Je ne parle pas pour vous, M. le Président ni pour votre prédécesseur, pourtant ce dernier avait coutume de martyriser un peu trop souvent le patrimoine commun, mais de ceux qui font de l’usage de la langue un moyen de vivre et de prospérer, les professionnels de la communication. Il faudra bientôt les affubler d’une queue de renard et d’un masque de bouse de vache.
La syllepse fleurit partout en ce moment. Qu’est-ce que c’est ? une nouvelle pathologie ? C’est bien pire, une épidémie. En voilà un exemple : « la majorité des Français a fait… » à la place de « la majorité des Français ont fait… ». Dans le groupe nominal, il y a un déterminant et un nom noyau, sujet du verbe qui s’accorde avec lui. Et bien pas du tout, dans la syllepse, on accorde le verbe avec le déterminant ! Mais enfin, est-ce si important ? Il y a bien d‘autres pathologies qui montrent le mépris auquel nous sommes soumis et le peu de qualité des gens qui possèdent et contrôlent les médias.
Partout, pour dame météo, le sud est en bas et le nord en haut, les températures sont froides ou chaudes, se réchauffent, gèlent peut-être même comme la longueur s’allonge, le kilogramme s’alourdit ou encore la vitesse s’accélère alors que la température s’élève quand il fait chaud, la distance augmente quand les unités pour la mesurer s’ajoutent et la vitesse s’accroît quand l’aiguille du compteur s’agite. Quand l’instrument de mesure devient la qualité qu’on évalue, la notion disparaît.
On se fatiguerait à relever les impropriétés et les erreurs de syntaxe dans la bouche et sous la plume des professionnels de la communication. La nouveauté réside dans le fait qu’elles sont désormais acceptées et diffusées en même temps que les messages souvent sans contenu. Les bandeaux du bas de l’écran sur itélé et ses : «grève de la fin », « Jean-Jacques de Compostelle », étaient d’une fraîcheur émouvante. Personne n’a oublié le "bouquet missaire" ? Mais on a pu lire aussi sur Public Sénat : « la crise ferrovière… ». Les stagiaires ont bon dos. Il y a des erreurs plus impropres encore et plus généralement distribuées comme le prix est cher au lieu d’être élevé puisqu’il est difficile d’acheter un prix peut-être même impossible. Le produit seul est cher comme il est lourd, frais ou bon marché.
Rabelais dans Garguanta (La livrée de Gargantua. Ses couleurs. Chapitre 9) : « Comme dit le proverbe, à cul foireux, toujours merde abonde… » et il ajoutait « Ce sont des rebus si ineptes, si fades, si grossiers et barbares, qu’à tous ceux qui voudraient les employer en France après la Renaissance des belles lettres, on devrait attacher une queue de renard au cou et faire un masque d’une bouse de vache ».
« Ah que !… », le français parlé est aussi pauvre que les esprits qui font profession de s’exprimer. Ce qui se conçoit bien s’exprime clairement et proprement. Qui nous affuble de ces à peu près ? Les mêmes qui livrent du temps libre de cerveaux humains aux publicitaires, aux produits aussi chers qu’inutiles. Ils signifient ainsi qu’ils exercent le pouvoir, celui de changer la langue en un salmigondis indigeste. Quand on sait que la précision, la richesse d’une langue est aussi un facteur de croissance économique et sociale, que reviennent au pays ceux qui déserteraient notre langue par lassitude de la voir s’appauvrir, vite un bouclier pour le français, M. le Prézidan !
Pourquoi croire que les communicants doivent abaisser le niveau de langue pour être compris du plus grand nombre confondant ainsi allègrement le français écrit et le français oral. Le respect commence par l’utilisation d’une langue respectable.
« S’il est vrai que tout langage contient les éléments d’une conception du monde et d’une culture, il sera également vrai que le langage de chacun révélera la plus ou moins grande complexité de sa conception du monde. Ceux qui ne parlent que le dialecte ou comprennent la langue nationale plus ou moins bien, participent nécessairement d’une intuition du monde plus ou moins restreinte et provinciale, fossilisée, anachronique, en face des grands courants de pensée qui dominent l’histoire mondiale. Leurs intérêts seront restreints, plus ou moins corporatifs ou économistes mais pas universels. S’il n’est pas toujours possible d’apprendre plusieurs langues étrangères pour se mettre en contact avec des vies culturelles différentes, il faut au moins apprendre sa langue nationale. Une grande culture peut se traduire dans la langue d’une autre grande culture, c’est-à-dire qu’une grande langue nationale, historiquement riche et complexe, peut traduire n’importe quelle autre grande culture, être en somme une expression mondiale. Mais un dialecte ne peut pas faire la même chose. » (Antonio Gramsci-L’anti-Boukharine (cahier 11)
Le français à force de s’appauvrir va devenir un dialecte du monde global. Quelle image donnera-t-on d’une langue qui aura perdu sa qualité tant appréciée à l’étranger, sa précision et sa richesse…Pourquoi se priver d’un atout de la compétitivité économique au moment où vous faites tant d’efforts pour elle M. le Président ? Restez vigilant, vous êtes le gardien de la constitution et de la langue.