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Billet de blog 6 févr. 2012

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La Politique Prophétique : Dessiner un Rôle Sain pour la Religion dans la Vie Publique

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Note : Cet article fut publié par Robert Jensen sur le site jadaliyya.com :

http://www.jadaliyya.com/pages/index/4226/prophetic-politics_charting-a-healthy-role-for-rel . Je

le traduis avec sa permission.

La Politique Prophétique : Dessiner un Rôle Sain pour la Religion dans la Vie

Publique

Walter Brueggemann, « The Practice of Prophetic Imagination : Preaching an Emancipatory

Word ». Minneapolis : Fortress Press, 2012.

Dieu choisit-il son camp durant les élections ? Y a-t-il un guide de l'électeur se cachant dans

nos livres saints ? Devrions-nous prier pour l'inspiration électorale ?

La population laïcisante tend à répondre « NON » à cette question, ainsi que la plupart des

personnes religieuses progressistes. Parce que les fondamentalistes religieux présentent si souvent

une caricature prête-à-l'emploi d'une politique basée sur la foi – allant jusqu'à dire que Dieu désire

que nous votions pour tel ou tel candidat – il est tentant de vouloir bannir toute mention du divin de

la vie politique.

Mais l'expression facile que « la religion et la politique ne se mélangent pas » ne saisit pas

l'inévitable connexion qui existe entre les deux. Qu'ils soient séculaires ou religieux, nos jugements

politiques sont toujours enracinés dans des principes premiers – des affirmations de ce que cela veut

dire que d'être humain, qui ne peuvent être réduites à des preuves et de la logique. Les gens

feraient-ils mieux d'agir uniquement par intérêt personnel, ou la solidarité est-elle toute aussi

importante ? Devons-nous l'allégeance à un État-Nation ? Sous quelles conditions, s'il y en a,

prendre une vie humaine est-il acceptable ? Quelle est la relation appropriée des êtres humains

envers le vaste monde vivant ?

Ces questions morales/spirituelles de base soutiennent la politique de chacun/e, et nos

réponses sont façonnées par les systèmes philosophiques et/ou théologiques dans lesquels nous

trouvons inspiration et discernement. Puisque les positionnements politiques de chacun/e reflètent

leurs adhésions fondamentales, il ne semble pas justifié de prétendre que ceux qui sont basés sur

une philosophie séculaire puissent puiser dans leur tradition, mais que les personnes dont la vision

politique est enracinée dans la religion doivent se tenir cois.

Plutôt que d'essayer de retenir la religion hors de la politique, nous devrions discuter de la

manière dont les traditions religieuses peuvent jouer un rôle dans une politique saine, et un endroit

productif où commencer dans le contexte de la tradition chrétienne est le nouveau livre de Walter

Brueggemann, La Pratique de l'Imagination Prophétique : Prêcher une Parole Émancipatrice.

S'appuyant sur l'ouvrage pour lequel il est le plus connu – L'Imagination Prophétique, publié pour

la première fois en 1978 avec une seconde édition en 2001 – Brueggemann se déplace au-delà de la

politique sectaire et de la religion narcissique pour poser des questions difficiles quand à notre

relation au pouvoir. Il rend clair que la tradition prophétique veut sérieusement dire être prêt à

mettre ceux qui nous entourent – et nous-mêmes – mal à l'aise.

Dans ce précédent livre, Brueggemann arguait que la tradition de la prophétie demande plus

de nous que l'expression complaisante d'une juste indignation face à l'injustice ou de vagues appels

à la justice sociale, ce qu'il appelle « une compréhension libérale de la prophétie » qui peut servir de

« gadget attractif et sauveur de face pour toute irritation excessive au service de presque n'importe

quelle cause. »

Brueggemann attend davantage de ceux qui proclament se tenir dans la tradition

prophétique, qu'il affirme être enracinée dans la résistance à la domination d'une « conscience

royale » qui produit un engourdissement chez les gens. Le ministère prophétique, dit Brueggemann

dans le premier livre, cherche à « pénétrer l'engourdissement afin de faire face au corps de mort

dans lequel nous sommes piégés » et « pénétrer le désespoir pour que nous puissions croire en et

embrasser de nouveaux avenirs. ». Et ne vous trompez pas, le souci de Brueggemann n'est pas la

culture royale des temps bibliques mais la culture dominante des États-Unis contemporains et sa

quête d'acquisition matérielle sans fin et d'expansion permanente de puissance.

Brueggemann rend également clair que le prophète n'est pas un « maître tapant sur les

doigts ». La tâche du ministère prophétique est d'apporter dans l'expression publique « la peur des

fins, l'effondrement de nos folies contre nous-mêmes, des barrières et privilèges qui nous sécurisent

à nos dépens mutuels et respectifs, et la pratique effrayante de manger dans la gamelle d'un frère ou

d'une soeur qui a faim. » En d'autres termes, les prophètes parlent la langue du deuil, ces « pleurs en

pathos » qui fournissent « l'ultime forme de critique, car annonçant la sûre fin de toute la

construction royale. »

Plus de trois décennies après la publication de ce livre, Brueggemann revient explorer les

implications d'une prise au sérieux de l'imagination prophétique, spécifiquement pour le clergé.

Mais bien que le livre s'adresse aux prêcheurs et à leurs luttes pour faire vivre l'imagination

prophétique dans une congrégation, les mots de Brueggemann parlent à tout citoyen attentif à la

santé de la politique et à l'état du monde.

Le nouveau livre commence par avancer que le récit évangélique de transformation sociale,

de justice et de compassion est en conflit direct avec le discours dominant des États-Unis : « un

militarisme technologique, thérapeutique et consommateur » qui « est soumis à la notion d'autoinvention

à fins d'auto-suffisance. ». La logique et les buts de cette culture dominante engendrent

« une productivité de la compétition, motivée par l'angoisse pénétrante d'avoir assez, d'être assez,

ou d'être au contrôle. » Tout ceci renforce des notions d'une « exception US qui permet

l'accaparement usurpateur de ressources au nom de la liberté, aux dépens du voisin. »

Dès le départ, Brueggemann énonce clairement qu'il va faire la critique non seulement des

problèmes du moment mais des systèmes politiques, économiques et sociaux desquels découlent ces

problèmes, et qu'en parler franchement implique une prise de risques. Des prêcheurs mettant

l'articulation de cette imagination prophétique au centre de leur travail – et il distingue que les

prêcheurs n'ont pas besoin de proclamer être prophètes mais doivent se voir comme des « relais de

la tradition prophétique » - rencontreront certainement une vive résistance à leur message.

Comme les prophètes luttaient pour convaincre une culture royale qui préférait ignorer le

message, les prêcheurs contemporains doivent-ils faire les bons rapprochements – relier les points –

et plaider une cause qui aille à contre-courant. Centraux à ce processus sont les rapprochements ou

liens entre les points, cette description de la réalité.

« Le prêche prophétique ne situe pas les gens en crise. Il nomme plutôt, et rend palpable la

crise qui sévit déjà parmi nous, » écrit Brueggemann. « Quand les points sont reliés, il s'agit alors de

nommer les péchés déterminants parmi nous d'abus environnemental, de dédain vicinal, de racisme

historique, de consumérisme complaisant, tous les sujets des anciens conteurs traduits dans notre

temps et notre espace. »

Ce qui cache ces péchés, écrit Brueggemann, c'est « une idéologie totalisatrice

d'exceptionnalisme qui écarte la critique de nos droits et de notre respect de nous-mêmes, » et

l'imagination prophétique nous aide à voir cela.

Une fois que nous acceptons cette critique des systèmes qui nous entourent, l'étape suivante

est de gérer la sensation de perte et le chagrin qui l'accompagne comme nous lâchons prise des

illusions qui viennent avec la richesse et le pouvoir. « Cette fonction du prêche prophétique est

importante car dans une société d'allègre déni comme la nôtre il n'y a pas de lieu pour le chagrin

public, » écrit-il. « Il est nécessaire, dans le récit principal, de passer rapidement par-delà la 'perte'

vers un 'rétablissement' confiant suivant une idéologie serrée de réussite. »

Brueggemann ne suggère pas que nous restions englués dans le chagrin ; quand le déni de la

société a été pénétré, le prêche prophétique a le devoir de donner voix à « une potentialité emplie

d'espérance. » Mais il nous rappelle de veiller à ne pas verser vers une espérance vide :

« L'espérance peut, bien sûr, être exprimée trop tôt. Et lorsque c'est le cas, elle peut surpasser la

perte trop rapidement et court-circuiter l'acceptation indispensable de culpabilité et de perte. La

nouvelle potentialité est toujours à l'horizon pour les prêcheurs prophétiques. Mais le bon sens et le

courage théologique sont requis pour savoir quand dire quoi. »

Ceci est notre tâche – mettre à bas les systèmes incohérents avec nos valeurs et la mise et

l'édification de quelque chose de neuf, démanteler et restaurer – non seulement pour les prêcheurs

cherchant à être des relais de la tradition prophétique, mais pour quiconque désirant faire face

sincèrement à nos problèmes politiques, économiques et sociaux. La tâche, selon les mots de

Brueggemann, est « de négocier l'abandon d'un monde disparu et la réception d'un monde qui est

offert. »

Encore une fois, le but de Brueggemann dans ce livre n'est pas de se faire l'avocat de

quelque politicien, parti ou programme politique, mais d'articuler les valeurs sous-jacentes qui

doivent informer notre pensée politique. Il cherche à confronter la vérité (contre le déni) et articuler

l'espérance (contre le désespoir) à la face d'une « idéologie totalisatrice, dénégatrice et

désespérante » qui se présente comme le seul joueur sur le tableau. Alors qu'il est difficile pour

beaucoup de personnes de lâcher l'idéologie dominante, Brueggemann argue que les gens

« attendent et espèrent plus que ce que l'empire peut offrir. Nous désirons l'abondance, la

transformation et la restauration. Nous désirons au-delà du possible. »

L'analyse de Brueggemann peut résonner chez beaucoup de progressistes qui ne fréquentent

pas les églises ou ne se considèrent pas comme spirituels, mais qui peuvent vouloir demander si son

raisonnement a besoin de puiser dans la tradition religieuse. La plupart de ses arguments ne

revêtent-ils pourtant pas autant de sens dans le langage de la politique séculaire ? Je le pense, mais

il y a une grande valeur dans l'approche de Brueggemann.

Premièrement, quelle que soit la croyance de qui que ce soit, la religion dominante aux

États-Unis est le Christianisme ; à peu près trois quarts de la population US s'identifie comme

chrétienne d'une manière ou d'une autre. Les histoires de cette tradition sont les histoires de notre

culture, et la lutte autour de cette interprétation est centrale dans la vie politique et sociale.

Encore plus important est le fait que l'église est toujours un lieu où les gens viennent

réfléchir à ces questions de base. Même dans l'église la plus timide, la question « à quoi servent les

gens ? » est à l'agenda, et il y a donc un potentiel pour remettre en question les valeurs de la culture

dominante.

« La congrégation locale reste une matrice d'expression émancipatrice et subversive qui n'est

pas au goût de l'idéologie totalisatrice, » écrit Brueggemann. « Les gens continuent d'écouter, assis

et attentifs, l'exposition de la parole. Les gens entretiennent toujours l'idée étrange, malgré les

réductionnismes de la modernité, que Dieu est un être réel et l'agent principal de la vie du monde.

Les gens se réunissent toujours à l'église pour entendre et lutter avec ce qui n'est offert nulle part

ailleurs. »

L'invocation par Brueggemann de « Dieu » peut refroidir des personnes laïcisantes, qui

pensent qu'un quelconque usage de ce mot implique des affirmations surnaturelles de Dieu comme

un Être qui dirige l'univers. Mais ce n'est bien sûr pas la seule manière de comprendre Dieu. En fait,

un des meilleurs aspects à même d'engager une conversation de cette approche est la question

toujours provocante, « Qu'entendez-vous par Dieu ? » Lorsque quelqu'un cite Dieu, nous pouvons –

et devrions – demander : Dieu est-Il un Être, une Entité, une Force dans le monde ? Dieu est-il le

mot que les être humains utilisent pour ce qui est au-delà de leur compréhension ? Qu'est Dieu, pour

vous ? Plutôt que d'enfermer la conversation le long de rails sectaires, nos traditions religieuses ont

la capacité d'ouvrir la conversation sur le sens profond, qu'il est difficile d'avoir dans un monde

privatisé, dépolitisé, mass-médiatisé, surmédicalisé.

Demander si nous devrions comprendre le monde à travers une lentille séculaire ou

religieuse équivaut à mal comprendre les deux – ce n'est pas l'un ou l'autre. Nous avons les outils de

la modernité et de la science pour nous aider à comprendre ce que nous pouvons du monde matériel.

Nous avons des traditions de foi qui nous rappellent les limites de notre compréhension. À l'église

que je fréquente (une congrégation Presbytérienne progressiste, St. Andrew's) ces deux approches

ne sont pas en conflit mais font partie du même projet – comprendre un monde face à de multiples

crises, puisant le meilleur des traditions religieuses et séculaires, luttant ensemble pour résoudre les

problèmes qui peuvent l'être et faire face à ceux qui peuvent être au-delà d'une solution.

Dans un monde en effondrement, ces réalités semblent souvent trop douloureuses à

supporter et le travail devant nous semble souvent nous dépasser. La tradition prophétique offre un

langage pour comprendre cette douleur et trouver la force collective pour avancer.

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