Quand vous glissez votre lettre dans une boîte postale, vous exprimez votre confiance a priori dans la capacité du préposé à collecter les lettres, à les trier comme il convient, à les acheminer dans le département indiqué sous la forme d’un code numérique et enfin à les déposer dans les boîtes aux lettres. Vous ne pourriez pas imaginer que le nom de la rue ait subitement changé ou que le préposé ne sache pas lire ou même qu’il pourrait fort bien jeter le contenu de sa sacoche et aller à la pêche…Vous n’y pensez même pas car vous savez que si c’était le cas, il faudrait faire de même pour tous les actes de la vie quotidienne et la vie comme l'amour deviendraient impossibles.
Quand vous allez chez votre médecin, pouvez-vous croire un instant que celui-ci vous prescrira un médicament qui vous rendra plus malade encore ou même vous tuer ? Et la marque la plus renommée d’automobile vous tromper sur la qualité des produits qu’elle vend par pur intérêt mercantile ? Et le présentateur du journal télévisé qu’il ment sciemment par intérêt du propriétaire de la chaîne ?
Vous avez posé un acte de confiance dans vos semblables car sinon comment pourrait bien s’appeler une telle société où seuls les amis des facteurs pourraient voir leur courrier distribué, les amis des médecins être soignés ou encore les parents des hommes politiques avoir un travail ? Une société de déconfiance mutuelle ? Il en faudrait des amis dans tous les milieux ! Comment serait-il possible de s’en faire autant en une seule vie ? Une vie sociale intéressée serait-elle une vie digne d’être vécue ?
Nous sommes condamnés à nous faire confiance car nous dépendons tous les uns des autres, l’argent n’y change rien. On aurait même tendance à retirer un peu de notre confiance à quelqu’un qui agiterait son argent pour avoir un passe-droit. L’intérêt général serait que tous fassent leur travail du mieux possible ou alors que le système prenne en charge les défaillances individuelles qui peuvent advenir de façon à assurer « la continuité du service ». La grève n’a rien à voir là-dedans. Elle serait plutôt le signe d’un engagement pour un travail de meilleure qualité.
On peut prendre d’autres exemples de l’état social contre lequel l’argent ne peut pas grand chose. Les routes sont les espaces de l’égalité. Qu’on ait une grosse voiture ou une petite, si la voie est encombrée, on ne va pas plus vite, quand on est au feu rouge on attend comme tout le monde. Les voitures de luxe ont beau faire, donner du klaxon, le traitement est le même, chacun passe à son tour. Peut-être que s’ils avaient un gros camion remorque ou encore un camion de pompier avec une sirène, ils pourraient être prioritaires, les riches. Mais ce n’est pas le cas sauf sur les voies privées dans les quartiers réservés peut-être et encore ils peuvent y rencontrer le camion du livreur.
Car a dit Jean-Jacques Rousseau, si un seul homme peut ne pas être soumis à la loi, tous les autres sont nécessairement à la discrétion de celui-ci.
De là viendrait notre admiration pour les pompiers qui risquent leur vie pour le secours des autres et l’aversion générale que nous avons des personnes qui ostensiblement font étalage de leur position pour revendiquer des traitements particuliers. Imagine-t-on les pompiers qui ne viendraient secourir que ceux qui ont payé la taxe due aux pompiers ? Eh bien cela existe déjà. Aux Etats-Unis dans certains Etats,l’administration de la ville place une plaque sur la maison pour indiquer que celle-ci peut être secourue. Les autres peuvent griller.
Revenons aux facteurs. Lu dans le Canard enchaîné : « Au beau milieu de sa tournée un intérimaire de la Poste de Montélimar a décidé de mettre fin à son contrat. Sans s’embarrasser de complications, il a immédiatement jeté à la poubelle les 60 kilos de courrier restant à distribuer. Soit 300 colis et plis… ». Il avait peut-être reçu une lettre de rupture de sa bien aimée ? Il en a voulu à toutes les lettres qu’il continuait à distribuer bon gré mal gré jusqu’au moment où il a craqué. Son statut de précaire n’est peut-être pas étranger à son acte de rupture d’avec la Poste ? Qui sait si la continuité du service a été assurée dans ce cas ? Pourquoi ne pas comprendre que la continuité des tâches confiés aux agents des Postes doit aussi résulter de la qualité de la situation qui leur est faite et que le postier est d’abord un homme non réductible à sa fonction.
Le respect ne se divise pas, du respect par ici génère du respect par là. Merci aux facteurs de nous le rappeler. Peut-être n’aimait-il pas les chiens dont on sait qu’ils haïssent les préposés aux vélos jaunes ? C’était donc juste un accident, une exception. Le hic c’est qu’il y a pléthore d’exceptions.
Quand la banque perd votre argent et vous annonce tout de go qu’elle vous facturera le découvert qui en résulte, vous saisissez la justice. Il est des pays où la justice ne peut rien pourtant. Quand Necker, le ministre des finances de Louis XVI, banquier suisse de son état, prêtait son propre argent au trésor royal à un taux de 14% annuel, les fourches ont été sorties à défaut de justice. La violence se nourrit de ces passe-droits. Mais cela ne peut plus se produire heureusement. Quel ministre aujourd’hui, lointain successeur de Necker, pourrait imaginer échapper à ses propres services en plaçant son argent loin des yeux de ses préposés dans un paradis fiscal par exemple ? La confiance en société est d’un maniement politique délicat car c’est elle qui fait les élections. Les hommes aiment s’assembler. Ils reconnaissent dans leurs semblables une partie d’eux-mêmes. L’acte de foi dans son semblable est partout dans la vie sociale. La monnaie n’est que la confiance qu’on accorde à la banque nationale qui l’a émise. Pourtant on devrait se méfier quand on sait que la Banque de France créée par Napoléon Bonaparte était une banque privée…
Indéniablement la confiance se porte mal aujourd’hui, j’entends celle nécessaire à une vie sociale apaisée chère à notre président, "la confiance au quotidien, mesure permanente de notre volonté de vivre ensemble." Il n’est pas besoin de sondage pour en rendre compte, il suffit d’observer autour de soi. Peut-on encore avoir confiance dans les responsables, les « élites » qui trahissent leurs propres convictions et se vendent aux plus offrants, dirigeants de syndicats comme la CFDT, hauts fonctionnaires qui partent dans le privé « pantoufler », anciens ministres qui sont rétribués a posteriori pour des actions favorables aux intérêts particuliers, patrons qui regrettent l’interdiction du travail des enfants comme celui d’Air France ?
Jamais il ne viendrait à notre esprit de lâcher : « Voilà, nos voleurs qui vont au travail » en voyant les ministres traverser la ville toutes sirènes hurlantes à 11 heures du matin, comme je l’ai entendu d’un citoyen nigérian un matin de 2002 à Abuja, capitale de la République fédérale du Nigeria, un des pays les plus corrompus et les plus violents du monde car, bien entendu, nous n’en sommes pas encore là…