Le mythe d'un Iran 'isolé'
Note : cet article est la traduction de celui écrit par Pepe ESCOBAR sur TomDispatch le 17 janvier 2012. Je l'ai traduit avec sa permission. Voici le lien vers l'article original : http://www.tomdispatch.com/blog/175490/tomgram%3A_pepe_escobar%2C_sinking_the_petrodollar_in_the_persian_gulf
Suivre l'argent dans la crise iranienne
Commençons avec les lignes rouges. La voici, l'ultime ligne rouge de Washington, prise directement de la gueule du lion. Rien que la semaine dernière le Secrétaire à la Défense Leon Panetta disait des Iraniens, « Essayent-ils de développer une arme nucléaire ? Non. Mais nous savons qu'ils essayent de développer une capacité nucléaire. Et c'est ce qui nous inquiète. Et notre ligne rouge à l'Iran c'est ne développez pas une arme nucléaire. C'est une ligne rouge pour nous. »
Ce que c'est étrange, la manière dont ces lignes rouges continuent de reculer. Il était une fois, la ligne rouge pour Washington était « l'enrichissement » de l'uranium. Maintenant c'est de toute évidence une arme nucléaire qui peut être brandie. Souvenez-vous que, depuis 2005, le Guide Suprême iranien, Ayatollah Khamenei a insisté sur le fait que son pays ne cherche pas à construire une arme nucléaire. La plus récente National Intelligence Estimate(estimation stratégique nationale, ndt) sur l'Iran issue de la communauté de l'espionnage US a pareillement appuyé que l'Iran, en fait, ne développe pas d'arme nucléaire (à contrario de la capacité de nuisance d'en construire un jour).
Et s'il n'y avait pas de « ligne rouge », mais quelque chose de radicalement différent ? Appelez-là la ligne pétrodollar.
Ils banquent sur des sanctions ?
Commençons ici : en décembre 2011, imperméable aux graves conséquences pour l'économie mondiale, le Congrès étatsunien – sous toutes les pressions habituelles du lobby israélien (non qu'il en ait besoin) – a pondu un paquet de sanctions obligatoires à l'administration Obama (100 à 0 au Sénat et seulement 12 votes « contre » au Congrès). A partir de juin, les Etats-Unis devront sanctionner toutes les banques et entreprises de tierces nations échangeant avec la Banque Centrale iranienne, censé paralyser les ventes de pétrole du pays. (Le Congrès a permis quelques 'exemptions'.)
La cible ultime ? Le changement de régime – quoi d'autre ? - à Téhéran. L'officiel étatsunien anonyme proverbial en avoua autant au Washington Post, et ce journal imprima son commentaire. (« Le but des sanctions US et autres contre l'Iran sont la chute du régime, dit un officiel supérieur étatsunien, offrant la plus claire indication à ce jour que l'administration Obama cherche au moins autant à déchoir le gouvernement iranien que de converser avec lui. ») Mais oups ! Le quotidien a dû ensuite réviser sa copie pour éliminer cette citation gênante et sur la cible. Sans doute que cette « ligne rouge » était trop proche de la vérité et trop embarrassante.
L'ancien directeur de l'Etat-Major Interarmes l'amiral Mike Mullen croyait que seul un événement monstre du genre choc-et-crainte, humiliant complètement la direction de Téhéran, amènerait le changement de régime – et il était loin d'être le seul. Des chantres d'actions allant des frappes aériennes à l'invasion (soit par les USA, Israël ou quelque combinaison des deux) ont fait florès dans le Washington néo-libéral. (Voir par exemple le rapport de 2009 de la Brookings Institution intitulé Which Path to Persia(Quel Chemin vers la Perse, ndt)).
Mais quiconque connaissant un tant soit peu l'Iran sait qu'une telle agression rallierait la population derrière Khamenei et la Garde Révolutionnaire. Dans ces circonstances, l'aversion profonde de beaucoup d'Iraniens pour la dictature militaire du « mollahtariat » importerait peu.
D'ailleurs, même l'opposition iranienne soutient un programme nucléaire pacifique. C'est une question de fierté nationale.
Les intellectuels iraniens, bien plus familiers avec les jeux perses d'écrans de fumée et de miroirs que les idéologues de Washington, minimisent tout scénario de guerre. Ils soulignent que le régime de Téhéran, adepte dans les arts perses de jeux d'ombres, n'a aucune intention de provoquer une attaque pouvant mener à sa destruction. De leur côté, à tort ou à raison, les stratèges de Téhéran pensent que Washington n'aura pas les moyens de lancer encore une autre guerre au Grand Moyen-Orient, surtout si elle peut mener à des dommages collatéraux titanesques pour l'économie mondiale.
Pendant ce temps, l'espoir de Washington qu'une volée de rudes sanctions aille faire reculer voire trébucher les Iraniens, prouvera peut-être n'être qu'une Chimère. L'analyse de Washington s'est focalisée sur une supposée méga-dévaluation désastreuse de la monnaie iranienne, le rial, face à de telles sanctions. Malheureusement pour les fans de l'effondrement iranien, le Professeur Djavad Salehi-Isfahani a décrit avec moult détails la portée à long terme de ce procédé, dont les économistes iraniens ont accueilli la venue. Après tout, il renforcera les exportations iraniennes non-pétrolières et stimulera l'industrie locale en compétition avec des importations chinoises à bas prix. En somme : un rial dévalué a en réalité de bonnes chances de réduire le chômage en Iran.
Plus connecté que Google
Bien que peu aux Etats-Unis aient remarqué (ou en France, ndt), l'Iran n'est pas exactement 'isolé', tant que Washington puisse le souhaiter. Le Premier Ministre pakistanais Yusuf Gilani est devenu un visiteur fréquent de Téhéran. Et il est un lapin de trois jours comparé au chef de la sécurité nationale de Russie Nikolai Patrushev, qui tout récemment avait averti les Israéliens de ne pas pousser les USA à attaquer l'Iran. Ajoutez l'allié US et Président afghan Hamid Karzaï. A une Loya Jirga (grand conseil) fin 2011, devant 2000 chefs tribaux, il affirmait que Kabul projetait de se rapprocher encore plus de Téhéran.
Sue ce crucial échiquier eurasien, le Pipelineistan, le gazoduc Iran-Pakistan (IP) – au grand désarroi de Washington – est maintenant un objectif. Le Pakistan a grandement besoin d'énergie et ses dirigeants ont clairement décidé qu'ils ne veulent plus attendre les calendes grecques pour que le sempiternel projet chéri de Washington – le pipeline Turkmenistan-Afghanistan-Pakistan-India (TAPI) – traverse le Talibanistan.
Même le Ministre des Affaires Etrangères turc Ahmet Davutoglu visita Téhéran récemment, bien que les relations de son pays avec l'Iran soient devenues de plus en plus tendues. Après tout, l'énergie dépasse les menaces dans la région. La Turquie membre de l'OTAN est déjà impliquée dans des opérations secrètes en Syrie, alliée avec des intégristes sunnites en Irak, et – dans un volte-face remarquable dans le sillage du Printemps Arabe – a échangé un axe Ankara-Damas-Téhéran pour un axe Ankara-Riyadh-Doha. Elle prévoit même d'accueillir des éléments du système de défense ballistique prévu de longue date par Washington, pointé vers l'Iran.
Tout ceci d'un pays doté d'une politique étrangère décrite par Davutoglu de « aucun problème avec nos voisins. » Toutefois, les besoins du Pipelineistan font battre la chamade. La Turquie se languit d'un accès aux ressources énergétiques iraniennes, et si du gaz naturel iranien doit un jour atteindre l'Europe – une chose qui appâte fortement les Européens – la Turquie sera le pays de transit privilégié. Les dirigeants turcs ont d'ores et déjà signalé leur rejet de toutes sanctions supplémentaires à l'encontre du pétrole iranien.
Et en parlant de relations, la semaine dernière il y eut ce spectaculaire coup de théâtre, la tournée latino-américaine du Président iranien Mahmoud Ahmadinejad. La droite de la droite US peut claironner au sujet d'un « axe du mal » Téhéran-Caracas – supposé promouvoir la « terreur » à travers l'Amérique Latine comme tremplin pour des attaques futures contre la superpuissance boréale – mais dans la vraie vie, une autre sorte de vérité rôde. Toutes ces années ples tard, Washington ne digère toujours pas la notion d'avoir perdu le contrôle, ou même son influence, sur ces deux puissances régionales où naguère elle exerçait une hégémonie impérialiste totale.
Ajoutez à cela le mur de méfiance qui n'a fait que se solidifier depuis la révolution islamique en Iran. Rajoutez encore une Amérique Latine nouvelle, presque entièrement souveraine poussant vers l'intégration non seulement via des gouvernements de gauche au Vénézuela, en Bolivie, en Équateur mais par le biais de puissances régionales comme le Brésil et l'Argentine. Mélangez et vous obtenez des séances photo de Mahmoud Ahmadinejad et le Président vénézuélien Hugo Chavez saluant le Président nicaraguayen Daniel Ortega.
Washington continue de vendre une vision du monde dans lequel l'Iran a été radicalement déconnecté. La porte-parole du Département d'État Victoria Nuland en est l'écho en disant, « l'Iran peut rester en isolement international ». Il s'avère, en fait, qu'elle doit vérifier ses données.
L'Iran 'isolé' a $4 millards en projets conjoints avec le Vénézuela dont, crucialement, une banque (comme avec l'Équateur ; il a des dizaines des projets prévus depuis la construction de centrales électriques à, encore, la banque). Ceci a mené la troupe « Israël d'abord » à Washington à vociférer que des sanctions soient assénées au Vénézuela. Seul problème : comment les USA payeraient-ils alors leurs importations vitales de pétrole vénézuélien ?
Beaucoup de foin fut fait dans la presse étatsunienne du fait qu'Ahmadinejad ne passa pas par le Brésil pendant sa virée à travers l'Amérique du Sud, mais Téhéran et Brasilia restent diplomatiquement synchrones. Quand il s'agit du dossier nucléaire en particulier, l'histoire du Brésil laisse ses dirigeants sympathisants. Après tout ce pays développa – puis abandonna – un programme d'armement nucléaire. En mai 2010, le Brésil et la Turquie négocièrent un accord d'échange sur l'uranium pour l'Iran qui eut pu nettoyer l'ardoise de l'imbroglio nucléaire USA/Iran. Il fut cependant immédiatement saboté par Washington. Membre clé des BRIC, le top club des économies émergentes, Brasilia est complètement opposée à la stratégie US de sanctions/embargo.
Donc l'Iran est peut-être 'isolé' des États-Unis et de l'Europe occidentale, mais depuis les BRIC aux NAM (les 120 pays du Mouvement des Non-Alignés), il a la majorité du Sud mondial de son côté. Et puis, bien sûr, il y a ces robustes alliés de Washington, le Japon et la Corée du Sud, demandant à présent des exemptions du boycott/embargo qui se profile contre la Banque Centrale iranienne.
Pas étonnant puisque ces sanctions unilatérales étatsuniennes ont également l'Asie pour cible. Après tout, la Chine, l'Inde, le Japon et la Corée du Sud ensemble achètent pas moins de 62% des exportations iraniennes de pétrole.
Avec une politesse toute asiatique, le Ministre des Finances japonais Jun Azumi fit savoir au Secrétaire du Trésor Timothy Geithner à quel point Washington suscite un problème pour Tokyo, qui compte sur l'Iran pour 10% de ses besoins pétroliers. Il plaide d'au moins « réduire » modestement cette part « dès que possible » de manière à obtenir une exemption de Washington de ces sanctions, mais n'en perdez pas vos nuits. La Corée du Sud a déjà annoncé qu'elle achètera 10% de ses besoins pétroliers de l'Iran en 2012.
Route de la soie 'Nouvelle formule'
Plus important que tout, l'Iran se trouve être un élément essentiel de la sécurité nationale de la Chine, qui a déjà rejeté les dernières sanctions US sans ciller. Les Occidentaux tendent à oublier que le Royaume du Milieu et la Perse font des affaires depuis bien deux millénaires (les mots 'Route de la Soie' résonnent-ils quelque part?).
Les Chinois ont déjà décroché un juteux contrat pour l'exploitation du plus grand champ pétrolier iranien, Yadavaran. Il y a aussi la question de la livraison du pétrole iranien de la Mer Caspienne depuis l'Iran par un oléoduc s'étirant du Kazakhstan à la Chine occidentale. En fait, l'Iran fournit non moins de 15% du pétrole et du gaz naturel chinois. Il est désormais plus essentiel à la Chine, en termes d'énergie, que ne l'est la Maison des Saoud pour les USA, qui importent 11% de leur pétrole d' Arabie Saoudite.
En réalité, la Chine peut devenir la grande gagnante des nouvelles sanctions de Washington, parce qu'elle sera en passe d'obtenir son pétrole et son gaz naturel à prix réduit comme les Iraniens deviennent toujours plus dépendants du marché chinois. En ce moment-même (17 janvier, ndt), les deux pays sont au milieu d'une négociation complexe sur la tarification du pétrole iranien, et les Chinois sont allés à augmenter la pression en diminuant légèrement leurs achats énergétiques. Mais tout ceci doit être terminé en mars, bien deux mois avant que la dernière fournée de sanctions US ne prennent effet, selon les experts de Beijing. Pour finir, les Chinois achèteront sans doute plus de gaz naturel iranien que de pétrole, mais l'Iran restera néanmoins son troisième fournisseur de pétrole, juste derrière l'Arabie Saoudite et l'Angola.
Pour ce qui est des effets des nouvelles sanctions sur la Chine, ne comptez pas dessus. Les entreprises chinoises en Iran construisent des voitures, des réseaux de fibres optiques, et étendent le métro de Téhéran. Les échanges bilatéraux s'élèvent à $30 milliards aujourd'hui et sont prévus d'atteindre $50 milliards en 2015. Les entreprises chinoises trouveront un moyen de contourner les soucis bancaires qu'imposent les nouvelles sanctions.
La Russie est, bien sûr, un autre soutien clé de l'Iran 'isolé'. Elle s'est opposée à de plus fortes sanctions soit par l'ONU soit par le paquet avalisé par Washington qui cible la Banque Centrale iranienne. En fait, elle favorise un recul des sanctions de l'ONU existantes et a également travaillé sur un plan alternatif qui, du moins en théorie, peut mener à un accord nucléaire acceptable par tous, sans perte de face.
Sur le front nucléaire, Téhéran a exprimé une volonté de s'aligner avec Washington sur les bases du plan suggéré par le Brésil et la Turquie que Washington envoya par le fond en 2010. Depuis qu'il est désormais tellement plus clair que, pour Washington – certainement pour le Congrès – la question nucléaire est secondaire au changement de régime, toute nouvelle négociation est sûre de s'avérer extrêmement douloureuse.
Ceci est d'autant plus vrai maintenant que les dirigeants de l'Union Européenne sont parvenus à s'extraire d'une future table de négociations en se tirant une balle dans leurs pieds chaussés par Ferragamo. De manière habituelle, ils ont timidement suivi Washington en appliquant un embargo pétrolier iranien. Comme a dit un officiel supérieur de l'UE au Président du Conseil National Iranien Américain Trita Parsi, et comme des diplomates UE m'ont affirmé en termes équivoques, ils craignent que ceci puisse être la dernière étape avant une guerre ouverte.
Pendant ce temps, une équipe de l'Agence Internationale de l'Énergie Atomique (IAEA) vient juste de visiter l'Iran. L'IAEA supervise toute chose nucléaire en Iran dont son nouveau site d'enrichissement de l'uranium à Fordow, près de la ville sainte de Qôm et dont la production commence à plein en juin. L'IAEA est formel : il n'y a pas de construction de bombe. Malgré cela, Washington (et les Israéliens) continuent d'agir comme si ce n'est qu'une question de temps – et pas beaucoup, de surcroît.
Suivez l'argent
Ce thème de l'isolation iranienne se réduit comme peau de chagrin lorsque l'on apprend que le pays abandonne le dollar dans ces échanges avec la Russie pour des rials et des roubles – un geste similaire à ceux déjà accomplis dans ses échanges avec la Chine et le Japon. Pour l'Inde, une locomotive économique du voisinage, ses dirigeants refusent eux aussi de cesser d'acheter du pétrole iranien, une fourniture qui, sur le long terme, a autant peu de chances de se monnayer en dollars. L'Inde utilise déjà le yuan avec la Chine, tout comme la Russie et la Chine font des affaires en yuan et en roubles depuis plus d'un an, et que le Japon et la Chine promeuvent les échanges directs en yen et en yuan. En ce qui concerne l'Iran et la Chine, tous les investissements commerciaux et conjoints seront dorénavant libellés en yuan et en rial.
Traduction, s'il en était besoin : dans l'avenir proche, avec les Européens hors du paysage, quasiment aucun pétrole iranien ne sera négocié en dollar.
De plus, trois nations du BRIC (Russie, Inde et Chine) alliées de l'Iran sont détenteurs (et producteurs) majeurs d'or. Leurs liens commerciaux complexes ne seront pas affectés par les fantaisies d'un Congrès US. En fait, quand le monde qui se développe regarde la crise profonde de l'Ouest Atlanticiste, ce qu'ils voient c'est la dette colossale étatsunienne, la Fed imprimant l'argent comme s'il n'y avait plus de lendemain, beaucoup de « réductions à la marge », et bien sûr l'Eurozone qui tremble jusqu'à ses fondations.
Suivez l'argent. Laissez de côté, pour l'instant, les nouvelles sanctions à l'encontre de la Banque Centrale iranienne qui ne prendront effet que dans plusieurs mois, ignorez les menaces iraniennes de fermer le détroit d'Hormuz (particulièrement hasardeux puisque c'est le passage principal par lequel l'Iran amène son propre pétrole sur le marché), et peut-être qu'une raison clé pour laquelle la tension monte dans le Golfe Persique inclut cette volonté de torpiller le pétrodollar comme la monnaie commerciale à-tout-faire globale.
Elle est menée par l'Iran et est sûre de se traduire en un Washington anxieux, affrontant non seulement une puissance régionale, mais ses rivaux stratégiques la Chine et la Russie. Pas surprenant que tous ces porte-avions soient en route pour le Golfe Persique en ce moment-même, bien que ce soit un duel des plus étranges – un cas d'une puissance militaire face à la puissance économique.
Dans ce contexte, il est bon de se souvenir qu'en septembre 2000 Saddam Hussein abandonna le pétrodollar comme monnaie de paiement du pétrole irakien, et passa à l'euro. En mars 2003, l'Irak fut envahi et le changement de régime inévitable en résulta. Muammar Qaddafi de Libye proposa un dinar-or à la fois comme monnaie commune africaine et comme moyen de paiement pour les ressources énergétiques de son pays. Une autre intervention et un autre changement de régime s'ensuivirent.
Washington/OTAN/Tel Aviv, par contre, offrent un autre récit. Les « menaces » de l'Iran sont au cœur de la crise actuelle, même si celles-ci sont en réalité ses réactions à la guerre cachée US/israélienne et, en plus maintenant, une guerre économique. Ce sont ces « menaces », selon ce récit, qui poussent les prix du pétrole à la hausse et alimentent donc la récession actuelle, plutôt que le capitalisme de casino de Wall Street ou les énormes dettes étatsuniennes ou européennes. La crème du 1% n'a que faire des prix élevés de l'essence, tant que l'Iran reste là pour être le punching-ball de l'ire populaire.
Comme l'expert en énergie Michael Klare souligna récemment, nous sommes maintenant dans une ère géo-énergétique sûre d'être hautement turbulente dans le Golfe Persique et ailleurs. Mais considérez également 2012 comme l'année de début d'une possible massive défection du dollar comme monnaie de réserve internationale. Comme la perception est en vérité une réalité, imaginez le monde réel – surtout le Grand Sud – faisant les maths nécessaires et, petit à petit, commençant à faire des affaires dans leurs propres monnaies et investissant toujours moins de toute épargne en Bons du Trésor US.
Bien sûr, les USA peuvent toujours compter sur le Conseil de Coopération du Golfe (GCC) – Arabie Saoudite, Qatar, Oman, Bahrain, Koweït et Émirats Arabes Unis – que je préfère nommer le Gulf Counterrevolution Club (GCC, club contre-révolutionnaire du Golfe, ndt) (regardez leurs performances pendant les révolutions du Printemps Arabe). À toutes les fins géostratégiques pratiques les monarchies du Golfe sont une satrapie US. Leur promesse pluri-décennale de n'utiliser que le pétrodollar les transforme en accessoires de la projection de puissance du Pentagone à travers le Moyen-Orient. Centcom, après tout, est logé au Qatar ; la cinquième flotte US est stationnée au Bahrain. En fait, dans les terres immensément riches en énergie que nous pourrions appeler le Grand Pipelineistan – et que le Pentagone appelait « l'arc d'instabilité » - s'étendant à travers l'Iran jusqu'en Asie centrale, le GCC reste une clé d'une idée fléchissante d'hégémonie US.
Si ceci était une réécriture économique de l'histoire d'Edgar Allan Poe, « Le Puits et le Pendule », l'Iran ne serait qu'un rouage d'une machine infernale déchiquetant lentement le dollar comme monnaie de réserve mondiale. Pour autant, c'est le rouage sur lequel se focalise Washington. Ils ont le changement de régime en tête. Tout ce qu'il faut c'est une étincelle pour démarrer l'incendie (dans – l'un s'empresse d'ajouter – toutes sortes de directions qui sont sûres de prendre Washington hors garde).
Souvenez-vous d'Operation Northwoods, ce plan de 1962 pondu par les chefs d'état-major pour commettre des actes de terrorisme sur le territoire US et d'en accuser le Cuba de Fidel Castro (le Président Kennedy rejeta cette idée aussi sec). Ou souvenez-vous de l'incident du Golfe de Tonkin en 1964, instrumentalisé par le Président Lyndon Johnson comme justification pour intensifier la guerre du Vietnam. Les USA avaient accusé des navettes-torpilles Nord-Vietnamiennes d'attaques non-provoquées sur des navires US. Plus tard il se révéla qu'une de ces attaques n'avait jamais eu lieu et que le président avait menti.
Ce n'est pas de la science-fiction que d'imaginer des analystes fanatisés de « Dominance à Spectre Global » à l'intérieur du Pentagone menant un incident sous faux drapeau dans le Golfe Persique à une attaque contre l'Iran (ou simplement en pressurant l'Iran à l'erreur de calcul fatale). Considérez également la toute nouvelle stratégie militaire US tout juste dévoilée par le président Obama dans laquelle le centre de l'attention de Washington migre de deux échecs de guerres terrestres dans le grand Moyen-Orient vers le Pacifique (et la Chine). L'Iran se trouve être pile au milieu, en Asie du Sud-Ouest, avec tout ce pétrole voguant vers un Royaume du Milieu vorace en énergie sur des eaux gardées par l'US Navy.
Alors oui, ce psychodrame plus-grand-que-nature que nous appelons « l'Iran » peut s'avérer être autant à propos de la Chine et le dollar US qu'à propos des politiques du Golfe Persique ou la bombe inexistante de l'Iran. La question est : quelle bête immonde, son heure enfin venue, se traîne vers Beijing pour y naître ?