi cet exploit, contraignant un Président Hindenburg à accepter sa nomination en tant que Chancelier en 1933 à la suite de négociations.
Le pouvoir ne peut s’acquérir que par la voie des urnes. De façon démocratique. Ce que le Rassemblement National a très bien compris. Tout comme Adolf Hitler. Ce dernier se rêvait en sauveur de l’humanité d’une “race” empreinte de pureté.
Quelle mission s’est assignée l’extrême droite ?
Comment, dans l’ensemble des pays européens, en sommes nous parvenus à banaliser cette montée, perçue comme une étape cohérente de notre présent, seule réponse à un monde qui se détériore ?
Tout repose sur le discours, exercice éprouvé depuis tant d’années par nos politiciens chéris, nous exhortant à les choisir contre des promesses qui resteront enfermées dans des cartons, archivées dès que leur élection sera actée. De cela, nous sommes habitués et n’y adhérons plus. Mais voilà, il faut voter. Commence la danse de la séduction.
A ce ballet politique, le Rassemblement National maîtrise parfaitement les rouages. Tout comme Adolf Hitler. Toujours en retard lors de ses meetings, générant l’impatience auprès de la foule, débutant chaque intervention d’une voix basse, posée, à peine audible, s’emportant au fur et à mesure de son intervention jusqu’à ce que la colère éclate, ponctuée d’une gestuelle savamment étudiée. De nombreux clichés pris par un photographe (secondé d’une certaine Eva Braun) témoigne de la mise en scène.
Si la méthode s’est adaptée à notre époque (la véhémence d’un Hitler ne saurait convaincre les foules aujourd’hui), la mécanique est identique. Il faut encore convaincre. Et donc manipuler. Emballer dans un papier cadeau protectionniste toute parole antisémite, antisociale, antidémocratique. La scénographie est savamment orchestrée, se veut proche du peuple. Joseph Goebbels n’avait pas hésité à recourir aux outils modernes à sa portée pour enraciner le discours de l’idéologie nazie. Tout comme l’omniprésence de nombreux responsables du Rassemblement National sur les réseaux sociaux et dans des médias complices.
Le temps est à l’orage dans bon nombre de pays. Il est coutume de reconnaître que nous sommes en crise sans rechercher à mieux s’en approprier les raisons. Le pouvoir d’achat diminue d’année en année et de plus en plus de foyers ne parviennent plus à s’auto subvenir. Le revenu du travail ne suffit plus pour régler les factures. Ce n’est pas nouveau. Le nombre de millionnaires est en perpétuelle croissance et c’est bien cet enrichissement rapide qui est nouveau.
Ces constats sont repris d’année en année, libérant une parole contestataire. Malheureusement, les partis de la gauche sociale ne parviennent pas à s’imposer. Trop idéalistes ? Il faut bien reconnaître que le discours du Rassemblement National est concis, direct, touche en plein cœur les plus modestes et démunis, que les mots choisis sont portés avec justesse, accessibles à toute une classe sociale qui survit difficilement. Seulement ce n’est que du vent, de l’esbrouffe. Donc dangereux. Tout comme les discours portés par Adolf Hitler, créant l’illusion que les communistes ainsi que le peuple juif étaient responsables de la crise économique des années trente, persuadant les citoyens qu’il était préférable d’abolir toute liberté d’expression pour contraindre au silence cette population, omettant de préciser que ce fameux Krach boursier de 1929 avait mis fin aux prêts américains concédés à une Allemagne déficitaire.
Parce qu’il faut une crise pour que le discours de l’extrême droite s’ancre. Dénoncer haut et fort sans apporter de solutions viables est une constante dans leurs propos. Et l’on peut s’interroger sur la viabilité d’un tel parti à gouverner.
Aujourd’hui c’est une population magrébine qui est dans le viseur. Le terrorisme islamique, noyé intentionnellement dans la religion musulmane, n’est qu’un prétexte pour asseoir un Etat protectionniste, replié sur lui-même. Il faut des coupables à la détérioration sociale. Or seule l’ouverture au monde, aux autres civilisations nous permet d’avancer. Il en a toujours été ainsi.
Il n’y a rien à attendre des partis de l’Extrême Droite. Strictement rien si ce n’est la destruction. Le chaos. Adolf Hitler nous a montré le chemin que nous ne devions en aucun cas emprunter. Or l’Histoire se répète et le danger se rapproche.
J’entends ma fille descendre les escaliers. Elle me rejoint sur le canapé. Je la regarde et lui souris. Mais le sentiment qui me domine est une immense tristesse. En dépit de l’amour que je lui porte, je ne puis parfois m’empêcher de regretter de l’avoir mise au monde dans cette société.
Elle sait que notre lutte pour la préservation de l’Humanité sera aussi la sienne. Elle est prête à prendre les armes.
Nous nous battrons pour que notre liberté d’expression, notre liberté d’être ne cesse.
Nous nous battrons contre toute forme d’injustice, contre la ségrégation quelle qu’elle soit, contre la bêtise des discours, contre la manipulation.
Nous nous battrons jusqu’à l’infini pour nos générations à venir au nom du peuple terrien. Au nom de l'insoumission.